La Chronique Agora

Qui veut gagner des… demi-millions ?

** Les Etats-Unis sont devenus un pays communiste, hurlent les sénateurs républicains dès que les micros sont éteints. L’équipe Obama veut dilapider 800 milliards de dollars pour offrir plus d’équipements au pays et de confort aux malades… sans baisser en parallèle l’imposition des plus riches dont le président veut, de surcroît, plafonner les revenus.

Non mais franchement, qui a envie de gagner des demi-millions par an quand il s’agissait récemment d’un plancher mensuel ? L’Amérique veut-elle se constituer une nouvelle armée de "maîtres du monde" moins bien payés qu’un footballeur remplaçant jouant dans une équipe de milieu de tableau ?

Avec l’administration républicaine, le budget des "guerres impériales" (comme les baptise Bill Bonner) représentait 400 milliards de dollars par an, soit 2 400 milliards de dollars dépensés à la date anniversaire de la sixième année d’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan en mars prochain. Voilà de l’argent intelligemment investi, puisque réellement créateur d’emplois.

Si nos comptes sont bons, cela représente trois TARP ou trois plans de relance… ou encore 48 Madoff (notre unité du désastre favorite).

Tout le monde comprend la façon dont se mène une guerre contre le terrorisme — c’est-à-dire avec détermination ! –, contrairement à la neutralisation d’actifs bancaires pourris, via un méga fonds de "défaisance" au fonctionnement alambiqué, garanti en dernier ressort par le contribuable des années 2010 à 2040. Les enfants et les petits-enfants hériteront des dettes léguées par les spéculateurs de la génération Greenspan.

Les républicains sont donc résolus — contrairement à leurs engagements initiaux de coopérer avec la Maison Blanche — à torpiller les efforts de l’administration démocrate.

Les Etats-Unis ont eu chaud : il s’en est fallu de peu que de l’argent public soit rapidement mobilisé au profit de ceux qui le versent au fisc et qui en ont un réel besoin, pour cause de chômage, de maladie ou d’expropriation — et parfois les trois à la fois.

** Les dernières statistiques publiées hier induisent qu’il y a de plus en plus de personnes dans ce cas, ce qui a provoqué un soudain accès de déprime boursière vers 16h30. Le CAC 40 a alors perdu plus de 3% — et l’intégralité de ses gains de la veille –, le DAX 2,5% et l’Euro Stoxx 50 pas loin de 2%.

La séance avait très mal commencé à Wall Street, assommée par l’explosion du chômage hebdomadaire — +35 000 à 626 000, pire score jamais observé depuis 1982 — et la chute verticale des commandes à l’industrie américaine au quatrième trimestre (-3,9% en décembre après -6,5% en novembre et -4% en octobre).

Le Dow Jones perdait alors plus de 1,5%, inscrivant un plancher à 7 845 points, et le S&P chutait de 1%. Mais en l’espace d’un quart d’heure, les indices américains ont opéré un virage à 180° : le Dow Jones est repassé en territoire positif (+1,5%) et le Nasdaq s’est adjugé 2%.

Le CAC 40 a alors entamé un redressement tout aussi spectaculaire (+90 points par rapport à un plancher de 2 976 points) pour clôturer sur un repli symbolique de -0,1%. Cette volatilité extrême est en grande partie imputable à l’absence de volumes avec moins de 2,5 milliards d’euros échangés sur les 40 vedettes du CAC sur l’ensemble de la séance. Mais la volatilité est aussi due à une radicalisation du phénomène de retrait successif des acheteurs (en cas de repli) puis des vendeurs (dès que la tendance redevient haussière).

** L’amélioration du sentiment en fin de journée en Europe, et à la mi-séance à Wall Street, était assez difficile à expliquer si l’on s’en tient à la chronologie de l’actualité économique.

Tout n’était effectivement pas négatif, à commencer par ce qui s’apparente à une promesse de la BCE de baisser son taux directeur de 50 points de base lors de sa première réunion de mars prochain. Mais pourquoi ne pas l’avoir fait immédiatement comme la Banque d’Angleterre ?

Aux Etats-Unis, la productivité non-agricole s’est nettement redressée au quatrième trimestre, à 3,2% contre un consensus de l’ordre de +1,5% — alors que le PIB s’est contracté de 3,8% sur la période.

La Banque d’Angleterre a réduit son taux directeur de 50 points de base pour le porter à un niveau plancher de 1% ; J.-C. Trichet devrait bientôt l’imiter sur le constat que le risque est clairement à la contraction de la croissance tandis que l’inflation évolue désormais à un rythme sensiblement inférieur à 2%. Cela ne l’empêche cependant pas d’appeler de ses voeux un maintien du pétrole et des matières premières à un cours très bas, ce qui constituerait de facto le symptôme d’une aggravation du marasme, voire de l’anticipation d’une dépression.

L’Allemagne, qui, début octobre, se voyait encore épargnée par la crise, a enregistré une chute de 6,9% des commandes à l’industrie en décembre après une baisse de 5,3% enregistrée en novembre (-6% en estimation préliminaire).

En décembre, la production industrielle espagnole s’est effondrée de 19,6% en glissement annuel, après -15,3% en novembre, selon les données corrigées des jours ouvrés d’INE. Le taux de chômage — il s’agit d’une estimation, il n’y a pas de taux officiel — a été multiplié par deux en un an et dépasse déjà, selon toute vraisemblance, les 15%.

A Paris, même si le CAC 40 est repassé au-dessus des 3 065 points, les valeurs bancaires ont été affectées par les commentaires pessimistes du FMI qui appelle à la mise en place de mesures de soutien plus "radicales". Autres mauvaises nouvelles pour le secteur bancaire : la publication des piètres résultats de Deutsche Bank ainsi que le plongeon initial de 18% de Bank of America sous les 3,8 $, soit un cours divisé par 10 entre le 19 septembre 2008 et le 5 février 2009, c’est-à-dire en moins de 18 semaines.

** Cette journée de vendredi sera marquée par la publication du chiffre officiel de l’emploi au mois de janvier. Si les destructions de postes salariés n’excédaient pas un total de 500 000, si le chômage restait sous la barre des 7,5%, le marché saluerait de tels chiffres comme une bonne surprise… même si cela signifie que plus de deux millions d’emplois ont été détruits en l’espace de quatre mois, du jamais vu depuis la grande dépression de 1930 à 1933.

Si les performances indicielles devaient en rester à leurs niveaux de jeudi soir de part et d’autre de l’Atlantique, le marché parisien afficherait une seconde semaine de hausse d’affilée avec un score hebdomadaire voisin de +2%. Le Dow Jones se contenterait alors de +0,5%… accusant un spectaculaire handicap par rapport à un Nasdaq qui caracole loin devant, avec un cumul de gains qui avoisine les 4%.

Philippe Béchade,
Paris

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