La Chronique Agora

Qui s’inquiète vraiment du plafond de la dette ?

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Le marché est serein et semble évaluer avec délectation les probabilités d’un futur accident, qui forcerait pour la énième fois la Fed à intervenir.

Le rapport sur l’inflation de mercredi dernier pour les Etats-Unis n’est, à mon sens, pas très encourageant : le gain mensuel de 0,4% de l’inflation globale et de l’inflation sous-jacente indique des pressions inflationnistes persistantes.

Les marchés sont résilients, mais ceci ne veut rien dire ; ils n’ont ni pouvoir d’analyse ni capacité d’anticipation. La cupidité est une constante et elle est alimentée par l’absence d’alternative pour les détenteurs de gros capitaux et de grosses fortunes dynastiques. Ce qui compte pour ces capitaux, c’est l’état du système, la situation de l’ordre et du régime.

Autant que l’on puisse en juger, les gros capitaux croient que l’on peut encore refaire un tour du manège enchanté !

Tout est dans l’impression

La Fed a administré la preuve qu’elle pouvait faire face. Même si elle n’agit qu’au niveau des apparences et des perceptions, cela marche, cela suffit. Pour le politique, il n’y a aucune inquiétude à ce stade : il n’y a pas de gros risque à l’horizon, l’échiquier favorable à la ploutocratie est bien encadré et aussi bien les médias que les agences de notation jouent correctement leur rôle d’encadrement.

La question du plafond de la dette n’inquiète que les imbéciles ; c’est un spectacle, une gesticulation, un happening, qui aurait presque des effets positifs en faisant croire qu’il y a des gens qui s’en préoccupent !

L’important, c’est que l’on ait pu donner l’impression que tout restait sous contrôle, que la Fed avait encore la maîtrise de la situation, que les valeurs du Trésor restaient le refuge et donc que le dollar tenait bon.

Le fait que l’or ne se soit pas envolé et que l’immobilier flanche n’est pas inquiétant, au contraire ; cela renforce la probabilité que lors de la prochaine baisse des taux le ressort restera bandé sous les indices boursiers.

Le gros argent ne se préoccupe pas des valorisations. Il sait très bien que l’on est sorti de l’épure depuis longtemps. Mais ce n’est pas son problème. Son problème, c’est le régime, le système, le contrôle. Et sous ces aspects, il est rassuré.

La prochaine grande épreuve – et elle est de taille – ce sera l’issue ou l’évolution de la guerre contre la Russie.

Mais, sur ce point, l’intoxication culturelle et la propagande marchent bien : les élites américaines croient à leurs propres mensonges, à leur exceptionnalisme, elles croient à ce qu’elles disent et font dire qu’elles sont persuadées de l’emporter.

Quel risque ?

Il existe une liste décente de choses qui devraient maintenir les marchés en haleine, mais il faut noter que cela ne se traduit pas par une vraie fuite devant le risque : avec le VIX s’échangeant autour des 20 cette semaine, les actions semblent profiter de l’abondance de liquidités et de la perspective d’un pivot accommodant de la Fed.

Et puis, fondamentalement, le VIX pourrait encore être plus bas, puisque le risque n’existe plus, étant pris en charge structurellement par la Fed et le Trésor. Le risque étant externalisé, il n’y a plus de raison qu’on s’en préoccupe !

Le soi-disant « jour X » [NDLR : le jour où le Trésor américain ne pourra plus payer ses factures] approche à grands pas, sans qu’il y ait encore de mouvement vers un compromis sur le plafond de la dette.

Les prix des CDS sur la dette publique américaine se sont échangés à 78 points de base jeudi ; cela fait partie du spectacle et il y a des gens qui s’en mettent plein les poches. Ce prix dépasse son équivalent pour la dette de l’Islande, il est au plus haut depuis 2009.

L’indice des banques régionales américaines (KRX) a chuté de 6,2% la semaine dernière, atteignant un point bas plus vu depuis novembre 2020. Les grandes banques n’ont pas été épargnées, avec l’indice bancaire KBW en baisse de 3,5%. Dans le même temps, Pacwest a perdu 21%, la Bank of Hawaii 23,2%, Comerica 12,3% et Keycorp 8,6%. Le prix des CDS de Bank of America est revenu au-dessus de 120 points de base (proche du plus haut depuis mars 2020)

Le Financial Times sonnait l’alarme le 11 mai sur un sujet qui passe inaperçu à côté de ces chutes :

« Qui dit nouvelle semaine dit nouvelle vague d’inquiétude à propos des banques régionales américaines. Heureusement, le niveau de panique a quelque peu diminué depuis que la Federal Deposit Insurance Corporation semble soutenir le système – suivant un précédent, plutôt que la loi. […]

Cependant, alors que les investisseurs – et les politiciens américains – surveillent avec inquiétude ces banques, il y a un autre secteur qui aussi mérite notre attention : l’assurance-vie. […]

Le problème est illustré par certains graphiques enfouis dans le rapport sur la stabilité financière de la Réserve fédérale récemment publié. Ceux-ci montrent que les groupes d’assurance détenaient environ 2 250 Mds$ d’actifs jugés risqués et/ou illiquides, y compris de l’immobilier commercial ou des prêts aux entreprises, à la fin de 2021 (apparemment les données les plus récentes disponibles). En termes bruts, c’est presque le double du niveau qu’ils détenaient en 2008, et cela représente environ un tiers de leurs actifs. »

L’inflation plus rigide que prévu n’a aucun impact sur les attentes d’un pivot accommodant. Il en va de même pour les marchés du travail, toujours tendus, et la résilience économique générale.

Le marché financier est serein ; il évalue avec délectation les probabilités d’un futur accident forçant pour la énième fois la main de la Fed.

La crise bancaire est un accident potentiel. L’immobilier est une bombe à retardement. En général, les marchés spéculatifs sont un accident en devenir. Mais tout cela ne peut être qu’un mal passager pour un bien plus durable puisque comme je l’ai dit le système a tenu, les choses sont bien en mains. Tout le reste n’est que de la gestion, n’est-ce pas !

Le rally du dollar depuis le 4 mai mérite d’être exploré. Il va dans mon sens. Il y a de gros shorts sur le dollar, donc des rachats pourraient expliquer les gains présents et à venir.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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