La Chronique Agora

Qui est propriétaire de quoi ?

Argentine, ranch, originarios

Pour tenter de trouver une solution à son problème de conflit de voisinage en Argentine, Bill Bonner se rend chez une autre partie prenante, qui a ses propres révélations à faire…

Comme nous l’avons vu hier, la situation au sein de notre ferme se complique… et les enjeux familiaux que l’on découvre sont de plus en plus nombreux.

Ce que nous n’avons pas précisé hier, cependant, c’est que la personne censée vivre dans la maison occupée par Janina, désormais – et qui succèderait à feu Carlos pour s’occuper de la vigne – est le frère de ce dernier…

Omar est un grand gaillard au beau sourire. Il a été « marié » à la sœur de Janina. Lorsque cela n’a pas marché, il s’est mis en ménage avec la fille d’un de nos employés, une jolie femme appelée Lucretia. Mais Lucretia avait une fille – désormais adolescente – d’un précédent mariage. Omar admet qu’il a administré une petite tape à la jeune fille pour la remettre à sa place. Lucretia a appelé la police et Omar a désormais interdiction de voir sa famille.

« Vous devez la faire partir », a déclaré Omar, en parlant de sa belle-sœur à double titre. « Elle est mauvaise. Elle essaie de s’emparer de la propriété de ma grand-mère. Je ne peux pas travailler si elle est dans les parages. »

Toute la famille déteste Janina et pense qu’elle est responsable de la mort de Carlos.

Encore une histoire de vol

En début de journée, nous avons rendu visite à la grand-mère de Carlos, Eleena.

Eleena est une femme maigre, au visage profondément creusé par les rides, et légèrement courbée par la vieillesse. Elle a vécu toute sa vie en haut de la montagne, dans un puesto [NDLR : un refuge de montagne].

On y accède à cheval, en suivant la rivière de la vallée. Au bout d’un moment, vous apercevez un peu de vert, à gauche. Ensuite, on découvre un sentier qui grimpe sur le versant d’une colline jusqu’au plateau, en haut.

C’est un endroit magnifique, avec des arbres fruitiers, des vignes anciennes et une vue époustouflante sur des ruines indiennes, de chaque côté. Les terrasses en pierre pré-Incas sont toujours là. Mais la terre a été ravinée, ou balayée par le vent, depuis longtemps.

Ce site, qui est protégé par des collines abruptes sur trois côtés, a dû être habité pendant longtemps. On y trouve des moreteros – des mortiers permettant de piler le maïs et d’autres céréales – creusés dans le grand rocher près de la hutte en terre d’Eleena.

Les Incas ont conquis cette zone moins de 100 ans avant l’arrivée des Espagnols. Mais les Incas étaient malins. Ils prenaient quelques otages et exigeaient un tribut régulièrement. Puis, à part ça, ils laissaient les autochtones tranquilles.

En revanche, les Conquistadors étaient plus difficiles à satisfaire. Il leur a fallu au moins 100 ans pour soumettre les nombreuses tribus de la région. Ensuite, ils ont nettoyé la vallée, en envoyant certains membres de la population travailler dans de grandes fermes… alors que d’autres étaient exilés vers des régions lointaines où ils ne pourraient pas poser de problèmes.

Aujourd’hui, personne n’est un « autochtone », dans cette région. Ce sont tous des immigrés. Nous sommes seulement le dernier immigré en date.

Eleena serait encore dans son repaire des montagnes si sa famille n’avait pas insisté pour qu’elle emménage en ville, chez sa fille. A 80 ans, il était trop risqué qu’elle reste seule, à des heures de notre ferme.

« Elle n’a jamais été gentille avec moi », a affirmé Eleena, en parlant de l’épouse de son petit-fils. « Elle voulait me faire signer quelque chose qui disait que je lui laissais ma ferme… Mais j’ai refusé. Et puis elle volé des choses dans ma cuisine… du fromage et des couteaux. »

La vallée de la mort

L’une des curiosités de la vallée est la suivante : vous ne savez pas qui « est propriétaire » de quoi, en fait.

Eleena a parlé de « sa ferme ». Mais sa ferme fait partie de la nôtre, en fait. Légalement, elle a uniquement le droit d’y habiter parce que nous l’y autorisons. Mais le mot « légalement » ne vous mène pas bien loin, ici.

Nous sommes propriétaires de biens, mais nous ne pouvons pas les contrôler. Et la police n’est d’aucune aide. Il faut négocier, soudoyer, menacer… faire tout ce que l’on peut pour empêcher une situation épineuse de dégénérer.

Voilà pourquoi il est si important que Janina reste éloignée de la vigne. Son frère est un militant originario. Si on la laissait rester, d’autres ne tarderaient pas à arriver.

Et là, protégés par la loi en faveur des originarios (si une personne revendique ce statut, elle ne peut être expulsée de votre propriété), ces groupes ne pourraient plus être délogés.

Rapidement, la vallée – qui n’a plus vu un seul véritable Indien depuis au moins 400 ans – serait proclamée « terre tribale ».

« C’est une bonne chose », a conclu notre avocat.

« Quoi donc ? » avons-nous voulu savoir.

Nous n’avons jamais été accusé de vol auparavant. Ce n’est pas très plaisant mais nous nous y habituerons peut-être. Les « violences sexistes » feraient mauvais genre sur notre CV, également. Peut-être que les gens voudraient être avertis, si nous nous installions près de chez eux.

« Ce que je veux dire, c’est qu’ils sont allés chez le procureur au lieu de brûler l’une de nos maisons… Ou de démolir nos portails. Je préfère me battre au tribunal que sur le terrain. Cela fait déjà une semaine que nous avons déplacé ses matériaux de constructions », a-t-il poursuivi, avec un petit air de César s’adressant à l’augure.  « Et nous n’avons plus de problèmes. »

« Pour l’instant », avons-nous ajouté.

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