▪ La séance des « Quatre sorcières » n’a pas donné lieu a des écarts de cours spectaculaires vendredi. Les investisseurs ne se sont pas donné la peine de propulser les indices vers de nouveaux sommets pour terminer la semaine au zénith puisque les jeux étaient faits dès jeudi soir.
La performance trimestrielle s’établit à +4% en moyenne pour Wall Street. C’est plutôt bien payé compte tenu du marasme immobilier, du taux de chômage et du niveau correct mais sans surprise des profits du quatrième trimestre 2009.
Le seul effort qui fut consenti consista donc à soutenir les cours au moment du fixing d’ouverture. Cela fut fait de façon magistrale sur le Dow Jones, puisque l’indice historique a inscrit un plus haut annuel à 10 808 points trois minutes après la reprise des cotations. Il a ensuite basculé dans le rouge au bout d’un quart d’heure pour ne plus en ressortir jusqu’à la fin de la séance.
Grâce à un sursaut de dernière minute, le Dow Jones a limité son repli à 0,35%, à 10 740. Cela lui a permis de clôturer symboliquement au-dessus de son précédent zénith des 10 730 points de la mi-janvier. Le Nasdaq a reculé de 0,7% et le S&P 500 de 0,5%… ce qui n’invalide pas la tendance haussière en vigueur depuis le 5 février dernier — mais ce n’est pas l’information décisive.
Les valeurs technologiques n’ont grappillé que 0,5% sur la semaine écoulée et le Dow Jones 0,95%. Si les scores avaient été inverses, cela n’aurait pas desservi les desseins de ceux qui ont assuré leur mainmise sur les marchés depuis début mars. Leur but principal était de juguler tout accès de volatilité depuis plus d’un mois afin d’encaisser la « valeur temps » sur les dérivés qui expiraient ce vendredi.
▪ La meilleure illustration nous est fournie par la Bourse de Paris, qui s’est effritée de 0,32%, ou l’Eurostoxx 50, qui a perdu 0,54%. Ils terminent la semaine globalement à l’équilibre après cinq séances d’étroites oscillations au sein d’un corridor qui demeure légèrement ascendant.
Les actions semblent durablement décorrélées de la toile de fond économique. Le CAC 40 n’a pas réagi au plongeon de 9,4% des commandes à l’industrie au mois de janvier dans l’Hexagone — et pas davantage à la rechute hebdomadaire de 1,8% de l’euro vers 1,3530 $.
Pour l’ensemble des indices boursiers, le repli hebdomadaire du baril de pétrole sur le NYMEX (-2,5% à 80,20 $) n’a pas non plus eu de conséquences négatives. On finit d’ailleurs par se demander ce qui pourrait en avoir, tant les day traders, les yeux rivés sur leurs indicateurs mathématiques, sont convaincus que tous les voyants ne peuvent que rester au vert, en l’absence de tout signe technique précurseur d’une consolidation. Toute tentative de repli est impitoyablement mise en échec.
Vous pouvez toujours leur expliquer qu’un ratio de six et même de huit séances de hausse pour une seule séance de baisse n’a jamais été observé lorsque la conjoncture économique s’apparentait à une « tempête de ciel bleu », comme lors des périodes de croissance et de plein emploi de 1997 à 2000 ou de 2005 à 2007. Le comportement des marchés ne leur apparaît ni singulier ni exagérément optimiste.
L’Europe qui se déchire sur la question grecque, ce n’est qu’une preuve de plus de notre impuissance politique chronique… La Chine qui menace les Etats-Unis de représailles commerciales si l’accusation de manipulation de la parité yuan/dollar était maintenue, ce n’est qu’un nouvel épisode du jeu d’intimidation récurrent auquel les deux partenaires se livrent depuis le début du XXIe siècle.
Les opérateurs ne voient donc rien se profiler à l’horizon qui mériterait de ressentir un stress et l’indice VIX continue de flirter avec ses planchers de novembre 2007.
▪ Le Congrès américain estime la devise chinoise sous-évaluée de 40%, Pékin la juge à son prix et affirme que ses excédents commerciaux sont en train de fondre. Le marché doit s’imaginer que la visite aux Etats-Unis du vice-ministre chinois du Commerce, Zhong Shan (du 24 au 26 mars) va permettre de rapprocher les points de vue.
Lors des précédents sommets de même nature, la Chine n’a jamais rien concédé. Le discours de Pékin est bien rodé : « l’évolution du yuan est une question de souveraineté nationale et ne doit pas être un sujet de pressions politiques ».
Nous sommes tentés d’ajouter que le durcissement de la Maison Blanche est dicté par la grogne sociale qui s’amplifie sur le territoire américain. Cela pourrait coûter cher électoralement aux démocrates lors du vote législatif de mi-mandat de novembre prochain.
Mais nous savons également que la Chine n’échappe pas non plus à un phénomène de désenchantement croissant. La prospérité d’une classe de privilégiés s’est en effet construite davantage sur la spéculation boursière et immobilière que sur le produit des exportations au cours des 18 derniers mois.
Les banques chinoises ont prêté à livres ouverts en 2009 pour financer la construction de nouveaux logements et surfaces commerciales… alors que des millions de mètres carrés étaient déjà inoccupés à l’automne 2008.
Et les investissements industriels ne sauraient prendre le relais : les excédents de capacité de production sont apparus trop criants dès lors que les clients occidentaux ont commencé à subir le contrecoup de la crise du crédit à la mi-2008.
L’ultime relais de croissance réside donc dans la consommation intérieure. Cependant, des millions de travailleurs pauvres sont retournés dans les campagnes, plus pauvres que jamais car la prospérité des quelques dizaines de millions de Chinois s’est appuyée sur le semi-esclavage de centaines de millions d’autres.
Avec moins de 2 $ de salaire par jour en moyenne, que peut donc s’offrir le milliard de Chinois les plus pauvres ? Et que vaut la richesse de la caste des privilégiés qui ont monopolisé les dividendes de la croissance — lorsque la majeure partie de leur patrimoine est composé d’immobilier et d’actifs boursiers dont la valeur est gonflée à l’hélium ?
Ce syndrome, vous le connaissez bien : il constitue la réplique de bulle japonaise des années 90… en plus rapide, en plus radical, en plus inégalitaire et sans classe moyenne pour garantir la stabilité du système. C’est ce dernier facteur qui a sauvé le gouvernement nippon lorsqu’il a opté pour la voie du surendettement afin de contrer les forces récessionnistes.
Pékin n’a pas vraiment de classe moyenne sur laquelle s’appuyer… mais dispose — selon les optimistes — d’un réservoir « d’excédents » de 2 300 milliards de dollars. Les autorités pourront y puiser pour recapitaliser les banques chinoises si jamais un raz-de-marée de mauvaises créances devait soudain les engloutir, scénario subi par le Japon 20 ans plus tôt.
Fort bien : ces liquidités se présentent majoritairement sous forme de bons du Trésor américain, la Chine n’aura qu’à les revendre. En principe, il n’y a rien de plus simple… mais en pratique, répondez donc à la question qui tue : à qui ?