La Chronique Agora

Quelques dernières bourrasques pour faire tomber le bois mort

** Nous devons bien admettre que le rebond du CAC 40 (en direction des 5 200 points, soyons un peu ambitieux) sur lequel nous tablons depuis le 18 mars dernier semble avoir du plomb dans l’aile.

Mais à y regarder de plus près, nous estimons que ce sont les vendeurs qui devraient commencer à éprouver de l’inconfort : la grêle de mauvaises nouvelles qui s’est abattue sur les marchés depuis les dernières statistiques de l’emploi américain (le 4 avril) n’a pas détruit de façon irrémédiable les bourgeons de la reprise qui avaient éclos dès la mi-mars.

Certes, les séances de repli s’enchaînent presque inexorablement depuis le 8 avril et nous venons d’aligner une cinquième baisse qui porte à -4% le score du marché parisien en une semaine… Un tel scénario n’avait plus été observé depuis la période du 27 février au 4 mars dernier et le pessimisme gagne en intensité à mesure que l’horizon macroéconomique s’obscurcit. L’hiver boursier traîne en longueur, mais ce n’est pas une raison suffisante pour qu’une majorité d’opérateurs écarte l’anticipation de conditions plus printanières.

Le CAC 40 efface la quasi-totalité des gains engrangés depuis le 1er avril… mais le score du second trimestre 2008 demeure encore positif de +1%, à 4 766 points. Au lendemain du profit warning de General Electric, nous redoutions que l’indice phare ne vienne refermer le gap des 4 553 points, du 20 mars dernier.

Et nous pensons que ce ne sera pas le cas en dépit de la faiblesse du dollar… de la flambée symétrique du pétrole, à 111,5 $… de la résurgence des inquiétudes au sujet de la croissance… du profit warning de Philips ce lundi… de lourde pertes chez Wachovia, obligé de lever dans l’urgence sept milliards de dollars… du coup de tabac sur les marchés asiatiques (-3% à Tokyo, -5,6% à Shanghai)… sans oublier les 2,6% de pertes du Nasdaq vendredi dernier.

** Compte tenu de ce qui précède, nous jugeons plutôt rassurant le recul de -0,66% du CAC 40 hier, dans un volume relativement modeste de 4,5 milliards d’euros ; il perdait au pire 1% lundi matin.

Si le courant vendeur fut peu intense, pas moins de 90% des titres inscrits sur le SBF 120 s’inscrivaient en repli (37 sur 40 au sein du CAC 40). Le SBF 80 a chuté de 1,15%, témoignant de la plus grande vulnérabilité des valeurs moyennes, théoriquement moins corrélés à la croissance mondiale (par opposition aux multinationales composant l’Eurotop 100) et plus sensibles aux « conditions locales », qui vont en empirant dans la Zone euro.

Le salut viendra probablement de Wall Street, car le moment est venu de casser la spirale baissière alors que le Dow Jones reculait encore de 0,2% lundi matin, enfonçant le palier des 12 300 points, à 12 280 points. Mais nous serions surpris de le voir aligner une sixième séance de baisse consécutive alors que le S&P 500 revient au contact du support majeur des 1 330/1 325 points.

** Notre principale inquiétude a trait à la hausse continue du pétrole depuis huit jours — et depuis le plancher des 99,7 $ du 2 avril. En effet, le redressement des actions ne pourra s’enclencher qu’à partir du moment où les spéculateurs seront convaincus qu’ils ont extrait les ultimes atomes de carbone (cela va du charbon au diamant) du gisement de profits des marchés de matières premières.

Comme l’indiquait Simone Wapler vendredi dernier, nous sommes entrés de plein pied dans une « phase maniaque » pour le pétrole et certains métaux rares. Ce n’est probablement que le début d’un cycle… et de violentes corrections peuvent — sinon doivent — se produire, ne serait-ce que pour permettre aux « mains fortes » qui font la tendance de se débarrasser des suiveurs ; c’est ce qui s’appelle « faire tomber le bois mort ». Cela leur permettrait de s’assurer une meilleure prise pour tirer les cours encore plus haut lors de la prochaine vague ascendante. Les fondamentaux sont de leur côté… mais il y a trop d’amateurs au courant de la combine !

Il s’agit de les faire douter… et pour ce faire, rien de mieux que de redonner la parole aux stratèges : ils n’auront aucune peine à démontrer qu’une envolée inversement proportionnelle du baril par rapport à l’effondrement de l’activité industrielle aux Etats-Unis depuis six mois, cela n’a aucun sens !

** Mais dans un monde où tout n’est qu’arbitrage, la fuite devant le dollar l’emporte sur toute autre considération. Cela risque de demeurer le cas tant que la Fed n’émettra pas un signal suffisamment clair pour être bien compris par ceux qui sabrent le billet vert concernant l’interruption imminente du cycle des assouplissements monétaires. Ben Bernanke a en théorie jusqu’au 29 avril pour infléchir son discours dans le sens d’une plus grande préoccupation à l’égard des pressions inflationnistes.

Si le billet vert « doit » remonter, un autre moyen — souvent efficace et peu gourmand en capitaux — consiste à accréditer la thèse de l’émergence d’un consensus en ce sens au sein du G7 finance, qui se réunissait le week-end dernier à Washington.

La volonté de stopper la spirale baissière se traduirait déjà par de discrètes interventions sur le marché des changes dès que les parités se rapprochent de 1,59/euro, un franc suisse et de 100 yens… mais tout cela ne peut fonctionner que si un « doute raisonnable » est déjà installé dans l’esprit des opérateurs.

Les économistes savent qu’aucune offensive monétaire ne pourra faire remonter durablement le dollar… mais les cambistes savent également qu’il y a mieux à faire avec l’argent des clients lorsque les vents deviennent contraires. Autant prendre de (copieux) bénéfices sur le pétrole et l’euro en attendant tranquillement que la Maison-Blanche mette au point une nouvelle campagne de stigmatisation de l’Iran ou du Soudan (menace de sanctions, voire de bombardements) — ce qui est toujours du meilleur effet sur l’électorat conservateur lorsqu’un candidat républicain brigue la présidence !

Philippe Béchade
Paris

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