La Chronique Agora

Quelques cachotteries à huit milliards de dollars

** Le marché parisien parviendra-t-il à clôturer l’année 2007 sur une performance positive ou se contentera-t-il de nous restituer notre mise (frais non déduits) le 31 décembre à 14h ? Heure qui, je vous le rappelle, sera la clôture officielle des cotations à Paris. Pour Wall Street, il faudra attendre jusqu’à 19h30.

Le suspens ne nous apparaît pas considérable : « tout ça pour ça », autrement dit presque rien — ou moins que rien — pour les valeurs du CAC 40 ! Les principaux acteurs institutionnels mettront peut- être un point d’honneur à effacer une perte potentielle de 1% pour le SBF 120 qui s’épuise à re-franchir les 4 000 points depuis le lundi 17 décembre, en regard d’un zénith inscrit à 4 500 points mi-juillet.

Ils ont d’ores et déjà renoncé à soutenir les valeurs dites « moyennes » puisque les 7% perdus par le SBF 80 apparaissent irrattrapables au cours des seules trois journées de bourse restantes : deux sessions complètes les 27 et 28 décembre et deux demi-séances les 24 et 31 décembre.

** Il ne faudra pas trop compter sur Wall Street pour jouer les « pères Noël » d’ici le soir du réveillon, car les statistiques du jour avaient valeur de piqûre de rappel concernant l’inflation et les prémices d’un brusque ralentissement économique. Les dépenses de construction de logements neufs ont notamment plongé de 20,5% au troisième trimestre.

Voilà qui nous rappelle de bien mauvais souvenirs : le même scénario s’était matérialisé en 1991. Les investissements dans l’immobilier résidentiel s’étaient effondrés de 21,7%, annonçant la pénible récession des années 1992/1993.

Les indicateurs avancés du Conference Board vont dans le même sens : ils reculent de 0,4% au mois de décembre après une baisse de 0,5% en octobre et une hausse symbolique de 0,1% en septembre.

Nous vous avons gardé le chiffre le plus significatif pour la fin ! L’activité manufacturière dans la région de Philadelphie a sévèrement rechuté au mois de décembre : l’indice Philly Fed dévisse de 8,2 en novembre à -5,7, atteignant un plus bas depuis quatre ans.

Wall Street n’en a pas fini avec ses questionnements au sujet des perspectives 2008 : si la croissance américaine — publiée plus tôt dans l’après-midi — a été confirmée à 4,9% au troisième trimestre, le baromètre de l’inflation le plus suivi par Ben Bernanke et ses collègues (l’indice PCE) a connu une petite poussée de fièvre : 2% contre 1,8% lors des précédentes estimations et 1,4% au deuxième trimestre.

Ce n’est qu’un minuscule échantillon de ce que le quatrième trimestre nous réserve, avec une flambée de 11% des prix à l’importation en rythme annuel, une hausse de 3,2% des prix à la production et un taux d’inflation à 4,3% au mois de novembre, soit 2,3% hors variables volatiles telles que nourriture et énergie.

** Dans le même temps, les économistes calculent que la Chine doit faire face à une dérive des prix supérieure à 7%. Cela devient problématique, à neuf mois des Jeux olympiques, car les autorités monétaires n’ont maintenant plus que deux choix. Soit intervenir dès le début de l’année en durcissant les conditions monétaires pour calmer le jeu — au risque de provoquer l’éclatement de la bulle boursière, qui a commencé à se dégonfler depuis début novembre –, soit « laisser faire » pour entretenir l’euphorie, au risque de voir la situation devenir rapidement incontrôlable.

La Chine manquerait déjà de matières premières avec une croissance contenue à +10% (contre +11% actuellement) et pourrait déstabiliser les marchés mondiaux si les donneurs d’ordres — qui savent que le cycle inflationniste est amorcé — se mettaient à sur-stocker des métaux et du pétrole en prévision d’un inéluctable dérapage des cours avant la mi-2008.

La Chine est la principale responsable de l’envolée — l’image est hardie !– du plomb depuis le coup d’accélérateur de fin 2001. Le prix de ce « vil métal » a été multiplié par neuf, celui du cuivre et du pétrole par quatre, celui du blé par 3,3 et l’or ou l’argent par trois « seulement ».

Mais le champion toutes catégories confondues demeure l’uranium, dont le cours a été multiplié par 11 en six ans. Ceux qui lisent Matières à profits et qui sont de fidèles lecteurs de l’Edito Matières Premières d’Isabelle Mouilleseaux sont déjà familiers de ce tableau.

Il ne nous paraît cependant pas inutile d’insister sur la relative modération de la hausse de l’or (exprimée en dollars), qui une fois convertie en euro n’apparaît pas plus spectaculaire que la hausse des actions à la bourse de Londres ou de Francfort, actions qui n’ont pas encore intégré les perspectives d’inflation qui se profilent en 2008. Cette hausse du métal jaune s’avère carrément dérisoire en comparaison de l’explosion de la masse monétaire américaine.

** Et la Fed puis la BCE s’empressent d’injecter des liquidités dans le système : il s’agit de prêts d’argent aux banques. Mais cela revient quand même à créer un effet « corne d’abondance » alors que les établissements financiers dévoilent des pertes de plus en plus considérables sur les subprimes et autres dérivés de créances immobilières.

Morgan Stanley vient d’inscrire 9,4 milliards de dollars de dépréciation en l’espace de deux mois, Bear Stearns, lui, perd 1,9 milliards de dollars. Mais le champion toutes catégories en matière de pertes potentielles sur les CDO et autres CDS est l’assureur-crédit MBIA qui avoue l’inscription de provisions pour un montant record de 8,15 milliards de dollars !

Autant de pertes potentielles qui avaient été soigneusement dissimulées aux analystes et aux agences de notations, ce qui alimente encore un peu plus la paranoïa concernant les « cadavres dans les placards », une épée de Damoclès qui gèle toutes transactions entre les divers acteurs impliqués dans les dérivés de crédit depuis le début du mois d’août.

Si les intermédiaires financiers ne se font plus confiance (trop conscients qu’ils ont majoritairement quelque chose à cacher), si les liquidités cessent de circuler dans les tuyaux économiques de New York à Los Angeles, si les ménages américains ne trouvent plus de solutions de refinancement ni d’espace d’endettement supplémentaire sur leurs cartes de crédit, le moteur de la consommation pourrait caler dès le début de l’année 2008 et entraîner les Etats-Unis dans la récession.

** Et puisque nous sommes parvenus à la période des voeux, afin de ne pas nous exposer au soupçon de n’envisager l’avenir qu’en gris très foncé, nous voudrions évoquer une version optimiste et bénéfique du phénomène de contraction de l’activité qui se profile au cours des prochains mois : elle a pour nom la « dé-croissance ».

C’est un concept politique, économique et social se plaçant à l’opposé du consensus politique actuel autour de la croissance économique. La dé-croissance en tant que projet choisi — et non subi — bouscule l’idée dominante selon laquelle l’augmentation du PIB conduit mécaniquement à celle du « bien-être social »… le prix à payer étant le dérèglement du climat, la pollution et l’épuisement de notre écosystème.

Les économistes, confrontés à des phénomènes comme le Peak Oil, la déforestation, le réchauffement de la planète et la multiplication des catastrophes naturelles, se trouvent contraints de réintroduire dans la science économique un paramètre fondamental : le capital naturel. En ce domaine, impossible de renouveler artificiellement les ressources en voie d’épuisement en imprimant des « crédits carbone » exerçables sous forme de pétroliers, en émettant des « calls warrants tek de Birmanie », des emprunts convertibles « thon albacore ou cabillaud de l’Atlantique Nord ».

Nulle banque centrale ne peut renouveler le capital naturel en faisant tourner une planche à billet… mais les économistes ont trouvé depuis longtemps la parade : ils placent religieusement leurs espoirs dans la toute puissance de la science.

Une des illustrations les plus symptomatiques — et l’une des plus caricaturales — de notre civilisation réside dans ce syndrome de l’obésité qui touche plus du tiers de la population américaine.

Les autorités US engloutissent des sommes faramineuses pour résoudre ce problème de manière « scientifique » ; les plus grands laboratoires de la planète espèrent tirer des milliards de dollars de profits de la commercialisation de nouvelles molécules miracle permettant à l’organisme d’éliminer sa surcharge pondérale (sans éprouver l’envie de se jeter du haut du Grand Canyon).

La bonne solution consisterait tout naturellement à adopter un régime alimentaire plus équilibré… mais plutôt que de remettre en cause notre mode de vie boulimique, nous optons pour la fuite en avant avec la recherche de solutions techniques afin de répondre à un problème de style de vie.

Cette attitude ne fait qu’accélérer le mouvement destructif de notre planète et de notre santé. En fait, si la dé-croissance nous semble utopique et inenvisageable sur un plan pratique, la barrière se situe d’abord dans nos têtes… mais elle commence à s’imposer d’elle-même lorsque le consommateur passe à la pompe, achète un billet d’avion ou renouvelle le mobilier de son salon.

Al Gore, ainsi que tous ceux qui tirent la sonnette d’alarme, ne recommandent rien d’autre que de privilégier une exploitation raisonnée des ressources de la planète.

Ce choix de la sobriété heureuse, de la simplicité volontaire (qui est aussi celui de la responsabilité) nous invite à opter pour un mode vie moins gourmand en matières premières et en énergie. Cela commence par un renoncement à « l’acte d’achat » en tant qu’exutoire aux frustrations du quotidien ou comme manifestation d’une différenciation sociale ostentatoire ; vous connaissez mieux tout ceci sous une autre appellation qui semble constituer le Graal des populations des pays émergents et « émergés » puisqu’il s’agit de… l’American Way of Life !

Méfions-nous cependant de ceux qui joueraient à « plus dé-croissant que moi tu meurs » : les plus radicaux finiraient par transformer cette attitude citoyenne en geste religieux puis en posture moralisatrice et bientôt policière.

Certains candidats à la Mairie de Paris se proposent par exemple de supprimer les voies sur berges et de transformer le périphérique en gigantesque piste cyclable dès 2012. Si la capitale n’a pu obtenir les Jeux olympiques, les habitants des banlieues, contraints de renoncer à leur voiture pour cause d’embouteillages apocalyptiques, pourront participer chaque jour — mallette à la main — au plus formidable marathon jamais organisé dans notre pays… on respire, mais l’Ile-de-France expire !

Il ne s’agit pas de remplacer une logique mortifère par une autre : une fois enclenchée une prise de conscience écologique, sociale et politique, la dé-croissance choisie pourrait aboutir à la désaliénation progressive de nos civilisations industrialisées (vis-à-vis de la logique économique productiviste et consumériste) au profit d’un objectif consistant à vivre avec « moins de biens mais plus de liens ».

Philippe Béchade,
Paris

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