Les potentielles paniques bancaires ne sont pas un si grand problème. En revanche, deux autres problèmes bien réels réduisent les marges de manœuvre des banques.
La faillite de Silicon Valley Bank (SVB) a obligé nos responsables politiques à prendre la parole pour convaincre les marchés de la solidité des banques européennes.
Dans un numéro d’auto-persuasion bien rodé, nos dirigeants ont tenté de nous prouver que les circonstances qui avaient emporté SVB ne risquaient pas de mettre en péril nos fleurons bancaires.
Ce faisant, ils ont réussi la double prouesse de se focaliser sur un faux problème (le bank run, qui reste une épée de Damoclès pour tout établissement de crédit) tout en niant que le contexte de hausse des taux apporte son lot de menaces contre lesquelles les banques européennes sont bien peu armées.
Le vrai-faux problème du bank run
La faillite de SVB a été précipitée par les retraits massifs des déposants. C’est le manque de liquidités qui a obligé la banque à vendre, le 8 mars, pour plus de 20 Mds$ d’obligations, encaissant immédiatement une perte comptable de 1,8 Md$. En quelques heures, la panique a gagné le microcosme de la Silicon Valley qui, bien informé et hyper-connecté, a tenté de retirer ses actifs au plus vite.
La suite, vous la connaissez : le sauve-qui-peut des déposants a créé un besoin en cash qui a largement dépassé la masse d’actifs réalisables de la banque.
Le fait que la banque dispose d’un ratio de fonds propres « common equity tier one » (CET1) de 12% – même s’il est vrai que la banque se permettait des largesses comptables en ne valorisant pas ses actifs au marché – n’a pas permis de couvrir le besoin en liquidités. Aucun établissement bancaire ne pourrait faire face à une telle fuite des déposants : le mouvement de foule qui a emporté la SVB aurait les mêmes effets sur BNP Paribas (CET1 de 12,3% fin décembre), ou sur la Société Générale (13,5%).
Sur les 24 heures précédant la faillite, les déposants avaient tenté de retirer pour plus de 42 Mds$ des comptes de SVB – le double des liquidités disponibles de la banque. Sur deux jours, l’ardoise dépassait les 140 Mds$.
En ce sens, vanter les ratios de solvabilité confortables de nos établissements est un contre-sens, car eux non-plus ne pourraient pas répondre à une telle fuite des dépôts.
Un bank run est l’équivalent bancaire d’une guerre thermonucléaire : l’important n’est pas de savoir y répondre (l’organisation du système bancaire rend cela impossible) mais de pouvoir l’empêcher. C’est exactement ce qui a été fait avec la SVB en garantissant les dépôts pour rendre toute fuite des capitaux inutiles ; et c’est aussi ce qui est prévu en Europe avec les lois « coupe-circuits » qui permettent de geler les dépôts des particuliers et des entreprises.
La problématique des mouvements de panique écartée, reste le problème structurel de l’érosion naturelle des dépôts et de la disparition de sources de liquidité. Il produit, de manière plus insidieuse, les mêmes effets qu’un bank run.
Quand les dépôts à vue s’évaporent
Depuis l’avènement des taux zéro, particuliers comme entreprises avaient pris pour habitude de laisser dormir leurs liquidités sur des comptes courants.
L’épargne sans risque ne rapportant rien, les banques ont pu profiter durant une décennie de cette manne d’argent gratuit constituée des sommes laissées sur des dépôts à vue.
Or, la hausse des taux de rémunération de l’épargne incite les acteurs économiques à des arbitrages.
Le Livret A, dont le taux est fixé par les pouvoirs publics, devient un gouffre pour les établissements financiers. Sur le seul mois de janvier, les dépôts nets ont dépassé les 9 Mds€, un plus haut depuis 2009. Ses encours, ajoutés à ceux du LDDS, ont battu leur record historique en dépassant les 520 Mds€.
Pour garder le contrôle de l’épargne des professionnels, les banques n’ont eu d’autre choix que de dépoussiérer leurs offres de comptes à terme. Elles offrent aujourd’hui des rendements de plus de 2,5% sur les comptes en euros, et plus de 3% sur le dollar.
Cet argent versé sur des livrets rémunérés provient en grande partie des comptes à vue. Selon la BCE, la masse totale des dépôts n’a crû que de 1,9% entre février 2021 et février 2022. Un chiffre légèrement positif qui masque une tendance baissière enclenchée ces derniers mois.
Tous déposants confondus (particuliers, entreprises, et institutionnels), la quantité de dépôts à vue en zone euro a fondu de 143 Mds€ entre décembre 2022 et février 2023, dont la moitié sur le seul mois de février. En France, la tendance générale est même déjà baissière sur un an, de 6,7%.
Les pis-aller que sont les livrets rémunérés permettent certes aux établissements de conserver des liquidités dans leurs livres, en évitant que les déposants sortent leur argent du circuit bancaire… mais ils se font au prix d’une coûteuse rémunération.
Ainsi, la rentabilité des établissements sur 2023 risque d’être bien différente de ce qu’elle était en 2022. Pour ne rien arranger, à la baisse prévisible des produits nets bancaires vient s’ajouter un assèchement des sources de liquidités.
Vers une nouvelle falaise de la dette ?
En 2020, la BCE a lancé une nouvelle vague d’impression monétaire avec les TLTRO, des facilités de crédit offertes aux banques en l’échange du soutien de l’économie.
En pratique, la BCE incitait les banques à fournir des prêts aux entreprises et aux ménages, et leur offrait en échange des financements à taux négatifs (jusqu’à -1%).
Le succès a été au rendez-vous, et l’enveloppe totale des TLTRO a augmenté durant la pandémie jusqu’à dépasser les 2 000 Mds€. Depuis, la BCE a changé son fusil d’épaule et fait feu de tout bois pour réduire les liquidités. Elle a déjà rappelé pas moins de 800 Mds€, mais il reste encore 1 200 Mds€ à rembourser – dont 500 d’ici la fin du mois de juin.
Or, les matelas de sécurité des banques sont dans une tendance baissière. Selon Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG, les établissements européens ne disposeraient actuellement que de 4 000 Mds€ de liquidités. Le seul remboursement des TLTRO engloutirait ainsi plus du quart de la somme, et les disparités entre établissements sont importantes. Les banques italiennes, par exemple, sont dans l’incapacité d’assurer les remboursements de TLTRO prévus avant la fin 2024.
La situation est d’autant plus critique que les émissions obligataires sont totalement figées. Depuis que les autorités suisses ont décrété l’annulation de 16 MdsCHF d’AT1 de Credit Suisse, normalement prioritaires par rapport aux actions, les émissions d’AT1 ont purement et simplement cessé.
Pour répondre au besoin en liquidités causé par le remboursement des TLTRO sans nuire à leurs ratios de solvabilité, les banques risquent de n’avoir d’autre choix que de faire appel au marché en émettant de nouvelles actions.
Pour les actionnaires, ce sera une double peine. Non seulement les bénéfices risquent d’être orientés à la baisse du fait de la disparition progressive de l’argent gratuit des dépôts à vue et des prêts de la BCE à taux négatif ; mais ces bénéfices devront également être partagés entre plus d’actionnaires, si les banques se recapitalisent.
Les conséquences de la hausse des taux ne font que commencer pour le secteur bancaire. L’exercice 2023 promet d’être à haut risque – et ce même en l’absence de bank run.