La Chronique Agora

Quel genre d’idiots sommes-nous ?

salaire, investissement, inflation

Des histoires de prix, productivité et préférences… et comment se rendre là où l’on veut vraiment aller.

L’un de nos chers lecteurs nous a écrit pour nous dire, précisément, à quel point nous sommes stupides. Selon lui :

« La chose la plus ridicule, folle et imbécile que j’aie jamais lue venant de vous est la soi-disant ‘comparaison’ entre le coût d’un pick-up du début des années 1970 et un pick-up de 2020. »

Ce doit être un nouveau lecteur. Nous sommes certains d’avoir, au fil des ans, écrit des choses bien plus stupides que celle-là.

Le cœur de notre idée était que les travailleurs obtiennent un revenu en vendant leur temps. Ainsi, ce qui compte vraiment, c’est combien ils peuvent gagner par heure. En 1948, quand les F-Series de Ford ont commencé à être produits, chaque heure de travail, avec un salaire moyen de 40 cents, permettait d’acheter 1/3 000e du pick-up.

Hier, quand nous avons recherché le salaire horaire médian en 2023, nous avons trouvé 11 $. Aujourd’hui, nous trouvons – de ListFoundation – 16 $ et des poussières. Le salaire moyen est bien différent. Il inclut les salaires des dirigeants de Wall Street et autres sportifs reconnus. Il est de plus de 28 $ de l’heure. Mais il n’a pas d’importance. Le salaire médian mesure ce que la majorité des gens reçoivent en réalité… alors gardons-le comme référence.

Pour ou contre ?

A 16 $ de l’heure, un type peut acheter – devinez… – 1/2937e du nouveau F-150 de Ford. Presque autant qu’il y a 75 ans. Mais, alors que de nouvelles technologies ont amélioré le véhicule, elles auraient aussi dû améliorer son processus de production à la même vitesse. Les chaînes d’assemblage automatiques, nouveaux plastiques, robots – auraient dû rendre le pick-up moins cher à produire. Et ils auraient dû rendre le travailleur plus productif… et augmenter son salaire, aussi.

Mais d’autres études montrent la même chose. Les salaires, ajustés de l’inflation, n’ont pas augmenté depuis plus d’un demi-siècle.

Voici les chiffres du bureau des statistiques du travail, compilés par la Fed :

Revenus hebdomadaires médians ajustés de l’inflation des hommes de 16 ans et plus travaillant à temps plein (1979-2023)

Nous avons aussi reçu une réponse de George Gilder et Gayle Pooley – deux des principaux défenseurs du concept de « prix-temps » (l’idée que les prix sont en réalité des « jetons de temps »). Ils sont d’accord avec notre cher lecteur, et soutiennent que nos chiffres sont tous faux… et que le dernier F-150 est de loin supérieur au pick-up de 1948.

Mieux ou pire ? 

Nous n’avons pas vraiment d’objection à l’une et l’autre de ces critiques. Les chiffres sont malléables et évasifs. Et en ce qui concerne le pick-up en question, nous en possédons un vieux modèle… et un nouveau ; le nouveau est définitivement beaucoup mieux. Trois fois mieux (d’où la hausse du prix) ? Probablement pas. Pour aller faire des courses ou transporter des choses sur de courtes distances, l’ancien est aussi pratique que le nouveau. Pour de longs trajets, en revanche, le nouveau se distingue de l’ancien.

Nous sommes d’accord, aussi, avec l’idée des « prix-temps » ; c’est une manière bien pratique de mesurer le progrès approximatif de l’humanité. Notre problème avec cette idée est qu’elle manque de quelque chose. Elle dépeint le travailleur en deux dimensions… sans chair, sans cœur… sans jalousie et sans aptitude à la trahison. Elle échoue à prendre en compte quel genre d’idiots nous sommes vraiment – prêts à faire des divisions de jour, et hurler à la lune la nuit. Nous ne mesurons pas notre progrès en « prix-temps », mais en nous comparant à nos voisins, beaux-frères et parents.

Sommes-nous dans une meilleure situation ?

Grâce au capitalisme et aux combustibles traditionnels, même le plus humble travailleur américain peut manquer des fruits et légumes en toute saison. Il peut apprécier des divertissements – jour et nuit, 365 jours par an – que Louis XIV ne pouvait même pas imaginer. Il peut traverser les Etats-Unis en Chevrolet, d’une côte à l’autre, la climatisation allumée, en écoutant l’album Stardust de Willie Nelson, pour environ 500 $ d’essence. Même au salaire médian, ça représente environ 4 jours de travail. Et il n’a même pas besoin d’« acheter » le pick-up. Il peut le financer… le payer, petit à petit, mois après mois. Et l’essence, comme les sandwichs, peut être achetée à crédit aussi.

Et maintenant, grâce aux prodiges de la communication électronique, il peut regarder de la pornographie sans se rendre dans un cinéma délabré d’un coin mal famé de la ville… et, s’il grossit trop, il pourrait même obtenir une pension d’invalidité.

La voilà… la colonne vertébrale de l’économie américaine. Le citoyen construit des choses. Il les répare. Il les fait fonctionner. Et l’argent qu’il gagne – chaque centime – est recyclé dans l’économie, en chiffre d’affaires et profits… pour que les affaires continuent.

Sauf que voilà… il dépend du crédit, alors même que le crédit se resserre et que les taux remontent. Son pick-up est financé. Sa maison est hypothéquée. Il a très peu d’épargne. Presque aucun capital. Pas une grosse marge d’erreur.

Alors que les riches se sont enrichis, il a fait du sur-place… et, d’après nos calculs, il s’est même appauvri.

« Et alors ? », se demande notre cher lecteur. Est-ce si grave qu’il dépende du crédit ? Est-ce si grave qu’il soit lourdement endetté ? Est-ce si grave si ses représentants élus au nord de Richmond le prennent pour un idiot ?

Et alors ?

Et alors… rien. Nous essayons simplement de comprendre ce qu’il se passe… et de deviner où tout cela mène.

Gagnant ou perdant ?

Pourquoi est-ce que toute cette « tech » et tout ce crédit n’ont pas amélioré la situation de notre travailleur moyen ? Plus de scientifiques. Plus de capital. Plus de doctorants. 8 000 Mds$ de « relance » déversés par la Fed. Plus d’économistes. Plus de technologie. Plus de « connaissances » accumulées… accessibles sur nos ordinateurs. Nous n’avons même plus besoin de penser pour nous même désormais ; nous avons l’IA. Et qui n’a pas encore lu le livre classique de Jack Welch, Winning ? Jack y a tout expliqué. Tout ce que nous avions à faire selon lui, c’était d’emprunter beaucoup d’argent, d’acheter des entreprises, et d’embaucher de nouveaux patrons pour les faire tourner.

Cela semblait si simple. Sauf que… ça n’a même pas fonctionné pour Welch. Son empire (General Electric) s’est étendu… puis, alourdi par ses dettes et dysfonctionnements… il s’est contracté. Aujourd’hui, l’action du groupe vaut moins que fin mai 1997… il y a environ 25 ans.

L’idée de Jack semblait originale… mais elle n’avait rien de nouveau. Débarrassée de son jargon à la mode, elle prouvait ce que nous savons déjà : que le crédit n’est utile que lorsqu’il permet d’augmenter la rentabilité et la productivité. S’il ne sert qu’à acheter des choses – que ce soient des biens de consommation ou des entreprises – il est inutile.

Cette idée est également valable pour les comptes publics. La Fed, avec son dollar libéré de l’or, post-1971, pouvait fournir du crédit. Welch, en avance sur son temps, l’a utilisé dans les années 1980 et 1990 pour construire un empire industriel chancelant. Les consommateurs l’ont utilisé pour s’acheter des télévisions grand écran et des comptoirs en granit. Les autorités américaines l’ont utilisé pour payer, entre autres choses, une guerre de 20 ans, sans ennemi particulier ni motivation particulière.

Et maintenant, le crédit devient plus cher… la vis se resserre… et le cycle de crédit (qui revient à se débarrasser des mauvaises dettes) devient douloureux, surtout pour le prolétariat qui en dépend.

Vous pouvez gonfler une économie – temporairement – avec du crédit. Les gens pensent que c’est de la vraie « monnaie ». Ils pensent que leurs salaires augmentent… que les prix de leurs actions montent… que les chiffres d’affaires sont en croissance. Plus tard, ils découvrent que ce boom était frauduleux. C’était un aller-retour vers le néant.

Et si c’était aussi vrai de la « technologie » ? Et si elle était surtout une distraction… une diversion… un divertissement oisif ? Les dot-com… les cryptos… internet… TikTok… l’IA – le crédit pas cher de la Fed les a tous fait grimper en Bourse, l’un après l’autre. Mais on peut se poser une question : et si, comme General Electric à l’ère Welch, les guerres américaines ou les rachats d’actions de Wall Street, toutes ces lubies ne créaient aucune valeur, mais en faisaient perdre, en absorbant du temps et des ressources qui pourraient être mieux utilisés ailleurs ?

Le nouveau F-150 serait équipé de 1 000 puces de silicium. Et si aucune d’entre-elles ne vous emmène là où vous voulez vraiment aller ?

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