L’annulation de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « dette Covid » par la BCE est au cœur d’un vaste débat, mené par quelques initiés majoritairement en faveur de l’annulation. Nous parions sur la victoire finale des partisans de l’annulation, dans les deux ans à venir : voici ce que vous risquez dans ce cas de figure.
La question de l’annulation de la dette occupe beaucoup tous ceux qui se passionnent pour cette affaire mystérieuse, dont les termes sont d’ailleurs mal expliqués aux citoyens.
On doit ce manque de transparence à l’approximation générale qui règne dans les esprits parisiens, y compris ceux de l’IFRAP, think tank bien connu qui a publié une tribune floue sur le sujet.
Dans ce texte sans surprise, Agnès Verdier-Molinié décrit tous les inconvénients de ne pas rembourser une dette. Ce faisant, elle ne répond pas exactement à la question posée par les économistes de gauche et par Jean-Luc Mélenchon lui-même. Il n’est donc pas inutile ici d’expliquer clairement l’originalité de la proposition que l’IFRAP n’a pas prise en compte.
Voilà où nous en sommes…
La BCE et la dette Covid
Dans la pratique, Thomas Piketty et consorts ne proposent pas exactement de ne pas rembourser la dette publique. Ils proposent de ne pas rembourser la portion dont la Banque centrale européenne est détentrice. Les experts estiment cette portion à 25% du total européen, ce qui suppose des examens pays par pays pour préciser le chiffre.
Le raisonnement, en soi, n’est pas absurde. Tout le monde sait que, à l’occasion du Covid, la BCE a massivement racheté les dettes émises par les membres de la Zone euro et souscrites par les marchés. Les Etats membres de la zone n’ont d’ailleurs osé émettre des dettes massives en plein désarroi économique que parce que la BCE apportait une garantie de rachat immédiat auprès des souscripteurs.
On se souvient que les traités européens interdisent à la banque centrale d’acheter directement la dette des Etats. Dans l’affaire du Covid, les formes juridiques ont été respectées, mais personne n’est dupe : la BCE a largement créé de la monnaie pour éviter la déconfiture générale.
Cette monnaie n’est pas une créance privée, et une annulation au moins partielle de son remboursement ne lèserait personne d’autre que la BCE elle-même.
Ne fantasmons pas sur les risques directs des épargnants
En l’espèce, il ne s’agit donc pas de tirer un trait de plume sur les créances détenues par les assureurs-vie ou pire, par les épargnants qui auraient d’une façon ou d’une autre souscrit à des dettes souveraines.
L’annulation qui est proposée ne menace donc pas les épargnants directement. Elle ne les menace qu’indirectement, mais comment ?
L’IFRAP agite le risque d’une remontée des taux en cas d’annulation de la dette : les marchés imposeraient une prime de risque aux annulateurs.
L’argument ne paraît pas très convaincant, puisque dans cette dette Covid, il n’y a pas de marché proprement dit. La dette est « cantonnée » et rien ne permettrait de déduire d’un jeu d’écriture entre le citoyen européen et la BCE sans impact sur des tiers, que les tiers prendraient ombrage de cette situation.
Au contraire, ils pourraient même apprécier que les membres de la Zone euro soient désendettés. Cette décision, paradoxalement, pourrait renforcer la confiance des marchés dans les emprunteurs.
Le vrai risque vient désormais de l’inflation
De notre point de vue, le vrai risque est ailleurs – et il commence malheureusement à se matérialiser. Il s’appelle « inflation », cette nuée d’insectes qui grignote les récoltes au fil des jours.
L’inflation se nourrit de deux facteurs qui commencent à poindre le bout de leur nez. Le premier levier de l’inflation est la crise de l’offre, c’est-à-dire l’existence d’une demande supérieure à la capacité de production. Le prix des vaccins l’a montré : certains se paient très cher parce qu’il y a plus de gens à vacciner que de doses de vaccin disponible.
Le problème avec les plans de relance et les mesures de protection financées par la dette pendant la pandémie tient évidemment au maintien artificiel du pouvoir d’achat.
Jusqu’ici, on ne savait pas trop si ce maintien s’accompagnait ou non d’une crise de l’offre. On commence à comprendre, mais c’est encore très incertain, que cette crise de l’offre pourrait frapper les Etats-Unis avec le plan Biden et contaminer ensuite l’économie européenne.
Un deuxième levier tient à l’augmentation de la masse monétaire (ce n’est en réalité qu’un autre visage de la crise de l’offre), notamment par la planche à billets. C’est cette fameuse dette Covid qui l’a « incarnée » en 2020.
Il est donc très plausible que l’inflation revienne d’autant plus au galop que l’annulation de la dette Covid prouvera définitivement que le chômage partiel et la solidarité ont été financés avec de la monnaie de singe.
Pour l’épargnant, c’est le vrai risque : toutes les valeurs d’usage vont facialement augmenter, dévaluant du même coup la valeur nominale de votre monnaie fiduciaire.
Pour les salariés et le travail, cette augmentation générale des prix peut se résoudre par l’indexation des salaires et des prix. Pour les détenteurs du patrimoine, ce cas de figure sera beaucoup plus compliqué à contourner. Ce sera particulièrement vrai pour les patrimoines financiers, qui risquent d’être usés comme une falaise sous le vent himalayen.
[NDLR : Pour plus d’analyses et de conseils d’Eric Verhaeghe, cliquez ici.]