La Chronique Agora

Que penser des obligations vertes de l’Union européenne ?

obligations vertes

La « dette verte » se développe depuis quelques années et gagne en vitesse en parallèle de la transition énergétique, au point de devenir un investissement presque inévitable dans l’assurance-vie…

L’Union européenne (UE) a, mi-octobre 2021, annoncé le succès de son emprunt obligataire « vert » : 12 Mds€ ont ainsi été levés. Pas de panique pour ceux qui auraient loupé ce premier tour : d’autres sont prévus pour atteindre 250 Mds€ d’ici la fin de 2026, notamment dans le cadre du plan de relance Next Generation EU.

La prochaine émission est programmée pour le courant du premier trimestre 2022. Mais faut-il souscrire à ces green bonds ? Comment fonctionnent-ils, à quoi servent-ils et que rapportent-ils ?

La France a été le premier pays à lancer ses obligations vertes, en janvier 2017, pour un montant de 7 Mds€. Elle a été suivie par la Belgique et l’Irlande (en 2018), les Pays-Bas (2019) et l’Allemagne (2020). Cependant, depuis le début de l’année 2021, ce genre d’emprunts connaît un développement exponentiel : en plus des 12 Mds€ de l’UE, 8,5 Mds€ ont été levés par l’Italie, 7 Mds€ par la France, 6 Mds€ par l’Allemagne et 5 Mds€ par l’Espagne, entre autres.

Pas que des obligations publiques

Les entreprises s’y mettent également, à l’image de de la RATP ou d’Engie en France, d’Innogy ou Deutsche Bahn en Allemagne, et de la banque ICBC en Chine. C’est également le cas des collectivités territoriales (Ville de Paris, Région Ile-de-France), d’organismes publics (Caisse des dépôts, Unedic, Cades), et d’institutions internationales (BEI, Banque mondiale). Selon Bloomberg, en septembre 2021, les émissions de green bonds dans le monde atteignaient déjà 366 Mds€.

Même si ces montants restent marginaux au regard de l’ensemble des émissions obligataires mondiales, ils témoignent d’une tendance : tout le monde veut de la « dette verte », à tel point que l’UE aurait pu lever 135 Mds€ si elle avait satisfait tous les demandeurs.

Un tel engouement s’explique par l’intérêt croissant porté aux questions environnementales, mais pas seulement. Comme nous l’avons déjà expliqué, la réglementation en est sans doute la première cause étant donné que, par exemple, la loi Pacte en France oblige à avoir des produits « verts » dans les contrats d’assurance-vie.

Toujours est-il que les investisseurs demandent du « vert » : 24 des 31 nouveaux ETF obligataires lancés en 2021 l’étaient avec un angle ESG, c’est-à-dire avec des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, selon Antoine Lesné de State Street Global Advisors.

A quoi servent les obligations « vertes » ?

Le site internet du ministère français de la Transition écologique indique que :

« Une obligation verte est un emprunt émis sur le marché par une entreprise ou une entité publique auprès d’investisseurs pour lui permettre de financer ses projets contribuant à la transition écologique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion durable des déchets et de l’eau, exploitation durable des terres, transport propre et adaptation aux changements climatiques…), plus particulièrement les investissements en infrastructures. Elle se distingue d’une obligation classique par un reporting détaillé sur les investissements qu’elles financent et le caractère vert des projets financés. »

Les 12 Mds€ empruntés par l’UE et les autres centaines de milliards prévus à terme serviront ainsi à financer des projets dans le cadre du plan de relance européen. Celui-ci impose aux Etats membres de consacrer au moins 37% de leur plan national à des investissements et à des réformes utiles au climat.

La Commission européenne va donc passer en revue l’ensemble des plans de relance nationaux pour s’assurer qu’ils satisfont au cahier des charges. Les dépenses de chaque pays se verront ainsi attribuer un score (0%/40%/100%) en fonction de leur contribution aux objectifs climatiques. Deux types de rapports seront publiés : des rapports d’affectation des ressources et des rapports d’impact environnemental.

Sinon, les green bonds fonctionnent comme n’importe quelle obligation, avec une échéance souvent lointaine – autour de 20 ans en moyenne. Ainsi, l’obligation « verte » émise par la France en mars 2021 a une échéance en juin 2044 (soit une maturité de 23 ans) et celle de l’UE d’octobre 2021 viendra à terme en février 2037 (15 ans).

Faut-il souscrire à ces obligations ?

Si l’on est convaincu de l’urgence climatique, souscrire à des green bonds va de soi. On peut aussi s’en procurer dans un souci de diversification de son patrimoine. Enfin, il est probable que vous soyez plus ou moins contraint d’en avoir en portefeuille puisque les établissements financiers « verdissent » tous leurs produits.

Cela rapporte-t-il ? C’est la grande question qui n’en finit pas de diviser les experts. Pour certains, les reportings imposés aux obligations vertes coûtent cher et nécessitent d’offrir un rendement moins élevé que les obligations classiques. Par ailleurs, la demande est tellement forte – on l’a vu, l’émission européenne du mois d’octobre a été sursouscrite plus de 11 fois – que l’émetteur peut se permettre d’offrir un moins bon rendement. Toutefois, la multiplication des émissions obligataires vertes risque de rendre caduc ce dernier argument.

D’autres experts soutiennent que le caractère « vert » d’une obligation diminue son rendement pour l’investisseur. Le Bulletin de novembre-décembre 2019 de la Banque de France tentait de faire le point sur le sujet. Résultats :

« Les spécialistes de Bloomberg ne décèlent pas de prime verte positive ou négative. Les travaux de la Banque des règlements internationaux (BRI) concluent, sur la période 2014-2017, à l’existence d’une prime verte négative à l’émission, mais pas sur le marché secondaire, tandis que les travaux du Climate Bonds Initiative (CBI) suggèrent que, sur la période 2016-2018, les émetteurs d’obligations vertes tendent plus fréquemment à offrir aux investisseurs un rendement légèrement supérieur que l’inverse.

Une étude récente de Bachelet et al. (2019) montre que seules les institutions publiques bénéficient d’une prime verte négative, liée à la volonté des investisseurs de payer pour l’environnement. Inversement, la prime est positive – et donc défavorable – pour les émetteurs privés, et particulièrement élevée lorsque le caractère vert de l’émission n’est pas certifié par un organisme tiers. »

En résumé : ça dépend !

Toujours est-il que la dernière obligation « verte » de l’Etat français offre un coupon annuel de 0,5%, un rendement similaire à celui des OAT classiques de même durée. Dans la même lignée, l’obligation émise le 1er juillet 2021 par le Trésor, à échéance le 25 mai 2040, offre un rendement de 0,5% également, tandis que celle émise le 16 septembre 2021, à échéance le 25 juillet 2040, offre 1,8% (!). Quant à l’obligation « verte » de l’UE, elle offre un coupon de 0,4%.

Le risque de greenwashing

Faut-il alors se procurer des green bonds européens ? Précisons, tout d’abord, que l’on ne peut pas souscrire en direct et qu’il convient de passer via des ETF ou des fonds communs de placement.

Nous avons vu que le rendement n’était pas un argument significatif. Le seul avantage que l’investisseur pourrait finalement y trouver est de placer son argent en adéquation avec ses convictions en tablant sur le fait que les obligations vertes offrent une plus grande transparence que les obligations traditionnelles, généralement peu précises sur l’utilisation des fonds levés.

Reste qu’il faudra s’assurer que l’émetteur ne fasse pas de greenwashing, c’est-à-dire prétende investir dans la transition écologique tout en faisant autre chose. Dans le cas de l’Union européenne, celle-ci aura fort à faire pour suivre, auprès de chaque Etat membre, l’utilisation des capitaux levés. Déjà des critiques se sont levées en apprenant que les obligations vertes ne pourront pas financer des projets dans le nucléaire, mais qu’elles pourront financer des centrales à gaz, « sous certaines conditions, pour fournir une solution de transition dans la production d’énergie ».

La Chine, par exemple, semble pratiquer le « verdissage » à grande échelle. Selon le Climate Bonds Initiative (CBI), seulement la moitié des obligations vertes chinoises seraient conformes aux normes internationales.

S’il se confirme que les obligations vertes ont, finalement, un rendement plus faible que les obligations classiques, celles-ci seraient alors surtout une bonne affaire pour leurs émetteurs. Elles pourraient alors continuer à se multiplier, accroissant le risque de greenwashing !

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