La Chronique Agora

Que dis-je, une bulle… c’est une montgolfière !

▪ Candidat à un second mandat démarrant en février 2010, « Helicopter Ben » passait sur le grill jeudi devant une commission bancaire du Sénat américain. Certains de ses membres réclament hystériquement la limitation des activités de la Fed, le strict encadrement de la gestion de la planche à billets… ainsi qu’une explication de sa politique de rachats de créances hypothécaires : 850 milliards de dollars de MBS (mortgage backed securities, titres adossés aux créances hypothécaires) sont désormais inscrits à son bilan, plus 150 milliards d’émissions d’agences fédérales — et tout ce beau papier est garanti en dernier ressort par l’argent des contribuables.

Ce sont des sujets techniques qui donnent mal au crâne jusqu’aux plus proches conseillers de Barack Obama ! Ceux qui savent de quoi il retourne s’en tiennent au discours qui avait si merveilleusement fonctionné lors de la réélection de George W. Bush : on ne change pas de capitaine au milieu de la tempête — même si ce dernier a autant de discernement qu’un concombre de mer et les réflexes d’un bulot face à un péril immédiat.

Nous n’allons pas vous dresser la liste des erreurs de jugement et de stratégie monétaire commises par Ben Bernanke au cours des dernières années ; nous ne voulons pas que, de rage, vous jetiez votre ordinateur par la fenêtre… Cependant, nous ne pouvions passer sous silence cette perle qui résume à elle seule toute une carrière de nuisance larvée au sein des plus hautes sphères du mouvoir financier aux Etats-Unis : « nous ne constatons pas de surévaluation des actifs par les marchés aux niveaux actuels ».

Cet avis puissamment raisonné ne nous surprend pas. Bernanke n’avait pas davantage jugé les dot.com surévaluées lorsqu’il coécrivait les discours d’Alan Greenspan au début des années 2000. Il ne s’était pas plus ému de voir le Dow Jones flirter avec les 15 000 points alors que l’effondrement des échanges interbancaires menaçait déjà le système financier en octobre 2007. Il s’était abstenu de critiquer l’hystérie spéculative sur le pétrole durant le premier semestre 2008, affirmant que c’est « le marché » qui fait les prix — et feignant d’ignorer l’origine des excédents de liquidités qui faisaient flamber les cours.

Même si le diable lui offrait une visite informelle de l’enfer en y pénétrant par un cratère fumant de l’Etna, Ben Bernanke refuserait de croire que ces flots de matière, d’un rouge incandescent et qui rôtissent la peau à 20 pas, c’est de la lave bouillonnante. Revenu à la surface, il ne manquerait pas de s’extasier sur la belle teinte pourpre des cascades infernales, sous lesquelles il regrette de ne pas avoir eu le temps de se rafraîchir.

Cyrano de Bergerac aurait pu faire semblant de lui donner raison : « quoi, vous l’accablez à propos de ses bulles financières ? C’est un peu court, jeune homme ! Avec deux sous d’esprits vous auriez pu les qualifier de mappemondes… que dis-je, de montgolfières ! »

Mais si vous nous accordez encore une occasion de pourfendre le patron de la BCE, nous ajouterons à son passif la tribune qu’il avait fait paraître mercredi dans la presse américaine (de façon préventive) à la veille de son audition. En résumé : « toute tentative de limiter les moyens d’action de la Fed pourrait avoir des conséquences négatives pour l’économie ».

En d’autres termes, si vous tentez de m’arracher le lance-flammes des mains ou simplement de couper l’arrivée du napalm, cela va vous coûter très cher, foi d' »Helicopter Ben ».

Renouveler son mandat, c’est un peu comme récompenser un incendiaire pour la façon magistrale dont il a conduit la brigade des pompiers alors que le brasier qu’il avait déclenché semblait devenu presque incontrôlable. Et nous ne tarderons pas à constater que les dégâts causés par l’eau sur les bâtiments alentours vont s’avérer aussi coûteux que ceux causés par les flammes. N’oubliez pas que l’assureur de ce désastre, c’est le contribuable américain.

▪ Les historiens n’ont pas fini de débattre des mérites ou de l’incompétence de Ben Bernanke — et de sa complicité avec Goldman Sachs dans ce qui apparaît à ce jour comme la plus grande opération de spoliation légalisée du peuple américain. Pour notre part, nous aimerions bien connaître la teneur des propos échangés ces dernières heures entre Barack Obama et le prix Nobel Paul Krugman au sujet de la crise et des moyens de relancer les créations d’emplois.

Notons au passage que même l’impavide Jean-Claude Trichet multiplie les allusions au risque de formation de bulles d’actifs du fait de l’accoutumance à « l’argent trop facile ».

Le communiqué final lu par le patron de la BCE en marge du maintien du taux directeur à 1% ne contenait aucune surprise. Il ne faisait qu’évoquer l’ébauche d’une stratégie de sortie de crise dans la mesure où les incertitudes sur la reprise demeurent trop importantes tandis que les tensions inflationnistes demeurent largement sous contrôle.

La BCE relève cependant sa prévision de croissance pour 2010 à +0,8% contre +0,2% précédemment, et anticipe +1,2% en 2011. Cela demeure modeste et très éloigné d’un niveau d’activité potentiellement créateur d’emplois.

▪ Aux Etats-Unis, nombre d’investisseurs se réjouissent d’un nouveau recul des demandes hebdomadaires d’allocations chômage. Le chiffre concernant la dernière semaine de novembre était bon (457 000, contre 462 000 la semaine précédente) — mais il faut corriger cette embellie de l’effet Thanksgiving, générateur d’embauches temporaires, et d’un nombre de plus en plus important de radiations de chômeurs en fin de droit.

Le chiffre de la productivité américaine (hors secteur agricole) a été révisé un peu plus fortement que prévu à la baisse, à 8,1% pour le troisième trimestre 2009 contre une estimation préliminaire, de 9,5% — le tout dans l’indifférence générale.

Le nombre d’heures travaillées est confirmé à -4,8% mais l’augmentation de la production est ramenée à 2,9%, selon le Département du Travail, au troisième trimestre 2009.

En Europe, l’ISM des services du mois de novembre est ressorti lui aussi un peu en deçà des prévisions (juste au-dessus des 50 points). Il conforte l’anticipation d’une politique monétaire accommodante durant encore de longs mois… ce qui continue de mettre la pression sur les banques, accusées de ne pas prêter assez.

Ces dernières se défendent en arguant que les entreprises n’investissent pas assez tandis que les ménages se montrent trop frileux en matière de projets immobiliers… Mais qui a donc durci de façon radicale les critères d’attribution de prêts après la débâcle de 2008 ?

▪ Nous avons beau brasser toutes ces données dans tous les sens, nous ne voyons pas comment la reprise — non pas en « V » mais en forme de « racine carrée » — pourrait justifier le niveau actuel des indices boursiers. En excluant le facteur dollar, aucune tendance identifiable ne se décante sur les marchés depuis la mi-octobre

Une impression confortée par l’analyse technique : une configuration en « tête/épaules » baissière a bien failli être invalidée à Paris avec la tentative de débordement des 3 840 points. Au final, cependant, le CAC 40 est retombé sous les 3 800 points et a comblé — moins de cinq heures après une ouverture euphorique — le gap apparu entre 3 811 et 3 828 points.

La tendance demeure donc singulièrement indécise depuis la mi-septembre. Une autre interprétation de la configuration actuelle est la « structure d’élargissement en porte-voix ». Il s’agit d’une version tout aussi baissière que l' »épaule/tête/épaule » ou le « diamant » (figure de retournement qui induit une probabilité de correction indicielle dans 80% des cas)… Et sur une échelle de 40 semaines, elle semble parfaitement identique à celle apparue, sur 24 mois, de 2006 à 2007.

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