La Chronique Agora

Que diriez-vous de neuf semaines et demie ?

** Nous avons retrouvé ce mercredi 29 avril un schéma technique qui nous est familier : un marché euphorisé à l’azote, qui reçoit des coups de fouet en continuant d’afficher en sourire béat, et des vendeurs devenus soudain absents. Ils ont en effet bien compris l’état d’esprit des opérateurs en cette veille de fin de mois d’avril, lequel pourrait s’avérer le plus tonitruant depuis décembre 1991 avec un gain royal de 10%.

L’optimisme volontariste manifesté lors de la lecture des statistiques relatives au PIB américain s’est renforcé avec les commentaires économiques de la Fed en conclusion de sa réunion de politique monétaire.

La contraction de l’activité ralentit. La récession aurait atteint son zénith en début d’année : cela permet à Wall Street de continuer à croire à un scénario de reprise qui débloquerait les indices américains après une quinzaine de jours de plafonnement sous les 8 100 points pour le Dow Jones et 1 700 points sur le Nasdaq.

L’indice industriel affichait vers 21h15 jusqu’à 200 points de hausse et le Composite flirtait avec les 3% de hausse. C’était peut-être un peu excessif compte tenu du caractère contrasté des chiffres du jour, les investisseurs ayant choisi de ne privilégier que les composantes susceptibles de confirmer la tendance haussière des actions.

Au final, le Dow Jones s’adjuge un bon 2%, le Nasdaq 2,3% et le S&P 500 (+2,15%) échoue d’un rien dans sa tentative d’effacer la résistance décisive des 875 points du 9 février puis du 28 janvier dernier.

Les T-Bonds qui avaient commencé par reculer très sensiblement jusqu’au milieu de la séance se sont ressaisis à deux heures de la clôture. Leur rendement s’est détendu de 3,04 vers 3,01%. La Fed a en effet promis de maintenir un biais "accommodant", synonyme d’assouplissement quantitatif.

La surliquidité a entraîné la bulle immobilière puis celle de Wall Street, les opérateurs veulent croire que les mêmes expédients — qui consistent à soigner le mal par le mal — auront cette fois-ci des effets vertueux sur l’économie. Certains commentateurs, émerveillés de voir le Nasdaq retrouver ses meilleurs niveaux depuis le 4 novembre 2008 et se préparer à aligner une huitième semaine de hausse consécutive, se prennent à rêver au retour de… Goldilocks — qui symbolise la parfaite harmonie entre croissance et inflation.

** Le PIB américain a pourtant connu une chute de 6,1% au premier trimestre 2008. Si le pronostic d’une contraction limitée à 5% a été déjoué, le niveau de la consommation s’est inversement révélé beaucoup plus solide que prévu. Il est en augmentation de 2,2%, hausse qui serait largement imputable aux gains de pouvoir d’achat résultant de la rechute passagère du baril de pétrole sous les 40 $ en début d’année.

La bonne tenue de la consommation nous apparaît singulièrement paradoxale une fois mise en relation avec l’impressionnante chute des échanges commerciaux. Les exportations américaines ont plongé de 30% au premier trimestre (du jamais vu depuis 1969) et les importations se sont littéralement effondrées de 34,1%, soit le pire chiffre observé depuis 1975.

Le soupçon d’une menace déflationniste est également confirmé par le PCE. Le baromètre le plus fiable de l’évolution des prix a reculé de 1% sur les trois premiers mois de l’année, même si le déflateur du PIB — calculé sur la base d’un large panier de biens et de services — affiche une très surprenante tendance haussière qui s’élève à 2,9%.

D’ordinaire, l’écart entre la croissance du PIB et l’inflation sous-jacente (mesurée par le déflateur) est symbolique ou se joue à quelques décimales. Cette fois-ci, l’étroite dissymétrie technique s’apparente à un véritable canyon de près de 4%.

** Les économistes qui ont suivi cette journée à suspense se sont bien gardés de s’appesantir sur les singularités que nous avons soulignées dans les paragraphes précédents, estimant — comme Ben Bernanke et Barack Obama — que le pire était derrière nous.

C’est peut-être vrai dans la mesure où aucune banque d’affaires ni aucun réassureur (monoliner) américain n’est plus susceptible de faire faillite. En effet, l’hécatombe de l’automne 2008 les a tous fait disparaître du paysage financier en quelques semaines.

C’est peut-être vrai aussi en ce qui concerne la vague de saisie de biens immobiliers aux Etats-Unis dans la mesure où les établissements de crédit commencent à réaliser que plus ils liquident leurs stocks, plus ils rendent virtuellement insolvables leur portefeuille d’emprunteurs.

** A condition de bien vouloir également oublier que l’investissement des ménages et des entreprises américains a chuté de 38% — oui, vous avez bien lu 38% ! — au premier trimestre 2009 (le pire chiffre observé depuis 60 ans)… il est doux de se convaincre que le CAC 40 pourrait s’être enfin extrait du corridor 3 000-3 100 points au sein duquel il évoluait depuis six séances, avec pourquoi pas les 3 500 points en ligne de mire pour fin juin.

Sans se montrer trop ambitieux, et pour finir le mois d’avril en beauté, le CAC 40 pourrait s’offrir un retracement des 3 145 points (zénith de début février). La Bourse de Paris réaliserait ainsi l’exploit sans précédent d’aligner une huitième semaine (même écourtée par le 1er mai) de hausse consécutive.

Rien n’interdit de supposer que le mouvement de hausse dure neuf semaines et demie avant que les investisseurs soient remis à nu.

Philippe Béchade,
Paris

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