Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont tous les deux fait l’ENA. L’Ecole nationale d’administration, c’est cette grande école située à Strasbourg où les enseignants infusent la science universelle à ceux qui sont parvenus à y entrer. Une fois sortis de l’Ecole, les diplômés sont fin prêts pour donner des leçons au monde entier, tous sujets confondus.
Nos politiciens veulent se faire passer pour des super héros à même de changer la face du monde
C’est en effet l’ambition officiellement affichée par un exécutif qui est en réalité bien conscient que son rayonnement jupitérien a du mal à dépasser les frontières hexagonales.
Pourtant, Emmanuel Macron a profité des 100 ans de l’Organisation internationale du travail pour dénoncer le 11 juin à Genève les dérives du capitalisme telles qu’il prétend les comprendre.
Pour que le président français puisse être un sauveur, il faut bien sûr qu’il y ait un danger. Emmanuel Macron n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Voici ce qu’il a déclaré :
« Ces dernières décennies sont marquées par une crise profonde, économique, sociale, environnementale, politique et donc civilisationnelle qui nous impose de réagir. […] Comme en 1919 et 1944, nous sommes à l’orée, si nous n’y prenons pas garde, d’un temps de guerre ».
Ha. Contre qui ?
Emmanuel Macron de poursuivre :
« Tous ceux qui croient, sagement assis, confortablement repus, que ce sont des craintes qu’on agite se trompent ; ce sont les mêmes qui se sont réveillés avec des gens qui semblaient inéligibles, ou sortis de l’Europe, alors qu’ils pensaient que ça n’adviendrait jamais ».
Traduction : si le président n’est pas réélu en 2022, ce sera le retour d’Hitler.
Après des fleuves de déclarations creuses auxquels il nous a habitué, Emmanuel Macron exprime enfin une vision intéressante lorsqu’il évoque « cette économie de marché dans laquelle nous vivons [qui] est de moins en moins sociale ».
Question : lorsqu’il a énoncé ses propos, le président se souvenait-il qu’il était à la tête des institutions républicaines françaises en 2019 ? Il pourrait être utile que quelqu’un lui pose la question…
La suite est encore plus étonnante : « quelque chose ne fonctionne plus dans ce capitalisme qui profite de plus en plus à quelques-uns ». Nous avons vu la semaine passée à quel point cette affirmation est mensongère.
« Je ne veux plus que nous considérions que le sujet d’ajustement économique et de la dette prévaut sur les droits sociaux », a ensuite lancé M. Macron. Merci pour ces propos très clairs, camarade !
Et le président de sortir sa punchline : « Quand le peuple ne trouve plus sa part de progrès », il peut être attiré par l’autoritarisme, qui dit : « La démocratie ne vous protège plus contre les inégalités de ce capitalisme devenu fou. »
Heureusement, il y a quand même un extrait avec lequel je suis un peu d’accord avec le président, à savoir lorsqu’il déclare que « ces dernières décennies ont été marquées par quelque chose qui n’est plus le libéralisme et l’économie sociale des marchés, mais qui a été depuis 40 ans l’invention d’un modèle néo-libéral et d’un capitalisme d’accumulation ».
Un peu d’accord en effet car si l’on remplace « l’invention d’un modèle néo-libéral » (qualificatif qui ne renvoie à rien de précis et qui est donc trompeur) et « capitalisme d’accumulation » par un « système monopolistique de copinage financiarisé, d’Etat et de banques centrales réunis » (une expression de Bruno Bertez), lequel système permet effectivement la suraccumulation des richesses par ceux qui ont le plus de capacité d’endettement et d’exposition sur les marchés financiers, alors là, oui, ça commence à ressembler à quelque chose. Mais ce n’est pas ce qu’a dit Emmanuel Macron…
Bien sûr, Bruno Le Maire n’a pas tardé à emboîter le pas du président à grand renfort de platitudes encore plus confondantes, comme sa fonction l’impose sous une présidence jupitérienne.
« Un capitalisme plus juste et plus durable » : voici « l’ambition simple » de l’exécutif français. Parfois, j’ai envie d’insérer des émojis dans cette chronique, tellement tout cela devient clownesque…
Le cas Le Maire est tout de même frappant : entre le niveau des déclarations du ministre et l’image qu’il tente de cultiver, le gouffre est tout de même gigantesque…
Tout ce qui est excessif est insignifiant : la preuve par Bruno Le Maire
Forcément, ces pitreries n’ont pas échappé à l’œil de Daniel Tourre…
A défaut d’être encore prise au sérieux par les autres représentants étatiques, la France macronienne a au moins le mérite de distraire le public lors des sommets internationaux…
Voyons ce que des gens sérieux pensent de la question.
Le capitalisme français est-il devenu fou ?
Patrick Artus a traité ce sujet dans un Flash Economie du 20 juin.
Voici le constat qu’il a dressé pour Natixis :
« Devant l’Organisation internationale du travail, le président Macron a condamné ‘un capitalisme devenu fou’. Cette affirmation est curieuse venant du président français, car on ne peut certainement pas dire que le capitalisme français est devenu fou : les salaires augmentent plus vite que la productivité, les inégalités sont faibles et stables. La situation de la France est, sur ces points, très différente de celle des Etats-Unis, par exemple. »
C’est donc ailleurs qu’il faut chercher les causes des tensions sociales en France. Pour ce qui est des causes d’ordre économiques, je vous renvoie à mes précédents articles sur la croissance économique en Zone euro.
A samedi prochain pour le dernier volet de notre série sur les nouvelles formes de la lutte anticapitaliste ! Nous verrons qu’Emmanuel Macron et Bruno Le Maire font malheureusement tout leur possible pour que les entreprises françaises – moteur de notre croissance – se retrouvent dans une situation de plus en plus délicate.