La Chronique Agora

Quand nos politiciens adressent un « message de fermeté »

Au mois de novembre dernier, le gouvernement a fait montre de son absence totale de détermination à régler le problème des zones de non-droit. Retour sur un cas d’école.

Chanteloup-les-Vignes : Edouard Philippe prévient les criminels que s’ils continuent, il faudra que ça cesse

Après que le chapiteau d’une association de cirque a été carbonisé à l’issue de plusieurs épisodes d’émeutes urbaines dans la ville de Chanteloup-les-Vignes, le Premier ministre s’est finalement décidé à faire le déplacement.

Dans une allocation aussi martiale que son gouvernement peut se le permettre, Edouard Philippe a confirmé que la voyoucratie a de beaux jours devant elle.

Comme je ne voudrais pas faire d’injustice au premier ministre, en voici le verbatim :

« Nous déplorons évidemment ces actes imbéciles et violents. Je veux dire que nous avons assuré à madame le maire le soutien de l’Etat. Nous sommes parfaitement conscients de ce que les tensions qui se développent, notamment à Chanteloup, sont en partie liées à l’effort très intense que nous livrons s’agissant du trafic de stupéfiants. Nous sommes parfaitement conscients de ce que lorsque nous bousculons le trafic de stupéfiants, cela créé des tensions, des règlements, des déstabilisations, mais nous sommes déterminés à faire en sorte que ces trafics puissent cesser, et à faire en sorte que l’ordre puisse être respecté et rétabli.

C’est donc un message de soutien et de soutien très sincère et tout à fait complet aux élus locaux qui doivent affronter ces situations. Un message de solidarité vis-à-vis de toute la population de cette ville et des villes avoisinantes qui se trouvent évidemment affectées par ces dégradations, mais aussi un message de fermeté à l’égard de la petite bande – car je crois qu’en vérité, il s’agit d’une petite bande – d’imbéciles et d’irresponsables qui pensent que tout casser est une façon de faire avancer les choses. »

Voilà. Pour résumer cette bouille lénifiante, le gouvernement est suffisamment audacieux pour « bousculer le trafic de stupéfiant » mais pas trop quand même, car cela pourrait mener à une catastrophe qu’Edouard Philippe n’ose même pas imaginer.

Le Premier ministre est par ailleurs tellement « solidaire » vis-à-vis des élus locaux et de la population que ces derniers n’ont qu’à se débrouiller tout seuls, vu que les individus ayant mis la ville à sac pendant plusieurs jours ne sont après tout qu’une « petite bande d’imbéciles et d’irresponsables », à en croire le Premier ministre.

De jeunes et inoffensifs trublions, en somme.

Il fut un temps où l’expression « message de fermeté » augurait d’un message ferme : le gouvernement ne déplorait rien ; il décidait et il agissait.

De nos jours, dire qu’on « condamne quelque chose avec la plus grande fermeté », c’est la façon la plus commune pour un politicien de débuter un message mou confirmant son renoncement. Il aurait seulement manqué qu’Edouard Philippe ajoute qu’il allait « prendre ses responsabilités », et le tableau de Chanteloup-les-Vignes aurait été complet.

Le lendemain, le ministre de l’Intérieur essayait de rattraper le coup en faisant briller ses muscles.

Malheureusement, on ne peut que déplorer ce genre de répliques plagiées de gouvernement en gouvernement, sans aucun résultat concret si ce n’est la détérioration de la situation et l’hilarité de ceux qui sont visés.

En réalité, vis-à-vis de ces zones de non-droit, l’Etat ne s’impose qu’une prudente modération. In fine, la stratégie des autorités publiques est toujours du même tonneau :

Les contribuables payent pour construire => « ils » brûlent => les politiques décident de jeter quelques poignées de plus de notre argent dans le tonneau des Danaïdes en prononçant quelques phrases incantatoires : voilà la boucle sans fin dans laquelle nous ont enfermés les politiciens avec lesquels nous sommes coincés depuis aussi longtemps qu’ils ont débuté leur carrière.

Bref, la prochaine fois que vous verrez un ministre jouer au gros bras au sujet des « zones de non-droit », vous aurez le droit de rigoler.

Un politique qui en a quelque chose à secouer est allé faire un tour dans un quartier : aucune « petite bande d’imbéciles irresponsables » à l’horizon

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer Rafik Smati, chef d’entreprise et président du parti politique Objectif France. Si son nom vous avait échappé c’est normal : il ne s’agit pas d’un politicien de carrière.

Pas vraiment convaincu que les zones de non-droit sont tenues par de « petites bandes d’imbéciles irresponsables », il est allé voir en personne, accompagné d’un maire adjoint de Marseille, comment on vit dans les quartiers nord de la ville, notamment du côté de la Castellane.

Voici ce qu’il décrivait au micro du Sud Radio le 23 janvier :

« J’ai vu des populations, notamment issues de l’immigration, qui sont en souffrance, qui subissent un système et qui ne demandent qu’une seule chose : c’est sortir de ce piège. Mais j’ai vu quoi d’autre ?

J’ai vu des citées où vous avez dès l’entrée un guetteur masqué […] avec un masque de chirurgien. Quand vous rentrez dans cette cité-là avec votre véhicule, vous êtes escorté par des motards armés qui vous demandent de vous arrêter. Si vous ne vous arrêtez pas – ce qui a été notre cas –, vous êtes pris 50 mètres plus tard dans un guet-apens avec des personnes qui sortent de nulle part et qui se mettent en travers de votre route, qui vous demandent des comptes sur qui vous êtes, qu’est-ce que vous faites là et où vous allez.

 Et vous vous rendez compte d’une chose : c’est que si vous ne leur répondez pas, ça peut très vite dégénérer, et ça peut très vite se transformer en drame. Vous avez un guetteur tous les 20 mètres muni d’un talkie-walkie, et ces gens-là, quand vous osez leur demander qui ils sont, ils vous répondent : ‘on est là pour faire la sécurité’. Sous-entendu : ils ont eux-mêmes organisé leur propre système de police.

 Tout cela est su de tous. […] Les autorités de police ne vont plus dans ces quartiers. La maire-adjoint en question qui m’a accompagné sur les lieux m’a fait part de la solitude extrême qu’elle avait face à cette situation avec des autorités de police et de préfecture qui refusent de se rendre dans ces quartiers-là.  

Tout ça pour dire une chose : l’autorité de l’Etat dans notre pays, et en particulier dans ces territoires perdus de la République, ou même ces territoires abandonnés parce que la France a abandonné ces territoires et leurs habitants, c’est une honte nationale. On ne peut pas dans un pays tel que la France accepter qu’une partie de notre territoire, de nos concitoyens et de nos compatriotes soit à ce point délaissée et abandonnée. »

Evidemment, Rafik Smati n’en est pas resté pas là dans cette interview. A la différence d’autres hommes politiques qui déplorent une situation sans proposer de solution de fond, lui a un remède à apporter.

Vous voulez un « message ferme » ? En voilà un !

Alors que faire ? Eh bien, tout le contraire de ce qui a été fait jusque-ici, et qui n’a pas fonctionné. Même des personnalités de gauche ont compris que le problème des zones de non-droit n’avait rien à voir avec le nombre de Canadairs d’argent frais qui y est régulièrement déversé.

« Y a un moment faut savoir dire ‘stop’ à quelque chose qui depuis 30 ans est en train de dériver totalement », estimait par exemple Malek Boutih à l’époque où Emmanuel Macron évoquait un énième plan pour les banlieues.

La réponse au traitement des zones de non-droit, des territoires perdus de la République, apparaît dans la dénomination même du problème. L’intégrité de l’Etat a été brisée. Pour la rétablir, l’Etat doit donc assurer une présence continue dans chaque zone perdue jusqu’à ce que la loi de la République prévale à nouveau.

Il ne va donc pas falloir y aller avec le dos de la cuillère, mais il ne s’agit pas non plus de déclencher une guerre civile.

Comme l’explique Rafik Smati, il existe une solution pour prendre le problème à bras le corps tout en préservant la concorde nationale :

« L’acte fondateur pour rétablir la situation, c’est un acte d’autorité, un acte d’ordre. Cessons d’aller sur des incantations socialistes telles qu’on peut en avoir depuis 30 ans, en partant du principe qu’il faut subventionner, subventionner et qu’on trouvera la solution de cette façon-là. Non, il faut rétablir l’ordre.

Il n’y a pas 36 000 solutions. Nous en avons une, que nous avons travaillée avec le général Bertrand Soubelet, que vous connaissez, ancien n°3 de la Gendarmerie nationale [et vice-président exécutif d’Objectif France] : c’est un état, qu’on appelle l’état de contrôle renforcé, qui est à mi-chemin entre l’état de siège et l’état d’urgence, limité à une zone en particulier.

Une task force de 1 000 hommes qui va faire tout le boulot avec des policiers, des gendarmes, des militaires, des juges d’instruction pour mettre en place des comparutions immédiates avec des éducateurs, des élus locaux, tout ça ; une force de frappe majeure, quartier par quartier, pour aller remettre les pendules à l’heure. »

En matière d’insécurité, il n’y a donc pas de fatalité. Ce dont l’Etat a besoin, c’est de dirigeants fermement décidés à résoudre le premier de nos problèmes.

Ce n’est pas avec des bébés-Sarkozy forts en discours et en punchlines que la sécurité sera rétablie.

Cela fait trop longtemps que le blabla tient lieu de réalité. Il est grand temps de passer à autre chose.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile