Lorsque l’on évolue dans le milieu de la politique, avoir des opinions tranchées est souvent plus une source d’ennuis que de succès. Ne pas en avoir peut l’être aussi.
Aujourd’hui, je vais évoquer deux politiciens qui ont souvent du mal à trancher. Pour changer un peu, je prendrai le cas d’une politicienne de carrière et d’un politicien improvisé.
La mairie de Paris, version extra-large
Les Parisiens ont voulu un nouveau mandat d’Anne Hidalgo ; ils l’ont. La stratégie de la maire sortante validée par un scrutin sans appel, la thuriféraire de l’endettement public à l’échelon municipal revient avec une nouvelle équipe.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la maire de Paris a besoin de se sentir entourée. Même Le Monde trouve qu’Anne Hidalgo a peut-être un peu abusé – c’est vous dire le niveau d’excès de la situation.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire le détail de cette liste abracadabrantesque qui occupe deux pages sur le site de la mairie. Il s’agit simplement de mettre en exergue la logique sous-jacente et de vous livrer quelques pépites.
Voici tout d’abord le contexte : avec 37 adjoints, contre 21 au début de son premier mandat et 27 à la fin, Anne Hidalgo a opté pour un « gouvernement ‘extra-large’ », comme on peut le lire dans Le Monde. Ajoutez à cela trois conseillers délégués, et vous arrivez à 40.
Vous trouvez ce nombre élevé ? Gardez votre calme, cher lecteur – sur le plan purement juridique, Anne Hidalgo a en réalité fait dans la retenue :
Il est vrai que lorsque l’on est maire d’une capitale, les sujets sur lesquels il faut se positionner ne manquent pas. Il n’en reste pas moins que l’accroissement de cette gabegie budgétaire est quelque peu cocasse, alors que la France est censée traverser la pire crise économique qu’elle ait connue depuis 1968.
Anne Hidalgo et les 40 voleurs
Pour l’aider à prendre des décisions cruciales au cours des six années à venir, Anne Hidalgo aura donc une sacrée cour autour du ventre. Le problème, c’est qu’au vu des postes, on se demande si le processus décisionnel en sera facilité ou au contraire compliqué.
Il y a tout d’abord un certain nombre de postes dont les attributions et le périmètre sont absolument indéterminés à l’heure où j’écris ces lignes (le site de la mairie est muet à leur sujet). Voyez donc :
– une « adjointe à la maire de Paris en charge de la ville du quart d’heure » ;
– une « adjointe à la maire de Paris en charge de la prospective Paris 2030 et de la résilience » ;
– un « adjoint à la maire de Paris en charge de la Seine ».
S’ensuivent des postes qui laissent à penser que Paris pourrait bientôt revendiquer son indépendance du reste de l’Hexagone :
– un « adjoint à la maire de Paris en charge de l’Europe » ;
– un « conseiller délégué chargé des outre-Mer ».
Puis arrivent moult postes dont les attributions se chevauchent, avec en particulier :
– une « adjointe à la maire de Paris en charge de la politique de la ville » ;
– un « premier adjoint, adjoint à la Maire de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements » ;
– et un autre « en charge de la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition écologique du bâti ».
On se demande également ce qu’aurait bien pu faire l’« adjointe à la maire de Paris en charge de la propreté de l’espace public, du tri et de la réduction des déchets, du recyclage et du réemploi » sans l’aide de son collègue « en charge de l’économie sociale et solidaire, de l’économie circulaire et de la contribution à la stratégie zéro déchet. »
J’en reste là sans quoi nous n’en finirions pas. Ah, à la revoyure, il me faut tout de même mentionner le poste d’« adjointe à la maire de Paris en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts. » D’une pertinence incontestable pour un territoire tel que Paris, il sera occupé par Audrey Pulvar, dont voici les qualifications :
Je vous livre la conclusion d’Alexis Karklins-Marchay qui a fait un excellent fil sur le sujet (bravo à lui pour être parvenu à garder son sang-froid devant ces tombereaux d’argent public qui vont s’envoler au paradis de la monnaie) :
Voilà ce qui arrive lorsqu’un politique n’a aucune colonne vertébrale et que son action consiste à improviser au gré des modes de l’époque.
Mais encore tout cela n’est-il pas bien grave, puisqu’il n’est jamais question que d’argent. Cela n’est pas le cas avec notre prochain client.
Etienne Chouard : celui qui ne sait jamais rien à rien
Vous avez sans doute déjà entendu le nom d’Etienne Chouard. Peut-être même que vous avez entendu cet enseignant en lycée et militant politique à la radio, ou que vous l’avez vu à la télé. Devenu célèbre sur internet en 2005 pour un billet de blog contre le Traité de Lisbonne, il a connu une nouvelle notoriété avec l’épisode des gilets jaunes.
S’il est en effet une revendication mise en avant par ce mouvement, c’est bien le Référendum d’initiative citoyenne (RIC) dont Etienne Chouard est le promoteur le plus populaire en France. Il défend également la substitution du tirage au sort au suffrage universel.
En ce qui me concerne, les référendums facultatifs, sous leurs diverses formes, me semblent des outils qui renforcent la démocratie, et ce n’est pas pour rien s’ils sont fort usités dans des pays tels que la Suisse ou le Liechtenstein. Il n’en va pas de même pour le tirage au sort, mesure dont on a pu avoir un aperçu des résultats désastreux avec la Convention citoyenne pour la transition écologique.
Mais plus que certaines de ses prises de positions, ce sont les doutes d’Etienne Chouard qui posent problème.
Soyons clairs : le « doute méthodique », dont se revendique Etienne Chouard, me convient très bien. A l’instar de Desproges, rien ne m’insupporte plus que ces « détenteurs de vérité qui, débarrassés du doute, peuvent se permettre de se jeter tête baissée dans tous les combats que leur dicte la tranquille assurance de leur certitude aveugle. »
Il n’y a en effet rien de pire que ces bigots du manichéisme qui froncent doctement les sourcils en levant un index inquisiteur pour mieux enfoncer leurs convictions dans le crâne de leurs orateurs.
Il est cependant des sujets vis-à-vis desquels le doute est relégué au rang de position extravagante. Et à force, quand on prétend ne jamais rien savoir à rien, cela devient caractéristique. Or Etienne Chouard s’est illustré en la matière en maintes occasions. Je n’en citerai que deux.
Le 28 mars 2019, trois mois et demi après l’attentat islamiste du marché de Noël de Strasbourg qui a coûté la vie à cinq personnes, voici ce qu’Etienne Chouard répondait à Pascal Praud qui lui demandait s’il pensait véritablement que le gouvernement en était le responsable :
« J’en sais rien. […] Vous êtes en train de me questionner sur le fond de quelque chose sur lequel le doute n’est pas permis. A priori, le doute doit être permis sur tous les sujets. Mais Pascal… le doute méthodique, c’est la définition même de l’intelligence… »
Pour Etienne Chouard, l’hypothèse d’une tuerie instiguée par le pouvoir en place fait donc partie du champ des possibles.
Interviewé le 10 juin dans l’émission « Cartes sur tables » sur Le Média, Etienne Chouard remettait le couvert, cette fois-ci au sujet de l’existence des chambres à gaz. Voici ce qu’il déclarait :
« Il y a quelque chose qui m’échappe, quand même. Il faudrait que je creuse le sujet, mais […] si c’est si grave d’en douter, est-ce qu’il ne suffit pas de produire la démonstration contre ceux qui nient […], et puis voilà, on passe à autre chose ? »
Le truc, c’est que cette question excite tellement de monde à la surface de la planète depuis 75 ans que la démonstration a déjà été produite mille fois, si bien qu’il n’y a a posteriori plus de place pour le doute. Pourtant, il y a ceux qui veulent bien en prendre acte, et les autres. Blaise Jourdan l’explique bien mieux que moi.
On ne peut pas avoir d’avis sur tout, mais il est des sujets sur lesquels on ne peut pas ne pas avoir d’avis.
Si je tenais à évoquer le cas Etienne Chouard, c’est parce que nombre de Français sont dépités à la vue des professionnels de la politique. Il est donc vite fait de se laisser séduire par la voix mielleuse de ce genre de militant aux positions a priori teintées de libéralisme.
Ne tombez pas dans le panneau.
Il est certes des situations dans lesquelles c’est la marque d’un honnête homme que de refuser de donner son avis sur un sujet sur lequel il n’est pas compétent. Notez que le problème ne se poserait pas si les journalistes ne tendaient pas leur micro à des chanteurs de variété pour qu’ils expriment leur opinion au sujet de l’homéopathie, des vaccins ou du nucléaire.
J’en profite pour vous recommander cette vidéo sur les ravages de l’ultracrepidarianisme, cette propension de certains experts à donner son opinion sur des sujets en dehors de leur domaine d’expertise.
Inversement, il est des questions sur lesquelles il est impossible de ne pas avoir d’avis, sans pour autant avoir besoin d’être un expert.
Il ne faut pas tout mélanger.
Méfiez-vous de ces intellectuels en carton-pâte qui « préparent le terrain » à d’autres, avec un air de ne pas y toucher.