La Chronique Agora

Quand le « monde n°2 » s’adresse au « monde n°1 », on n’est pas couché !

Nous en parlions il y a une semaine : le « monde n°2 » a de sérieux problèmes de communication avec le « monde n°1 ». Pour rappel, je fais ici référence à la distinction opérée par le ministère de la Cohésion des territoires etc. etc. L’Etat reconnaît en effet lui-même qu’un infranchissable fossé culturel sépare l’Hexagone de centaines d’enclaves qui progressent en peau de léopard.

Dans ces zones où la loi de la République n’est plus qu’une vision de l’esprit, l’Etat tente de sauver les apparences en recourant à moult médiateurs sociaux (« un métier en plein essor », à en croire le Ministère) et en offrant des primes de fidélisation aux agents publics qui acceptent de s’installer dans les endroits les moins renommés.

Je pensais en avoir terminé avec ce sujet, mais l’actualité l’a subitement ramené sur le devant de la scène, et il semble qu’une deuxième couche s’impose.

Pour Camélia Jordana, la France est le pays dans lequel les policiers confondent le ball-trap et les cités

Samedi 23 mai, une starlette invitée sur le plateau de l’émission télé On n’est pas couché a parfaitement illustré de quoi retourne ce dialogue de sourds entre « des mondes différents qui ne se côtoient plus ou se comprennent plus ». Lors d’une conversation avec l’écrivain Philippe Besson, la chanteuse et actrice Camélia Jordana nous a fait part de son point de vue au sujet de l’insécurité dans les termes suivants :

« Il y a des hommes et des femmes qui se font massacrer quotidiennement, en France, tous les jours, pour nulle autre raison que leur couleur de peau. […] C’est un fait. […] Je ne parle pas des manifestants. Je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue […]. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens sont fâchés après la police.

[…] Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic et j’en fais partie. Aujourd’hui j’ai les cheveux défrisés. Quand j’ai les cheveux frisés je ne me sens pas en sécurité face à un flic en France. Vraiment. »

Il y aurait mille critiques à apporter à cette déclaration – commençons par rappeler l’évidence.

Quand l’indigénisme version bourgeoise débarque à la télé

Pas plus que moi, Camélia Jordana n’est représentative des banlieues au nom desquelles elle s’exprime.

Cette petite-fille de militant FLN est née à Toulon en 1992 dans une famille qui n’était pas vraiment dans la misère, comme elle l’a elle-même expliqué à Télé Star. Lorsque le magazine lui demandait en 2017 si elle se sentait « proche de l’étudiante beurette » qu’elle incarnait dans un film subventionné comme on en fait beaucoup trop, voici ce que l’actrice expliquait :

« Neïla vient d’un milieu plus modeste que le mien. Moi, je suis une bourgeoise ! J’ai grandi dans une belle villa avec piscine. Je faisais du piano, du théâtre, de la danse… Neïla est loin de tout cela ! »

Forte de cette éducation privilégiée, Camélia Jordana avait donc les ressources pour s’intégrer facilement au « monde n°1 », voire pour faire la France intégralement sienne, comme l’ont fait avant elle d’autres immigrés ou descendants d’immigrés algériens, à l’instar de Malika Sorel ou Rafik Smati.

Mais l’aisance financière ne fait pas tout et, plutôt que d’opter pour l’universalisme républicain, la starlette a préféré borner l’horizon de sa pensée.

Ainsi en 2018 déclarait-elle déjà qu’« il y a beaucoup de gens aujourd’hui, de jeunes gens qui ne se sentent pas forcément compris ni concernés par cette société dans laquelle on vit aujourd’hui en France. Parce que celle-ci est dirigée par des gens vieux, blancs et riches ».

Résultat des courses : Camélia Jordana est certes parfaitement intégrée au « monde n°1 », mais l’univers mental qu’elle a adopté est celui du « monde n°2. » C’est pour cette raison qu’au lendemain de ses dernières frasques télévisées, l’artiste a convoqué le ministre de l’Intérieur pour un entretien afin de l’éclairer de ses lumières.

Camélia Jordana n’est-elle pas en effet une spécialiste hautement qualifiée ?

Je passe sur le caractère extravagant des accusations de la starlette selon laquelle en France, des Noirs et des Arabes se feraient « massacrer quotidiennement » par la police. Le champion du monde de muay-thaï Patrice Quarteron, qui lui connaît le monde des banlieues d’assez près pour avoir vécu 33 ans à Grigny, s’est chargé de leur faire un sort.

Dans une vidéo publiée le 25 mai, il pointe du doigt le « fonds de commerce » de « ces gens qui osent raconter des conneries sur la cité alors même qu’ils n’ont jamais vécu là-dedans, prêt à parler d’une histoire morbide pour vendre des disques »…

Ce qui me semble encore plus important de souligner, c’est que du point de vue de Camélia Jordana, le critère qui supplante tous les autres, c’est la couleur de peau. C’est en fonction de cela que vous appartenez – que vous le vouliez ou non – au « monde n°1 » ou au « monde n°2 ».

Pour certains, si vous avez les cheveux naturellement frisés et que vous ne hiérarchisez pas les sources de danger de la même manière que Camélia Jordana, peu importe que votre quartier soit gouverné par des dealers, vous êtes au mieux une anomalie…

… au pire un « bounty » (du nom de la barre chocolatée, colorée à l’extérieur, blanche à l’intérieur).

Si vous n’avez pas choisi le bon camp, vous êtes soit un ennemi, soit un traître : il ne peut y avoir de troisième voie.

Entre la peste et le choléra, nous ne sommes pas obligés de choisir !

Dans un monde normal, c’est-à-dire un monde dans lequel l’Etat n’a pas abandonné la première de ses fonctions régaliennes, on ne doit pas être obligé de choisir entre des agents de police qui enchaînent les bavures et les racailles en taule, comme voudrait nous le faire accroire Camélia Jordana.

La France n’a pas vocation à être divisée entre ceux qui défendent aveuglément les Bleus et ceux qui « sont fâchés après la police. » Il existe en effet une solution très simple pour que Camélia Jordana puisse taper une bavette avec les forces de l’ordre sans pour autant être passée par la case fer à lisser.

C’est ce que nous verrons samedi prochain.

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