La Chronique Agora

Quand la souris se montre plus efficace que la pioche et la battée

** Baissera, baissera pas ? Le baril de pétrole continue d’osciller de part et d’autre du seuil des 115 $ ; les spéculateurs (car c’est bien d’eux qu’il s’agit) ne veulent prendre aucun risque sur le billet vert alors que les voyants économiques américains clignotent, mois après mois, dans des tonalités de rouge de plus en plus vif.

Mercredi, les chiffres relatifs à l’activité immobilière inscrivaient leurs plus mauvais scores depuis 17 ans. Ce jeudi, c’était le chômage hebdomadaire qui culminait à 376 000 (moyenne mensuelle) : il s’agit d’un pic depuis le début de l’année 2004… et le nombre de chômeurs indemnisés pourrait franchir la barre psychologique des trois millions avant fin juin.

Démentant l’ébauche d’une embellie conjoncturelle dans la région de New York (induite par le rebond de 23 points de l’indice manufacturier Empire State de la Fed publié mardi), l’indice d’activité dénommé Philly Fed a chuté de 7,5 points (de -17,4 vers -24,9 au lieu des -15 espérés), son plus bas niveau depuis février 2001.

Seul élément un peu rassurant, l’indice composite des indicateurs avancés du Conference Board s’est stabilisé en mars aux Etats-Unis (+0,1% à 102), mettant fin à une série de cinq baisses consécutives (-0,3% au mois de février).

Pas de quoi modifier le diagnostic baissier des cambistes sur le dollar : ils ne retiennent du Livre Beige de la Fed publié mercredi soir que la confirmation de l’affaiblissement de l’économie américaine — dans quasiment tous les secteurs d’activité sauf le tourisme, puisque la chute de la devise attire de nombreux visiteurs étrangers. Les commentaires plus appuyés concernant l’inflation ne sont pas jugés suffisamment alarmistes pour préfigurer une interruption du cycle de détente des taux aux Etats-Unis ; la Fed dispose de 10 jours pour préparer les esprits.

** Non, décidément, les investisseurs ne veulent pas prendre en considération les arguments plaidant en faveur de prises de profits sur l’euro, le franc suisse et le dollar canadien (ces deux derniers se retrouvent à parité simultanément par rapport au billet vert). Ils souhaitent encore moins se désengager du marché « hyper bullish » des matières premières.

Entendront-ils le message d’avertissement de Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, qui affirme que le message du G7 au sujet des changes n’a pas été bien compris ? Le Groupe des sept pays les plus riches de la planète juge que la volatilité excessive des marchés des changes reste néfaste pour la croissance mondiale : il n’est donc pas souhaitable que la hausse de l’euro face au dollar se poursuive.

Mais les cambistes ne se contenteront pas de professions de foi qui n’engagent à rien ni de déclarations d’intention non suivies d’effets : il va falloir que les banques centrales retroussent leurs manches, accordent leurs violons et, au besoin, mettent la main à la poche pour signifier que la décrue du dollar doit cesser — tout du moins provisoirement, le temps de faire le point.

Le problème, c’est que du dollar, la Fed va devoir continuer d’en imprimer : le déficit commercial s’est de nouveau creusé en février (facture pétrolière oblige)… et les banques d’affaires continuent de perdre de l’argent, et même beaucoup d’argent.

** Après State Street et Wachovia en début de semaine, c’est au tour de Merrill Lynch de dévoiler une perte nette de 1,96 milliard de dollars (au lieu d’un bénéfice de 2,16 milliards de dollars un an auparavant). Le troisième courtier du pays (numéro 1 sur les CDO) a dû procéder à plus de 9,5 milliards de dollars de dépréciations sur du crédit immobilier et sur d’autres actifs hypothécaires à haut risque.

La division « banque d’investissement » a déjà supporté plus de 24 milliards de dollars de dépréciations (une telle somme donne le vertige) durant les trimestres précédents, et a dû lever plus de 12 milliards sur le marché pour reconstituer en catastrophe ses fonds propres.

Merrill Lynch devrait supprimer 10% de ses effectifs mondiaux (soit entre 6 300 et 6 500 personnes) : la direction précise que les réductions d’emplois toucheront principalement les salariés des filiales opérant sur les marchés ainsi que dans la banque d’investissement… et comme dans chaque restructuration visant à réaliser des économies, les fonctions de support ne seront pas épargnées.

** Wall Street — qui clôturait à l’arrachée sur un gain de 0,1% après une matinée de consolidation — semble n’avoir eu d’yeux que pour l’indice avancé du Conference Board et sa hausse.

Le chiffre, conforme aux attentes, aurait donc suffit au bonheur des économistes qui font l’impasse sur la hausse des inscriptions hebdomadaires au chômage et la rechute du baromètre de l’activité manufacturière de la région de Philadelphie.

L’Europe n’a guère apprécié ces nouveaux signes tangibles de faiblesse conjoncturelle aux Etats-Unis : les indices ont reculé en moyenne de 0,6%… Cependant, la performance de l’Euro Stoxx 50 a été biaisée par la chute de 13,5% de Nokia, suite à un chiffre d’affaire moins favorable que prévu alors que la chute du prix moyen des terminaux se poursuit (la conquête des parts de marché dans les pays émergents exige de proposer des terminaux très bon marché).

A l’issue d’un après-midi caractérisé par une succession de mouvements indiciels contradictoires (et un test des 4 900 points par le CAC 40 vers 13h), la Bourse de Paris aligne une troisième séance de hausse consécutive dans des volumes étoffés de 5,7 milliards d’euros. Elle effectue un « cavalier seul à la hausse ».

Même si l’écart positif s’avère marginal (+0,15%), cela constitue une performance encourageante après l’incursion du CAC 40 dans le rouge en début d’après midi (-0,5% pour un plancher inscrit à 4 834 points) : la dynamique haussière reste susceptible de propulser les cours vers les 4 950 points.

En dépit des records battus par le baril de pétrole, l’once d’or consolidait autour de 940 $ après avoir grimpé jusque vers 952 $. Le métal précieux souffre de la remontée du rendement des T-Bonds à 10 ans (3,72% contre 3,68%) et des Bunds (4,08% contre 4,04% mercredi). Le métal précieux pourrait pâtir ce vendredi de la concurrence de plus grand des prospecteurs… d’information sur internet.

La pioche et la battée supplantées par la souris : Google, le champion du monde du clic, s’envole de 10% et re-franchit la barre des 500 $ grâce à la publication d’un bénéfice net de 1,31 milliard de dollars (le chiffre d’affaires bondit de 42% à 5,2 milliards de dollars et s’avère supérieur aux 5,13 milliards de dollars anticipés).

Après les brillants trimestriels d’Intel puis IBM, Google constitue la troisième bonne surprise concernant une valeur du Top 10 des capitalisations du S&P ou du Nasdaq en l’espace de trois jours… mais cela ne nous fera pas oublier les trois profit warnings majeurs de General Electric en tout début de semaine puis de Nokia et Pfizer jeudi midi.

Le score de « trois partout » paraît équilibré… mais avec un gain hebdomadaire de 2,5% à Wall Street, il nous est facile de constater dans quelle sens penche la balance. Une remontée du dollar — qui selon nous n’a que trop tardé, pour tout un faisceau de raisons techniques — achèverait de décourager les partisans d’un scénario de consolidation boursière d’ici la prochaine réunion de la Fed les 29 et 30 avril prochains… mais tant que le CAC 40 plafonne sous les 4 950 et le Dow Jones sous les 12 750 points, rien n’est acquis.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile