La Chronique Agora

Le QE3 englue la croissance US

▪ Bon d’accord, notre chronique était un peu longue hier mais il y avait de la matière : « les prix qui montent, les prix qui mentent »… la pseudo-hausse des prix immobiliers, la pyramide des âges…. Nous étions donc résolu à faire plus court ce jeudi, même si il y a encore beaucoup à dire sur cette fin de mois !

Court comme… disons la croissance anticipée autour de 1,2% à 1,5% aux Etats-Unis au quatrième trimestre 2012.

Mauvaise inspiration ! Il n’y a pas eu de croissance mais bel et bien une contraction de 0,1%.

Le communiqué final de la Fed publié hier soir à 20h15 vaut son pesant de beurre de cacahuètes. La banque centrale accueille avec une confondante équanimité la stagnation de la croissance économique aux Etats-Unis.

▪ Contraction de croissance ou constat positif ?
Les permabulls se sont empressés de souligner que 2012 se solde par une croissance de 2,2%, en accélération par rapport à 2011, ce qui est un constat éminemment « positif ».

Le Fed ne fait pas aussi légèrement l’impasse sur la contraction des trois derniers mois… mais pourquoi s’en inquiéter ?

Ce n’est qu’une pause causée par des perturbations d’ordre météorologique et d’autres facteurs « à caractère passager ».

On se souvient pourtant que le passage de l’ouragan Sandy fut présenté fin novembre comme un événement susceptible de relancer l’activité, du fait des dépenses de réparations et de reconstruction. Un scénario bien rodé dans les états riverains du Golfe du Mexique après une tempête.

Convaincue de la culpabilité de Sandy, la Fed confirme la poursuite des mesures d’exception en vigueur depuis septembre dernier.

▪ Le QE ralentirait-il la croissance ?
Il est tout de même assez paradoxal — pour ne pas dire cocasse — que la croissance s’évapore aux Etats-Unis à partir du moment même de l’officialisation du QE3 mi-septembre 2012 et de l’injection de 85 milliards de dollars dans le système financier chaque mois dans le but, précisément, de soutenir l’activité économique et l’emploi.

Bien sûr, il existe une part indéniable de concours de circonstance dans cette soudaine contraction du PIB, à commencer par le ralentissement de 6,6% des dépenses de l’Etat et en particulier du Pentagone qui avaient fortement progressé avant les élections présidentielles américaines, dopant le PIB à point nommé.

Certes… mais cela ne fait que mettre encore plus en lumière la dépendance de l’économie américaine envers les commandes de l’Etat, lesquelles sont à 100% financées à crédit par des émissions obligataires dont la Fed absorbe 90% du volume. Le serpent se mord la queue.

Si l’on en croit des commentaires publiés juste après le chiffre du PIB, la baisse des dépenses gouvernementales aurait amputé la croissance de -1,3% à -1,5%… autrement dit de 35% à 50% selon les estimations.

Les 1,6% à 1,8% de croissance qui ont également disparu seraient liés à un « effet stocks » négatif (un de ces « événements passagers » pointé par la Fed) tandis que la consommation des ménages reste bien orientée avec une progression de 2,2%.

Mais historiquement, ce chiffre est strictement dans la norme des 20 dernières années pour la période des fêtes : ceci ne traduit aucune accélération (pas de dégradation non plus).

Puisqu’il est difficile de trancher entre deux visions assez divergentes de ces chiffres, il faut creuser un peu plus loin dans le détail des composantes du PIB. La réponse se trouve peut-être dans le montant global des imports/exports qui décroît de 2% sur le début de la période.

Il trahit une contraction bien réelle de l’activité économique et le recul du dollar peine à doper significativement les exportations.

De surcroît, Boeing et les firmes d’armement représentent une large part des entrées de commandes et des nouveaux investissements. Cela signifie que la contribution des autres secteurs industriels stagne ou régresse… ce qui est loin de valider le scénario d’une reprise auto-entretenue.

Dans ces conditions, il devient difficile d’apprécier à quel niveau et en quoi l’argent de la Fed contribue réellement à la croissance.

Une certitude en revanche : il sert bien à financer les déficits gouvernementaux et à fournir toute la liquidité nécessaire aux marchés pour gonfler une bulle d’actifs sans lien avec la conjoncture présente ou future.

La volonté de minimiser la portée des chiffres du PIB n’a pas empêché Wall Street de terminer en léger repli. Les trois principaux indices ont reculé de 0,32% (Dow Jones), 0,36% (Nasdaq) et 0,39% (S&P 500).

Ces écarts ne paraissent pas très impressionnants ; en revanche, si l’on se tourne du côté du Dow Jones Transportation — qui a enchaîné une dizaine de records historiques consécutifs depuis mi-janvier — la correction du jour avoisine 1,55%.

Ces replis ne doivent pas faire oublier que de nouveaux plus hauts annuels ont été inscrits en début de séance sur le S&P à 1 510 points et sur le Nasdaq à 3 164 points — meilleur score intraday depuis le 5 octobre dernier. D’un strict point de vue technique, la tendance haussière est donc sauvegardée mais il devient difficile de cacher aux non-initiés que l’argent de la Fed ne sert qu’à faire grimper des actions dont 80% sont détenues par seulement 5% de la population la plus riche.

Sur les 95% d’Américains qui détiennent statistiquement les 20% d’actions restantes, la moitié d’entre eux n’en possède aucune. Quel genre d’effet de richesse la Fed espère-t-elle générer en enrichissant encore plus les plus riches ?

A ce jour les trois millions d’Américains les plus fortunés possèdent autant de richesses que 95% des autres citoyens du pays.

Les 400 familles les plus riches possèdent autant que la moitié de la population du pays, essentiellement sous forme d’actifs financiers.

A qui profite vraiment la hausse des actions ?

Et leur sur-représentation dans le patrimoine des ultra-riches ne devient-elle pas un problème puisque plus personne n’a les moyens d’en acheter suffisamment pour garantir la préservation de leur valeur ?

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