La Chronique Agora

Puisque la reprise a du plomb dans l’aile, il nous faut un quantitative easing

▪ Cette fois-ci, aucun doute n’est plus permis. Les marchés parient sans vergogne sur un prochain quantitative easing massif en Europe comme aux Etats-Unis.

Certains gérants (qui assument pleinement leur cynisme) ne s’en cachent même pas. Ils alimentent sciemment une spirale haussière qui s’inscrit totalement à contre-courant des dernières statistiques économiques.

Ils s’inspirent d’une consommation en berne et des projections de croissance quasi nulles pour 2012 en Europe. Ils font aussi le pari que les banquiers centraux n’auront pas d’autre choix que de leur obéir au doigt et à l’oeil, en leur procurant la seule chose qui leur importe… toujours plus de liquidités !

Puisque cette hausse des cours est une escroquerie intellectuelle, sinon une fraude — comment les indices américains sont-ils revenus à leurs niveaux record de mai 2011 ou même de fin avril 2008 ? –, il devient impensable pour la Fed de ne pas la couvrir… sinon, les conséquences seraient par trop désastreuses !

La bulle boursière des neuf dernières semaines éclaterait, le dernier bastion du sentiment de richesse des Américains s’effondrerait.

▪ L’effet domino touche l’Europe
Le raisonnement n’est guère différent en Europe. Le cas de la Grèce n’est même pas encore réglé que les faillites du Portugal et de l’Espagne se profilent.

La BCE n’a pas d’autre choix que de donner aux banques privées les moyens de refinancer temporairement des pays au bord de l’asphyxie financière… en attendant que l’Allemagne autorise enfin Mario Draghi à leur racheter massivement les créances à haut risque émises au cours des prochains mois.

Car qui peut prétendre que les emprunts espagnols sont plus sûrs que ceux de la Grèce ou du Portugal, alors que les banques et cajas espagnoles appliquent une décote ridicule et mensongère de 15% sur leurs encours de créances hypothécaires ?

La réalité du marché immobilier devrait les conduire à inscrire une décote de 50 à 60%. Cela impliquerait le prononcé immédiat de leur faillite, à moins que le gouvernement ne les recapitalise massivement. Cela doublerait instantanément le montant du ratio dette/PIB espagnol et le placerait à un niveau très proche de celui de la Grèce.

Mais rassurez-vous, cette opération vérité n’aura jamais lieu parce que l’Europe n’a tout simplement pas les moyens d’y faire face ! Alors dormez tranquilles braves gens, et savourez la hausse somnambulique des indices boursiers.

▪ Une hausse digne des dot.com
Après un mois de janvier intégralement placé sous le signe d’une hausse record, avec des scores encore plus spectaculaires à Wall Street depuis une quinzaine d’années, les indices boursiers réalisent une entame de février digne de la période des « dot.com » (1998/2000). Rappelez-vous, quand les acheteurs misaient en début de chaque mois le double de ce qu’ils avaient gagné le précédent (envolée des cours garantie).

L’Euro-Stoxx 50 explose littéralement à la hausse (2,25% à 2 475 points), soit un gain déjà supérieur à 50% de celui affiché sur l’ensemble du mois de janvier.

Oubliez l’évocation récurrente de l’accord sur le refinancement de la Grèce car tout le monde sait bien qu’il s’agit d’un prétexte bidon, usé jusqu’à la corde.

▪ Les mauvaises statistiques applaudies par des hausses
Car il y a les fausses interprétations et il y a les faits. Les places européennes ont salué par un surcroît de hausse de 0,8% hier après-midi les deux nouvelles statistiques décevantes parues aux Etats-Unis à quelques minutes d’intervalle.

Vous en serez à peine surpris puisque les indices américains s’étaient nettement redressés (de -1% vers des scores d’équilibre) après la publication de trois très mauvais chiffres la veille.

Le message est donc très clair : puisque la reprise semble avoir du plomb dans l’aile aux Etats-Unis, la mise en oeuvre d’un QE3 devrait survenir tout prochainement (d’ici fin mars) au lieu de la mi-2012 (fin de l’opération twist de maturité de la Fed).

▪ Prions pour de mauvais chiffres du chômage
Il ne reste plus qu’à espérer que de mauvaises statistiques concernant l’emploi sortiront aux Etats-Unis vendredi et c’est effectivement bien parti pour… si nous en croyons l’enquête mensuelle d’ADP concernant les créations de postes dans le secteur privé.

Le chiffre publié ce mercredi fut en effet une déception avec 170 000 emplois créés en janvier alors que le marché attendait 185 000. Et pour ne rien arranger, le chiffre de décembre a été révisé à la baisse de 33 000 à 292 000.

L’indice ISM manufacturier est ressorti en progression à 54,1, alors que le marché attendait 54,5. C’était heureusement plus mauvais que prévu, alors c’est « tout bon » pour les marchés !

▪ Les marchés sont sans peur mais ils achètent quand même de l’or
Les cambistes ont si bien compris de quoi il retournait qu’ils ont précipité le dollar sous les 1,320 euro (contre 1,3020 euro mercredi matin). L’or en a profité pour se hisser vers 1 750 $ l’once.

Le métal précieux est un placement de sécurité. Comment se fait-il alors qu’il grimpe sans relâche depuis fin décembre (il a repris 15%), alors que nous pouvons lire et entendre un peu partout que les opérateurs manifestent de plus en plus d’appétit pour le risque.

Si le VIX (-7% à 17,99) dit vrai et que la confiance des investisseurs est aussi forte et univoque, alors pourquoi acheter de l’or ? C’est la dernière des absurdités !

Mais le fameux appétit pour le risque reste un concept bien différent de la perception ou de l’anticipation d’une embellie conjoncturelle. Il n’y a en l’occurrence pas de corrélation entre les deux dans un marché gouverné par les flux.

Le moteur de la hausse des dernières semaines reste la « surabondance de liquidités » dans le système financier (grâce en soit rendue au LTRO de la BCE mi-décembre) car dans l’économie réelle, pas une PME passagèrement à court de trésorerie ne trouve le moindre refinancement.

Aux Etats-Unis, une nouvelle demande de prêt hypothécaire sur trois est rejetée, malgré des taux d’intérêt proches d’un plancher historique de 4% sur 30 ans.

▪ Les QE, une fausse bonne idée
Prétendre qu’un futur QE ciblé sur les créances hypothécaires relancera le marché immobilier relève de l’incantation. Les banques s’étaient déjà massivement défaussées du risque hypothécaire sur Fannie Mae et Freddie Mac entre 2005 et 2007. Les deux QE successifs de la Fed ne les ont pas rendues davantage prêteuses.

Vont-elles soudain se mettre à délivrer du crédit qui immobilise leurs fonds propres pour des décennies et sur lesquelles elles réalisent une marge quasi nulle alors qu’elles peuvent gagner des fortunes en quelques semaines ? Il leur suffit de pour cela de parier tantôt sur, tantôt contre les émissions obligataires de l’Espagne ou de l’Italie…

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