La Chronique Agora

Prêt pour le bonneteau ?

Les marchés sont pavloviens et les bulles n’éclatent pas ; la situation peut sembler ultra-favorable… mais nous préférons conseiller la prudence : à ce stade, ce n’est plus de l’investissement mais du jeu.

Les villes américaines brûlent. Les villes européennes manifestent. Une pandémie a ravagé l’économie. Les chiffres instantanés donnent à croire que nous sommes dans une nouvelle grande dépression.

Les marchés financiers sont en plein boom, il n’y a qu’à miser : chaque jour, c’est le tirage du gros lot.

Une fois de plus, les Cassandre sont pris en défaut ; ils ont raté le marché, croyant pour la énième fois que la bulle allait éclater.

Nous vous avons expliqué dès le premier jour des mesures de la Fed que non, les bulles n’allaient absolument pas éclater, mais qu’elles allaient plus ou moins se déplacer.

Relisez nos textes (ici, ici ou encore ) : nous sommes fier d’avoir vu juste sans ambiguïté aucune.

Des marchés pavloviens

Les bulles n’éclatent pas, parce que les dispositifs des banques centrales face aux crises restent les mêmes – et surtout parce que les marchés sont de type Pavlov : ils réagissent comme les fois précédentes, ils salivent et ils « bullent ».

Ceci étant posé, il est probable que les records précédents seront pulvérisés. Pourquoi ?

– Il y a des milliers de milliards dans le monde en quête d’emploi spéculatif ;

– l’argent suit toujours la ligne de plus grande pente du profit rapide et facile ;

– l’économie réelle n’a pas d’emploi productif de cet argent ;

– les autorités bancaires centrales ont surréagi car elles n’ont pas la capacité de mesurer les besoins réels ;

– le rapport entre les forces sociales et politiques reste inchangé en faveur des entreprises et du capital, et tout porte à croire qu’une nouvelle fois, comme en 2008, ce sont les classes salariées qui vont supporter le poids de la crise et celui des endettements ;

– la forte hausse du chômage joue en faveur du capital et des entreprises ;

– les déficits et les dettes jouent en faveur de la discipline austéritaire ;

– les opérateurs savent avec une certitude de 100% qu’ils sont protégés. On ne les laissera pas tomber – au contraire, on poussera les feux au maximum, tétanisés par la peur que la reprise ne vienne pas. Quand les autorités jouent le tout pour le tout, tout est à sens unique. Ce n’est pas le temps de la prudence. Etre timide serait imprudent ;

– psychologiquement, les observateurs de marché n’arrivent pas imaginer un scénario qui ferait chuter les Bourses, c’est un comble. Les Bourses monteront si l’économie retrouve une bonne activité… et elles monteront aussi si l’activité ne repart pas puisque les injections monétaires reprendront de plus belle !

Nous sommes dans des situations gagnant-gagnant.

Pas d’optique rationnelle d’investissement

Vous pourriez vous étonner que nous ne soyons pas plus optimiste sur les marchés puisque tout les pousse à la hausse : c’est tout simplement parce que nous avons pour ligne directrice de ne vous engager que dans une optique d’investissement rationnellement défendable.

Or dans cette optique d’investissement, le niveau des valorisations implique une performance négative sur 12 ans, ce qui pour nous est dissuasif.

Une performance négative sur 12 ans implique qu’il y ait des chocs intercalaires fortement négatifs et ces chocs vont ruiner de nombreux épargnants. Nous ne pouvons cautionner cette ruine.

La ruine des épargnants que l’on envoie au casse-pipe est une certitude ; c’est un choix politique délibéré et nous le condamnons. Ce sera la forme suprême, l’aboutissement que prendra la répression financière.

Les autorités n’espèrent plus pouvoir faire marche arrière. Elles savent que le seul objectif, c’est de durer, durer le plus longtemps possible, au prix d’une aggravation considérable de la dépression à venir.

Le fait que le calendrier soit imprévisible joue en leur faveur. Nous sommes dans la Fureur de Vivre avec James Dean : la voiture fonce vers le ravin, mais le jeu/défi consiste à rester sur le siège le plus longtemps possible.

Les perceptions sont tout, telle est la thèse de la modernité financière… mais quelles que soient les perceptions, 2+2 feront toujours 4 !

Les autorités mettent de l’infini et de l’éternel sur la finitude, elles bluffent et peut être même croient-elles à leurs illusions.

Si vous voulez spéculer, c’est votre choix. Sachez globalement qu’en tant que « classe de joueurs particuliers », vous avez autant de chance de gagner qu’au bonneteau – c’est-à-dire très peu sur la durée.

Le casino est toujours gagnant et le casino c’est le système. Le système va s’en sortir mais pas vous.

Quelle normalité ?

Les gens me demandent souvent quand les choses « redeviendront normales ». Ma réponse est que depuis 1987, plus rien n’est normal. L’Histoire, depuis cette date, n’est que l’histoire d’une pente que l’on descend. Il y a des rémissions, mais la pente reste la pente.

L’Histoire est patiente, elle sait que le temps a une épaisseur, que les gros paquebots que sont nos sociétés et nos civilisations mettent beaucoup de temps à virer ou à sombrer.

L’Allemagne n’a pas été « normale » de 1914 à 1954, par exemple. Le désordre social, politique et moral est comme un virus : il finit par disparaître mais entre-temps, il y a des hauts et des bas. Des résurgences, des nouvelles vagues.

Les individus connaissent les hauts et les bas, les oscillations courtes, mais rarement ils appréhendent la tendance de long terme ; peu de gens ont conscience des cycles longs.

Qui sait par exemple que le cycle des taux d’intérêt est en moyenne de 70 ans et qu’il a commencé en 1945 ? Nous jouons les prolongations artificielles.

Nous sommes à la toute fin du cycle des taux longs, avec un crédit suraccumulé, insolvable, pourri. Il ne tient que parce qu’on le prolonge par l’injection de liquidités nouvelles, pour faire passer, comme en septembre 2019, l’insolvabilité pour un problème de liquidité.

La suite dès demain.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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