La Chronique Agora

Le Powell Circus arrive en ville

La Fed a fait une annonce « fracassante » la semaine dernière. En réalité, elle recycle des notions qui datent… et qui ne sont pas plus efficaces aujourd’hui qu’en 2018.

Le marketing de la Fed continue de retenir l’attention des commentateurs. Hélas, bien peu d’entre eux ont la clairvoyance de comprendre que derrière l’emballage clinquant avec flonflons et roulements de tambour… il n’y a rien. La Fed a sombré dans la société du spectacle, elle a voulu créer un événement.

Rien, le vide absolu

La Fed n’a fait que reprendre, systématiser et emballer ce qui avait été dit en mai 2018 sur la symétrie :

« Si les prix n’ont pas atteint l’objectif pendant une certaine période, on dépassera cet objectif pendant la période suivante pour faire une moyenne. »

Début mai 2018, le FOMC a ajouté le mot « symétrique » à sa formulation standard sur l’inflation.

La déclaration publiée lors de la réunion politique de ce mois-là précisait ceci :

« L’inflation sur 12 mois devrait se rapprocher de l’objectif symétrique de 2% du Comité à moyen terme. »

Depuis que l’objectif d’inflation a été rendu explicite en 2012, l’objectif n’était plus que de 2%. A partir de mai 2018, cela allait être un objectif symétrique.

L’économie, selon les modèles économétriques de la Fed, se réchauffait alors vraiment. Selon Jeffrey Snider, du fonds d’investissement Alhambra :

« Plutôt que de réprimer tout de suite une inflation imaginaire, le gang de Jérôme Powell faisait savoir qu’ils allaient la laisser ‘chauffer’ pendant une période prolongée. »

Voilà ce qu’est la symétrie : c’est la même chose que la fameuse moyenne – après avoir été en dessous, on va accepter d‘être au-dessus.

Si vous n’êtes pas aveuglé par l’emballage marketing, vous réalisez que ce que dit Powell, c’est qu’après avoir échoué à atteindre l’objectif d’inflation pendant plus d’une décennie, il va maintenant laisser l’inflation dépasser cet objectif… que ni lui ni aucun de ses prédécesseurs n’a pu atteindre.

Pensée magique

Personne n’a pu atteindre cette cible que l’on prétend vouloir maintenant laisser dépasser.

Nous sommes dans la pensée magique. Une pensée magique qui ne veut rien dire, puisque la question essentielle – à savoir « comment va-ton faire pour dépasser un objectif que l’on n’a jamais réussi à atteindre ? » – reste sans réponse !

Les vrais commentaires, ceux qui importent, ne sont pas publiés. Ils ne sont faits que dans la discrétion des comités d’investissement des grands établissements, à usage interne. Il ne faut jamais contrarier la Fed publiquement, ce serait un crime de lèse-autorité.

Les annonces de la semaine passée ont une histoire que bien peu rappellent. Il est vrai qu’à notre époque, les journalistes n’ont plus de service de documentation ; ils n’ont que Google comme mémoire. Si ce n’est pas Google, cela n’existe pas ou cela tombe du ciel !

Tout a commencé en 2018…

Tout a commencé en mai 2018, où on a lancé l’idée de symétrie, c’est-à-dire de moyenne de l’inflation. L’idée de moyenne avait déjà été évoquée avant, bien sûr : elle sert à affirmer que l’on ne s’opposera plus à des hausses de prix qui dépasseraient les 2%.

En affirmant que c’est pour l’emploi, comme l’a fait Jerome Powell le 27 août, la symétrie sert à désamorcer les critiques qui feraient remarquer que le pouvoir d’achat va être amputé sciemment.

L’objectif est magique ; il s’agit d’influencer les attentes, les anticipations. Car ces messieurs croient que l’esprit produit le réel – ce que les observateurs pensent gouverne la réalité !

Ah bon !

Il suffit de regarder les graphiques pour se rendre compte que ce que les gens pensent sur le marché est presque toujours faux. Les marchés et donc les gens ne vont que d’erreurs en erreurs. D’anticipations fausses en anticipations fausses – idem en mars dernier, d’ailleurs, quand les cours se sont effondrés.

En ce moment, les intervenants pensent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et les valeurs boursières sont au plus haut. Dans un an, ils penseront que c’est la fin du monde… sans rougir.

Les zozos des marchés et des banques centrales vivent dans un monde où les prophéties se réalisent d’être crues ! Hélas, c’est faux. Au-delà des effets d’annonce, elles ne se réalisent que sur les marchés – c’est-à-dire dans l’imaginaire des marchés.

Des « événements » à foison

Après mai 2018, il y a eu en novembre 2018 l’annonce, toujours par Powell, d’une grande revue de la politique monétaire.

Cela a été suivi par quinze événements de concertation – appelés Fed Listens – « pour dialoguer avec des groupes d’employés et des membres des syndicats, des propriétaires de petites entreprises, des résidents de communautés à revenu faible et modéré, des retraités et d’autres pour entendre un large éventail de points de vue sur les décisions politiques affectant leurs communautés ».

Ensuite, en juin 2019 – alors que les hausses de taux annoncées devenaient « inopinément » des baisses de taux – a été mise en place une Conférence (avec un « C » majuscule) présentant un éventail aveuglant de documents de recherche universitaires en provenance des institutions les plus prestigieuses…

… Et comme si cela ne suffisait pas, le mois suivant, en juillet 2019, le FOMC a organisé « cinq groupes de travail chacun composé du personnel analytique traditionnel le plus brillant travaillant sur une multitude de données afin de fournir au Comité toutes les informations possibles pour que les décideurs élaborent leur nouveau cadre de politique monétaire ».

Tout cela sent bon la politique et non la recherche. Il s’agit de monter un coup, un spectacle de relations publiques, afin de contrer les accusations qui martèlent que la Fed est au service non pas du pays mais au service des ultra-riches et de Wall Street.

Vive les relations publiques

Rendez-vous compte ! Une politique de la Fed basée d’abord sur les dialogues avec le peuple, puis des rencontres avec les intellectuels, des documents de conférence… Le produit fini ne peut être qu’inattaquable.

Bien sûr, cela marche… au plan des relations publiques !

Voici le meilleur résumé public que j’ai trouvé, provenant de l’Australian Financial Review, et daté du 28 août. Il est cependant incomplet car il passe à côté de ce qui peut intervenir en 2021. Il est en effet possible, techniquement, que la hausse des prix soit temporairement de 3% ou au-dessus, ce serait logique. La Fed désamorce donc par avance les critiques qui s’indigneraient de la perte de pouvoir d’achat et les spéculations sur une hausse des taux.

« Jeudi soir, la banque centrale la plus puissante du monde – la Réserve fédérale américaine – a inauguré un changement révolutionnaire de son cadre de politique monétaire car elle estime qu’elle a constamment raté son objectif d’inflation des prix à la consommation.

Ce nouveau régime, qui permettra à la Fed de maintenir les taux d’emprunt plus bas plus longtemps et de tolérer des périodes de ce qui aurait été une inflation inacceptable, pourrait avoir des conséquences profondes sur le prix de presque tout.

Cela révèle également la vanité essentielle des banquiers centraux : ils ne veulent pas que les marchés financiers redeviennent efficaces et découvrent les vrais prix, s’éclaircissent, ou que les prix des actifs retrouvent leurs niveaux naturels, en l’absence d’interférence extrême des politiques. »

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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