▪ "Je ne peux plus le supporter. Je dois dire quelque chose. Vous agissez comme si vous vouliez une dépression. Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ?"
La lettre ci-dessus provenait d’un lecteur qui est à côté de la plaque. Nous sommes aussi généreux et chaleureux… aussi soucieux du bien-être des autres… que quiconque en dehors d’un asile de fous. Nous ne voulons que le meilleur pour nos concitoyens. Vraiment.
Mais qu’est-ce que le meilleur ? Qu’est-ce qui est meilleur pour la personne qui a acheté une maison qu’elle ne peut se permettre ? N’est-ce pas de sortir de cette maison dès que possible ? Qu’est-ce qui est mieux pour la personne qui n’a pas assez épargné pour sa retraite ? Ne devrait-elle pas commencer à épargner autant que possible dès que possible ? Et qu’en est-il du banquier qui a prêté de l’argent à des gens qui ne pouvaient le rembourser… ou de l’investisseur qui a mis son argent dans des projets qui n’étaient pas vraiment de très bons investissements ? Ne devraient-ils pas prendre leurs pertes aussi vite que possible… et passer à autre chose ?
La période durant laquelle les erreurs sont reconnues et corrigées s’appelle une dépression. Mieux vaut en finir avec elle.
Voyez-vous, cher lecteur, nous ne croyons pas à la perfectibilité de l’être humain et de ses institutions. Nous voyons plutôt le progrès matériel. Les machines et les inventions humaines s’améliorent. Mais l’homme ? Il est ce qu’il a toujours été… la proie des péchés et de la folie… enclin à faire des erreurs… et toujours prêt à s’amuser.
S’il fait des erreurs, il doit les corriger. S’il dépense plus qu’il ne gagne dans le présent, il doit dépenser moins qu’il ne gagnera à l’avenir.
▪ Lorsque l’euro a été mis en place, il a commencé par chuter. Il a ainsi atteint les 0,88 $. Les gens le trouvaient faible et indécis. Ils l’appelaient "la devise esperanto" — faisant référence au langage artificiel inventé au XIXe siècle et conçu pour unifier le monde. L’esperanto ne s’est jamais vraiment répandu. Les gens craignaient qu’il en soit de même pour l’euro.
Il semble pourtant fonctionner aussi bien que toute autre devise papier… du moins pour l’instant. Certaines innovations fonctionnent. D’autres non. Mais derrière elles se trouve toujours la vieille horloge du coeur humain. Pour autant que nous puissions en juger, soit le progrès de la race humaine est d’une lenteur glaciaire… soit il est inexistant.
Même le réel progrès matériel est lent. Au cours des deux derniers siècles, les augmentations réelles de la richesse humaine — en Occident — n’ont atteint en moyenne que 2% par an. Ce qui ne laisse guère de marge d’erreur. Faites quelques grosses bêtises… comme celles commises par les bourdes des banques centrales… et vous vous retrouvez à reculons.
Les banquiers sont-ils vraiment plus intelligents, meilleurs et plus rusés qu’ils l’étaient il y a 100 ou 1 000 ans ? Et les investisseurs ? Ne font-ils pas exactement les mêmes erreurs que celles qu’ils font toujours ?
Peu d’êtres humains ont le même luxe que nous. Dans les bureaux de la Chronique Agora, nous sommes payés pour ouvrir l’oeil… et essayer de comprendre ce qui se passe.
Evidemment, nous ne sommes pas très bien payé. Tout de même, quel luxe de pouvoir observer… Les économistes de Wall Street doivent répondre aux grandes banques qui les emploient. Naturellement, ils veulent montrer que le monde va toujours mieux. Ils veulent que leurs clients achètent plus d’actions et d’obligations… qui prendront de plus en plus de valeur, pour les siècles des siècles.
Et puis il y a les économistes qui travaillent pour le gouvernement. Ils veulent prouver qu’ils peuvent contrôler l’économie… et l’améliorer ! Sinon, pourquoi se donner la peine de les engager ?
Il y a d’autres économistes travaillant pour les universités. Que veulent-ils ? Ils veulent montrer qu’ils font partie de l’élite… qu’ils sont capables de mener le pays… capables de prendre des décisions. Capables de gérer les choses. On n’obtient pas de poste important, dans une carrière académique, en étant "négatif". On ne gagne pas un prix Nobel d’économie en disant : "hé… c’est très amusant, toute cette économie, là… mais on ne peut pas vraiment y faire grand-chose".
A la Chronique Agora, en revanche, nous n’avons aucun espoir d’obtenir une chaire universitaire… le Nobel… ni même une augmentation. Nous n’avons pas de patron, et personne à flatter ou tromper. Nous ne sommes redevables à personne, sinon à nos lecteurs. Et même à eux, nous ne faisons pas toujours attention !
Est-ce que nous voulons une dépression ? Eh bien… oui… allez-y ! Non parce que nous apprécions de voir les gens perdre leurs maisons et faire la queue devant la soupe populaire. Mais simplement parce que nous savons que beaucoup d’erreurs ont été commises durant les années de bulle — en grande partie à cause de la mauvaise gestion gouvernementale de l’économie. Alors que la richesse sous-jacente réelle ne se développait que de 2% environ par an, les gens dépensaient entre 5% et 10% supplémentaires. Ce fossé s’est creusé durant les années de bulle, consommant en fait de la richesse qui n’avait pas encore été gagnée… et menant à tant d’erreurs d’investissement qu’il n’y a pas moyen d’éviter un petit retour en arrière — que nous identifions comme une dépression.
A la Chronique Agora, nous aimons les dépressions comme nous aimons le milieu de l’hiver : comme une période où l’on purifie l’air… et prépare le printemps.