Le mouvement fortement baissier sur la parité euro/dollar depuis la fin mai a fait ressortir les scénarios de future disparition de l’euro. Qu’en est-il réellement ?
L’euro a plus de 23 ans et sa mort prochaine a souvent été annoncée avec souvent beaucoup de catastrophisme. Mais, en même temps, ces prédictions ont toujours sous-estimé les capacités de mises en place de dispositifs non conventionnels par la BCE. Il y eut ainsi les LTRO puis VLTRO et TLTRO depuis 2014, mais aussi des QE sous diverses formes depuis 2015. Et n’oublions pas la création d’institutions pare-feu telles que le FESF puis le MES, dotées de ressources « importantes ». Nous sortons à peine des dispositifs non conventionnels de la BCE.
Les analyses dites rationnelles sur les dysfonctionnements profonds (nous y reviendrons) au sein de l’union monétaire n’ont pas suffi, ne suffisent pas et ne suffiront pas à mettre un terme à l’existence de l’euro.
Les facteurs de la baisse
Aujourd’hui, le fantasme de la fin de l’euro réapparait tout simplement parce que la monnaie unique a été emportée depuis la fin mai dans une forte tendance baissière contre dollar. Et alors ? Ce n’est pas être naïf que de considérer que le mouvement récent sur la parité euro/dollar est un mouvement de marché normal certes d’une forte amplitude, mais qui n’a rien d’exceptionnel. Il faut juste avoir un peu de recul historique sur le marché des changes pour le comprendre.
Ce mouvement s’explique par nombre de facteurs conjoncturels et structurels (d’ailleurs plus conjoncturels que structurels) que tout le monde connaît – puisque tout ceci est très ou trop surmédiatisé –, avec le risque des analyses simples qui vont avec : d’un côté, nous subissons un différentiel de taux d’intérêt favorable au dollar compte tenu des anticipations de politique monétaire de part et d’autre de l’Atlantique, et, de l’autre, nous faisons aussi face à une crise de l’énergie et notamment à des risques d’approvisionnement en gaz russe. Cela pénalise naturellement l’Europe au premier chef, donc ses perspectives de croissance, et donc l’euro.
Qu’il y a-t-il là-dedans de nature à remettre en cause l’existence de l’euro ?
D’autant que ce phénomène n’est pas exclusif à l’euro. En réalité, le dollar monte contre presque toutes les devises du monde, actuellement. Non pas parce que l’économie américaine est surpuissante, mais parce que le privilège exorbitant du USD est toujours là.
C’est la monnaie de réserve par excellence, la monnaie de facturation de matières premières stratégiques. Il existe aussi une « fuite vers la qualité » (flight to quality) en période d’aversion au risque sur des actifs libellés en dollar, des obligations d’Etat à court terme (T-Bills) aux Treasuries de long terme, avec l’idée sous-jacente qu’il s’agit des actifs les plus liquides du monde (sans véritables concurrents et substituts) et donc mobilisables si nécessaire en cas de grave crise de liquidité sur les marchés financiers.
Tous ces éléments n’ont donc rien à voir avec les fondamentaux de l’économie américaine. D’ailleurs, ceux qui ont une connaissance approfondie des théories explicatives des variations de taux de change savent que l’euro est incontestablement sous-évalué par rapport au dollar, que l’on se réfère à l’approche monétaire de la balance des paiements ou à la théorie de la parité des pouvoirs.
Recul historique
On ne va donc pas paniquer sur un tel mouvement conjoncturel de la parité euro/dollar, qui se traduit par une baisse de 12% depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Souvenons-nous par ailleurs qu’au paroxysme de la crise du Covid sur les marchés financiers, en mars 2020, cette même parité avait abandonné 7% en une dizaine de séances (de près de 1,15 à 1,0630), donc, une variation encore plus spectaculaire que la tendance actuelle en prenant en compte la rapidité du mouvement. L’euro est-il mort à ce moment-là ? Non, et l’Europe est même sortie renforcée en matière de mutualisation budgétaire.
Encore une fois, le recul historique fait souvent défaut, ce qui a pour effet de considérer les périodes de marché que l’on vit comme exceptionnelles. Il faut toujours avoir présent à l’esprit ce paradoxe qui voit le dollar s’envoler quand bien même l’origine des maux vient des Etats-Unis.
Effectuons un petit retour dans le passé avec la crise financière de 2008 et son paroxysme, le défaut Lehman, le 15 septembre 200. A cette époque, la parité euro/dollar culminera à 1,6040 le 15 juillet 2008, avant de s’effondrer à 1,2330 fin octobre 2008 (soit près de 25% perdus en 3 mois), dans un contexte jamais revécu d’aversion au risque et de craintes d’une crise systémique bancaire.
Nous le répétons : il n’y a rien dans tout ce que nous observons qui soit de nature à remettre en cause l’existence de l’euro. Pour faire un parallèle, remet-on en cause l’existence du yen, qui a encore plus baissé que l’euro contre dollar ? Ou alors, si l’on veut être conséquent, remettons en cause l’ensemble des monnaies fiduciaires, y compris et surtout le dollar (mais là n’est pas le sujet de cet article).
On nous rétorquera que c’est faire preuve de naïveté et/ou d’optimisme béat et inconscient (compte tenu des déséquilibres, dysfonctionnements que nous allons décrire et compte tenu de primes de risque politiques qui ne seraient pas dans les prix de nombreux actifs libellés en euro). A cela, nous répondrions surtout que la remise en cause de l’existence de l’euro relève plutôt du wishful thinking.
Un pari inutile
Nous allons successivement passer en revue les points suivants :
Déjà, le risque politique dans tel ou tel pays de la zone euro ne nous semble pas de nature à condamner la zone euro.
Ensuite, les dysfonctionnements persistants tant en termes de circulation optimale de la liquidité à l’intérieur de la zone que d’hétérogénéité budgétaire et économique entre les pays ne sont pas non plus des facteurs suffisants d’implosion.
Mais, pour finir, les les partisans du scénario d’implosion de la zone Euro (pour des raisons d’inefficacité économique prétendue ou pour des raisons idéologiques) reprennent du poil de la bête ces derniers temps.
En effet, dans un contexte de normalisation de la politique monétaire liée à une inflation non transitoire et dans un contexte de crises potentielles sur certaines dettes publiques de la zone (Italie entre autres avec un problème de soutenabilité de cette dette), la chute de la zone euro – ou en tout cas sous la forme sous laquelle nous l’avons toujours connue –, serait inévitable.
Encore une fois, faire un tel pari serait selon nous inutile. Après tout, il existe pour une banque centrale (y compris pour une banque centrale particulière comme la BCE, qui gère le prix et le volume de la liquidité dans un groupe de pays hétérogènes) des instruments et techniques qui permettent de faire cohabiter une politique monétaire globalement restrictive avec des mesures ponctuellement accommodantes. Ce que l’on appelle doctement la stérilisation de la liquidité.
Le risque politique en zone euro : le cas francais
Nous avons vu que le mouvement fortement baissier sur la parité euro/dollar avait fait ressortir les fantasmes, voire pour certains les rêves (ou cauchemars) de future disparition de l’euro. Alors même que nous sommes tout simplement face à un réajustement normal sur le marché des changes.
Mais ceux qui nous annoncent la mort de l’euro vont encore plus loin, en s’appuyant sur l’instabilité politique ici ou là. Il y a certes l’instabilité politique italienne, mais concentrons-nous sur le cas français. On a comme toujours surdramatisé les choses à l’issue du résultat des législatives françaises, donnant une majorité « seulement » relative au camp présidentiel et on nous a annoncé une fois de plus un chaos qui ne viendra pas.
Le régime politique français est juste un régime présidentiel qui se parlementarisera un peu plus et la solide constitution de la Vème République s’adaptera comme elle sut le faire à maintes reprises. Ce n’est pas ce qui empêchera de mettre en œuvre les réformes structurelles dont la France a besoin si tant est que la volonté politique de l’exécutif reste intacte. D’ailleurs, pour l’instant, nous n’avons jamais connu de réforme d’envergure, même avec de larges majorités absolues pour l’exécutif à l’Assemblée nationale.
Nous allons donc oublier l’actualité politique et plutôt examiner les trois risques qui, dans le contexte politique français, pourraient sérieusement remettre en cause la construction monétaire européenne.
A suivre…