▪ Cette séance de lundi inaugure le mois de septembre, mais elle prolonge surtout le sursaut indiciel observé vendredi. Les investisseurs continuent de manifester leur optimisme à 48 heures du discours de Mario Draghi, ignorant les mises en garde de Wolfgang Schäuble concernant une « erreur d’interprétation » sur les marges de manoeuvre de la BCE. C’est juste histoire de rappeler l’opposition de l’Allemagne à une monétisation massive des dettes souveraines…
L’austère ministre de l’Economie allemand s’est fendu au passage d’une confidence. Son intime conviction est que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ne bloquera pas la mise en oeuvre du MES.
Nous sommes heureux qu’une voix crédible confirme une hypothèse partagée par… 99% des stratèges et des économistes : cela nous soulage d’un grand poids !
▪ L’automne va nous apporter son lot de feuilles mortes et de récession en Europe
Nous hésitions depuis le 25 juillet à partager l’euphorie ambiante. Nous allons désormais pouvoir aborder l’automne le coeur léger et considérer la récession en Europe comme une magnifique opportunité d’investir en Bourse !
Ah, il nous en a fallu du temps pour comprendre que des taux bas rendaient les actions attractives ! Nous n’avions pas encore admis cette évidence en mai 2011 ou en mars dernier.
Par un coup de chance sensationnel, notre lenteur à maîtriser certaines notions complexes — plus il y a de dette, moins il faut s’en inquiéter, moins les entreprises gagnent d’argent, plus le rendement des actions est attractif — ne nous avait guère pénalisé puisque les marchés s’étaient effondrés de 18% à 25% dans les semaines suivantes… Un scénario aberrant aux yeux des permabulls.
Maintenant que nous avons bien tout compris, nous pouvons enfin goûter au confort intellectuel qui consiste à penser comme tout le monde.
▪ Déjà +15% cet été pour les marchés, pourquoi pas 15% de plus pour l’automne ?
Les marchés qui viennent de prendre 15% entre le 25 juillet et le 5 août grâce à la magie du verbe de M. Draghi devraient aisément en prendre 15% de plus cet automne quand ils constateront que les Etats-Unis sont dans la panade. Comptez environ 200 milliards de dollars de prêts étudiants en défaut et les rumeurs de difficultés de trésorerie chez J.P.Morgan !
M. Bernanke a lui aussi promis d’agir, si les circonstances l’exigeaient, et le marché aime ça !
Comme n’importe quel investisseur des temps modernes, nous imaginons facilement le bonheur de toute personne qui ressentait une petite douleur au niveau du foie cet été, à qui l’on annonce la mise en oeuvre d’une bonne chimiothérapie dès cet automne.
Nous comprenons symétriquement la déception de tous ceux que le corps médical renvoie dans leur foyer avec la prescription d’un placebo et le conseil de réduire un peu leur consommation d’alcool et de charcuterie.
Adieu les petites infirmières, les éclairages psychédéliques des blocs opératoires et les piqûres de morphine !
▪ Les marchés ne souffrent pas d’achmophobie
En dehors des vaccinations (qui ne font pas grand mal), j’ai personnellement horreur des piqûres et des injections, peu importe ce que contient la seringue — je me dis toujours que c’est mauvais signe… Les marchés savent fort heureusement dépasser ce genre de phobie !
Les marchés ont bien compris que s’il n’y avait pas de douleur, il n’y aurait pas de morphine.
C’est pourquoi ils font volontiers semblant d’avoir mal, et le docteur Bernanke fait volontiers semblant de compatir en agitant sa sacoche que Wall Street suppose remplie de potion magique. Mais nous savons tous qu’il ne s’agit que de liasses de fausse monnaie.
L’économie réelle peut en revanche se tordre de douleur, la morphine, ce n’est pas pour elle.
Même quand le Docteur Bernanke ne dit rien, les marchés croient entendre le son de sa voix. Et s’ils reconnaissent celle de Mario Draghi — qui s’exprimait ce lundi devant des parlementaires européens — cela fait aussi bien l’affaire. Rappelons qu’ils sont de la même école (et presque du même service, bien qu’ils opèrent dans deux bâtiments distincts) et préconisent les mêmes remèdes.
Nous ne savons trop quel genre d’hallucinations auditives a dopé le marché en fin de séance, mais le CAC 40 nous a bluffé. Parti de 3 394 points peu après l’ouverture (-0,4%), il clôturait au plus haut, à 3 454 points (soit +1,2%).
Comment a-t-il fait pour bondir de 60 points en quelques heures sur la base d’aucune actualité nouvelle (entre 12h et 17h35) ? Tout ça alors que les dépêches du matin ne traitaient que de signaux de ralentissement sur l’ensemble de la planète ?
A part une manipulation de cours favorisée par des échanges quasi inexistants, nous ne voyons guère qu’une manifestation de delirium tremens. Il s’agit là d’un symptôme classique chez les drogués en manque qui attendent depuis trop longtemps leur dose.
▪ L’économie réelle a le moral dans les chaussettes
Pour en revenir à des considérations sans importances — c’est-à-dire à la réalité économique qui concerne tout un chacun — nous avions appris dès samedi que l’activité manufacturière en Chine est tombée en août à son plus bas niveau depuis mars 2009. L’indice PMI officiel ressort à 49,2, c’est-à-dire bien en dessous du seuil technique de croissance qui est de 50.
Le Brésil, qui affichait une hausse de 3,7% de son PIB l’été dernier, évolue désormais sur une pente annuelle de 0,4% — Morgan Stanley anticipait 3,5% en 2012, juste 90% de marge d’erreur. L’Inde est repassée quant à elle de 8% à 5,5% (et son système bancaire est au bord de l’implosion).
Pour en terminer avec les nouvelles les plus fraîches (dans tous les sens du terme), le secteur manufacturier de la Zone euro accentuait sa contraction en août. L’indice PMI de l’institut Markit s’établit à 45,1, après un plus bas de 37 mois observé en juillet. Il affiche par ailleurs un niveau inférieur à sa dernière estimation flash (45,3).
Cela fait sans conteste beaucoup trop de bonnes nouvelles pour ne pas anticiper un shoot massif de liquidités tous azimuts. La planche à billets devrait tourner à plein régime de Tokyo à New York, en passant par Francfort et Pékin, sans oublier la Banque centrale de Tasmanie et de l’Ile de Pâques.
Si tout le monde s’y met, cela devrait nous mettre le kilo d’or à 2 000 $ et la tonne de maïs au prix du boeuf charolais sur pied avant le 21 décembre 2012.
A quand les graines de soja au prix des oeufs de saumon… et le litre d’essence aux prix du Beaujolais nouveau ? Simple question de patience !
Nous pressentons qu’en cas de QE massif (quel que soit le procédé par lequel sera créé l’argent ex nihilo), la fin de l’année 2012 sera célébrée sur fond de sans plomb à 2 euros et le début 2013 sera placé sous le signe de la désintégration globale du pouvoir d’achat des ménages.
Après la désintégration de la croissance, puis la désintégration des emplois, des salaires et des prestations sociales, nous allons pouvoir tester les effets de la désintégration des dernières illusions dans l’efficience du capitalisme de faux-monnayage.
Si l’on vous passe une commande de cartons d’invitation pour le bal des faussaires, faites-vous régler en sacs de blé ou en Napoléons.
N’acceptez des dollars que si le client brandit sous votre nez une arme de fort calibre. Si tel est le cas, il s’agit à coup sûr d’un Américain… et la méthode a fait ses preuves !