La Chronique Agora

Le positif attire-t-il le positif ?

Ce que les mots peuvent nous apprendre sur l’avenir du progrès…

« Au commencement était la parole. » – Jean 1:1

Nous avons tous un rôle à jouer. Les citoyens d’un empire dégénéré et en déclin doivent agir comme des citoyens d’un empire dégénéré et en déclin, et s’exprimer comme tel. D’abord, ils doivent cesser d’utiliser des mots tels que « progrès » et « avenir ».

C’est en tout cas l’essentiel de l’article de John Burn-Murdoch dans le Financial Times. Il a étudié l’utilisation des mots et a constaté que les individus qui s’élèvent n’utilisent pas les mêmes mots que ceux qui déclinent. L’Angleterre s’est industrialisée bien avant l’Espagne, par exemple. En s’intéressant simplement au nombre de mots, il a constaté que les Anglais utilisaient beaucoup plus de mots qui suggèrent l’optimisme – tels que « progrès » et « avenir » – que les Espagnols. Il estime que ces mots témoignent d’un état d’esprit qui peut conduire, voire provoquer, un réel progrès matériel.

Mais les mots ne sortent pas de nulle part. Ils reflètent ce que les gens voient et entendent… et ce à quoi ils pensent. Hier, le Wall Street Journal a publié cet article :

« Les négociateurs du Congrès sont parvenus à un accord sur un niveau de dépenses publiques de 1,6 trillion de dollars pour 2024

L’accord ouvre la voie à un ensemble de mesures pour l’ensemble de l’année, évitant ainsi une mise à l’arrêt du gouvernement, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. »

Là où le désert s’arrête

Bonne nouvelle ? La paralysie a été évitée… dépenser, dépenser, dépenser. Et voici ce que dit notre vieil ami, John Mauldin, qui écrit dans Forbes :

« Nous n’avons plus de bons choix qui s’offrent à nous. C’est comme si nous étions en train de traverser un désert, et que nous étions certains de ne pas avoir assez d’eau pour revenir en arrière.

Nous devons aller de l’avant, sans savoir où le désert s’arrête.

Telle est la réalité. A moins de réduire les dépenses de sécurité sociale et Medicare, d’ignorer les pensions militaires, de vendre les parcs nationaux, d’abolir des départements du gouvernement, de réduire de moitié le budget de la défense ainsi que celui de la sécurité intérieure, de l’éducation, du travail, du département de la justice et du FBI, etc. »

Et la dette atteindra 50 000 milliards de dollars d’ici 2030. C’est aussi la réalité.

Le reste des nouvelles n’est pas vraiment réjouissant, non plus. CNN rapporte :

« Selon les statistiques palestiniennes, une personne sur 100 a été tuée à Gaza depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre. Le ministère palestinien de la santé à Ramallah a annoncé dans sa mise à jour quotidienne lundi qu’au moins 22 835 personnes ont été tuées dans l’enclave assiégée depuis le début de la guerre. »

Une ombre au tableau

Que révèlent les mots que nous employons aujourd’hui ? Tout à fait ce à quoi on s’attendait. En comparant les mots optimistes aux mots négatifs – ceux qui suggèrent « la prudence, l’inquiétude ou le risque » – dans les livres en anglais, en français et en allemand, Burn-Murdoch a constaté que « l’Occident » s’est assombri à la fin du XXe siècle, et qu’il continue depuis sur cette voie.

L’auteur pense peut-être que le choix des mots – illustrant une croyance répandue selon laquelle l’avenir pourrait être amélioré – a en fait conduit à des améliorations. Plus vraisemblablement, les gens en sont venus à penser ce qu’ils devaient penser lorsqu’ils devaient le penser… ou lorsqu’il était payant de le penser.

Les marchés font les opinions, disent les anciens. Lorsque les valeurs technologiques montent en flèche et que les gens s’enrichissent grâce à Apple, Meta ou Nvidia, que pensent-ils ? Ils pensent qu’ils peuvent s’enrichir avec les valeurs technologiques !

Nous tenons pour acquis que la réalité façonne les opinions. Ce que nous ne savons pas, c’est à quel point les opinions façonnent la réalité. Il doit y avoir un certain pouvoir dans le fait de « penser positif ». Et si l’on souhaite être le leader mondial en matière de technologie, de fabrication et de puissance militaire, comme les Anglais au XVIIIe siècle, il est probablement bon de croire en un avenir radieux.

Mais comme le rapporte James Nielson, chroniqueur au Buenos Aires Herald, les Occidentaux ne sont plus très optimistes :

« Ces derniers temps, nous avons beaucoup parlé du déclin rapide de l’Occident qui, en plus de devoir faire face à une ligue d' »autocraties » convaincues que leur moment est venu, ce dernier est miné de l’intérieur par des individus influents qui insistent sur le fait qu’il s’agit, dans une large mesure, d’une entreprise criminelle qui doit son existence au comportement ignoble de marchands d’esclaves, de fanatiques racistes suprématistes blancs, d’impérialistes, de colonialistes et d’autres êtres tout aussi méprisables. Pour ceux qui pensent ainsi, et ils sont des millions, ancrés dans les universités, les médias et les bureaucraties nationales, l’Occident et ses habitants indigènes méritent amplement le sort malheureux qu’ils voient approcher à grands pas. »

Fracassés et naufragés

Dans la Rome antique, nombreux étaient ceux qui pensaient que l’empire était condamné parce que le peuple avait cessé de croire aux anciens dieux et de respecter les anciennes coutumes. Gibbon pensait lui aussi que le christianisme était en partie responsable de cette situation. Il pensait que l’éloge des « débonnaires » et le fait de tendre l’autre joue n’étaient pas compatibles avec la gestion d’un grand empire.

Mais beaucoup d’eau avait coulé sous le Ponte Sant’Angelo à l’époque où les Romains avaient été christianisés. De nombreux corps avaient été jetés dans le Tibre, victimes des guerres civiles et des purges politiques. L’économie, elle aussi, avait été ébranlée et anéantie par l’inflation et les dépenses excessives. Si l’on disposait d’une base de données électronique contenant davantage de mots sur les Romains, on découvrirait probablement que les Romains avaient eux aussi perdu leur ton optimiste au Ve siècle.

De même qu’imprimer de la monnaie ne rend pas riche, croire en un avenir radieux ne fait pas briller le soleil. Et aujourd’hui, si le soleil se couche sur le Grand Empire occidental, ce n’est probablement pas parce que le nombre de mots positifs a diminué.

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