La semaine dernière, j’évoquais les conditions de bonheur que cherchaient à codifier différents courants politiques. En réalité, cette prétention même est illégitime.
Le Bonheur n’est pas une notion universelle mais relative
Le personnel politique se comporte comme si sa conception idéaliste du bonheur devait être imposée à tout un chacun. Dans un style qui lui est propre, le bloggeur Hazukashi a parfaitement résumé la situation :
« On reproche à la politique d’être devenue une lutte cynique, une série de basses stratégies pour conquérir le pouvoir et le conserver. Mais il y a une autre conception, pire encore, qui se cache derrière. Sa dimension altruiste. Celle du jeune idéaliste pur et dur. Cette pulsion de l’homme-pieuvre qui veut votre bonheur, qui veut le bonheur de tout le monde, qui veut surtout que vous adoptiez sa conception du bonheur pour réaliser la paix sur Terre en vous englobant de tous ses tentacules comme dans un film pornographique Japonais… »
Tocqueville n’entendait pas autre chose lorsqu’il décrivait il n’y a pas loin de deux siècles l’ambition de l’Etat vis à vis de ses administrés :
« Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
L’action politique peut avoir pour objectif d’améliorer le bien-être de la population dans la sphère publique, mais elle doit s’arrêter là où débute la vie privée de chacun. La célèbre lettre de Georges Pompidou à son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas au sujet de « la sauvegarde des arbres plantés au bord des routes » est un bon exemple d’un président qui agit dans l’intérêt général de la population sans s’immiscer la vie privée de ses concitoyens.
« Il en ressort, en effet, que l’abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l’on n’envisage qu’avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.
C’est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n’ont, semble-t-il, d’autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage. »
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Quel est le rôle du président de la République ?
Précision qui a son importance : de la même manière qu’entre 1791 et 1792 puis entre 1830 et 1848, Louis XVI et Louis-Philippe n’étaient pas rois de France mais rois des Français (matérialisant ainsi que le fondement de la souveraineté n’est plus de droit divin mais conféré par le peuple), on parle bien du président de la République, et pas du président des Français. Le président de la République n’est donc pas notre suzerain et encore moins notre papa.
Dans les grandes lignes, à l’intérieur du territoire national, il veille au respect de la Constitution, il incarne l’autorité de l’Etat et assure le fonctionnement normal des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat. Vis-à-vis de l’extérieur, il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités conclus par la France.
Par conséquent, lors d’une campagne présidentielle, les candidats devraient se faire les porteurs des grandes orientations politiques vers lesquelles ils veulent diriger la nation, et uniquement de celles-ci. Les élections présidentielles ne sont pas les élections législatives, qui, elles, sont le moment opportun pour défendre un programme de gouvernement comportant des propositions plus spécifiques. Pour reprendre en substance un mot de Mitterrand, l’élection présidentielle n’est pas l’élection du ministre du Budget.
Avant toute chose, l’Etat doit assurer avec détermination ses fonctions fondamentales. Sa vocation première est de faire en sorte « que chacun […] travaille en liberté le jour et dorme en paix la nuit », c’est-à-dire qu’il assure « le maintien de l’ordre et la distribution de la justice », comme l’expliquait Frédéric Bastiat.
Il est vrai que depuis le XIXème siècle, la donne a beaucoup changé. La sphère d’intervention de l’Etat s’est tellement éloignée de son rôle premier que rares sont les pans de notre vie quotidienne où il ne s’est pas encore immiscé. Jean-François Revel faisait à cet égard la distinction entre « le bon Etat et le mauvais ». Cependant, nul article de la Constitution en vigueur ne prévoit encore que le président de la République ou le Gouvernement ont pour attribution de chercher à faire le bonheur de la population. La raison en est très simple.
La recherche du bonheur est une quête qui appartient au seul domaine privé
Cette quête a vocation à se jouer au niveau individuel, familial, amical, professionnel ou encore associatif. Compter sur l’Etat pour résoudre ses problèmes, c’est tomber dans le piège de l’infantilisation et de la dépendance au biberon étatique, et in fine du totalitarisme.
Prétendre en tant que candidat à un poste électif vouloir assurer le bonheur de la population, est un procédé démagogique qui permet effectivement de tromper une partie de la population. Confronté à ce type de discours, rappelons-nous ce propos de Milton Friedman : « la pire des erreurs est de juger une politique par ses intentions et non par ses résultats ».