La Chronique Agora

Politique : quand la vertu s’efface

Investor analyzing $WLFI World Liberty Financial token on a crypto exchange.

Entre vulgarité assumée et conflits d’intérêts affichés, la décence s’effrite – et avec elle, la confiance qui soutient la monnaie américaine.

« Aucun homme ne peut, pendant une période prolongée, se montrer sous un visage différent à lui-même et à la foule, sans finir par se demander lequel des deux est le vrai. » — Nathaniel Hawthorne

Nous écrivons aujourd’hui pour faire l’éloge de l’hypocrisie. Comme le suggère Hawthorne, elle nous trompe parfois, mais elle nous incite aussi à vivre de manière plus vertueuse.

Or la vie publique semble aujourd’hui moins hypocrite… et plus grossière.

Quand nous étions jeunes, par exemple, les gros mots étaient rarement entendus. Ils étaient proscrits à la télévision et dans la presse écrite. Aujourd’hui, ce sont les mots les plus employés. Malgré tout, jusqu’à cette année, nos dirigeants s’interdisaient encore d’en utiliser en public. Ils étaient tenus de respecter des « normes plus élevées ». Ce n’est plus le cas.

Donald Trump :

« L’Iran et Israël n’ont aucune p***** d’idée de ce qu’ils font. »

Ce n’est pas le rôle de La Chronique Agora de remuer la boue. Mais nous n’avons jamais eu autant de boue à remuer. Ce qui relevait autrefois de la honte ou de la stigmatisation sociale est désormais étalé au grand jour.

Soyez donc sur vos gardes. La valeur du dollar américain ne repose pas seulement sur les lois ou la solidité de l’économie, mais aussi sur la confiance que les gens accordent à la bonne foi, à la prudence et à la probité de leurs dirigeants.

Mais sans l’hypocrisie pour servir de paravent moral… cela signifie-t-il que la faillite, le défaut de paiement, l’inflation, les saisies, les dévaluations et les escroqueries deviennent plus probables ?

Peut-être.

Voyons d’abord jusqu’où l’intégrité publique a déjà reculé…

Autrefois, les politiciens hésitaient à « tirer profit » de leurs fonctions. C’était jugé inconvenant, voire illégal. Ce n’est pas qu’ils refusaient tout pot-de-vin ou toute influence, mais ils agissaient discrètement, et à petite échelle.

Le fameux discours Checkers de Richard Nixon, en 1952, a fixé la norme. Nixon n’avait pas enfreint la loi, mais il était soupçonné d’avoir été remboursé (de manière inappropriée ?) pour certaines dépenses, et d’avoir accepté des « cadeaux » de grands donateurs. Candidat républicain à la vice-présidence, il voyait sa campagne compromise par ces soupçons.

Il est alors passé à la télévision et a tout expliqué. Il a reconnu avoir accepté un cadeau : un cocker spaniel nommé Checkers – et il a précisé qu’il ne le rendrait pas. Le public a été attendri, et Nixon a conservé sa place.

Mais c’était une autre époque.

Aujourd’hui, selon Reuters, la famille du président américain aurait engrangé plus de 800 millions de dollars grâce à la vente d’actifs cryptographiques au seul premier semestre 2025 – sans compter plusieurs milliards de gains « sur papier » non réalisés. Une grande partie de cet argent proviendrait de sources étrangères, les fils de Donald Trump ayant fait la promotion de leur entreprise lors d’une tournée internationale auprès d’investisseurs.

L’argumentaire était simple : investissez au moins 20 millions de dollars dans les jetons de la société familiale, World Liberty Financial, et participez à une aventure qui, selon Eric Trump, « incarnera bientôt l’avenir de la finance américaine », rapporte une source proche de la réunion.

Au premier semestre de cette année, les revenus de la Trump Organization ont été multipliés par 17 : de 51 millions à 864 millions de dollars, selon les calculs de Reuters fondés sur les déclarations officielles du président, les registres fonciers, les documents judiciaires, les transactions cryptographiques et d’autres sources.

Sur ce total, 802 millions de dollars – soit plus de 90 % – provenaient des activités liées aux cryptomonnaies, notamment des ventes de jetons World Liberty.

Un excellent vendeur peut vendre du sable dans le désert. Mais les fils de Trump font mieux encore : ils vendent des jetons qui ne représentent rien… pour des milliards. Ils doivent être vraiment doués en affaires !

Mais attendez… de quel commerce parle-t-on exactement ? A quoi sert tout cet argent ?

Eh bien, il a notamment permis au milliardaire chinois Justin Sun d’échapper à une enquête de la SEC. L’agence a reculé après que Sun a acheté pour 30 millions de dollars de jetons WFL. Et il a permis aux Emirats arabes unis d’obtenir le feu vert pour l’achat de puces informatiques sensibles sur le plan sécuritaire, après un investissement de 2 milliards de dollars.

Une protection contre les droits de douane ? Une grâce présidentielle ? Une alerte préalable sur les prochaines décisions du chef de l’Etat ?

La professeure de droit Kathleen Clark résume ce qui saute aux yeux :

« Ces personnes n’investissent pas dans les entreprises familiales Trump pour le génie commercial des fils. Elles le font parce qu’elles veulent échapper aux contraintes juridiques et bénéficier de l’impunité que seul le président peut leur offrir. »

Et ce ne sont pas seulement des manœuvres financières ou des combines mercantiles que l’on peut observer. Les auteurs de ces actes ne se cachent plus dans l’ombre. Ils s’en vantent ouvertement.

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