Le SWIFT chinois ne fait plus hausser les épaules de personne.
Les Occidentaux ont SWIFT (pour « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication ») depuis 50 ans (la conception remonte à 1973), et la Chine propose depuis 7 ans un système quasiment jumeau, baptisé CIPS (pour « Cross-Border Interbank Payment System »).
Ses débuts ont été relativement confidentiels. Le fait qu’il soit administré par la PBoC (la Banque Populaire de Chine, c’est-à-dire Xi Jinping pour faire court) a cantonné son utilisation « internationale » aux transactions entre Hong Kong et la Chine.
Mais, en mars 2022, la menace d’exclure la Russie de SWIFT, déjà brandie suite à l’annexion de la Crimée en 2014, a été mise à exécution.
Moscou semblait s’y attendre puisque, en sus de la dédollarisation, la Banque centrale russe a commencé le développement d’un clone de SWIFT et CIPS, baptisé SPFS (Financial Messaging System).
SPFS a été lancé officiellement en 2017. Largement adopté en interne, il n’était accessible à l’international qu’aux filiales des grandes banques russes en Allemagne et en Suisse.
L’intérêt des sanctions
En termes absolus, l’expansion internationale de ces deux systèmes russes et chinois était anecdotique en février 2022.
Un nain en comparaison de SWIFT (siège basé en Belgique, mais administré par une dizaine de banques centrales, dont celles du G7 plus celles de Suisse et de Suède), qui interconnecte plus de 11 000 institutions financières dans plus de 200 pays et territoires différents et supporte un trafic estimé à 40 millions de messages par jour, qui représentent des milliers de milliards d’euros changeant de comptes bancaires entre les entreprises, les banques et les Etats du monde entier.
En mars 2022, tout a changé avec l’interconnexion des systèmes CIPS et SPFS. Ce saut technologique constituait aussi un fort signal politique qui a littéralement fait boule de neige auprès des autres pays constitutifs des BRICS, auxquels veulent adhérer l’Argentine, l’Egypte, l’Algérie, l’Indonésie, etc.
Les pays du Club de Shanghai (il réunit la plupart des ex-républiques soviétiques d’Asie centrale) et les adhérents de l’Asean se sont particulièrement pris d’intérêt pour le réseau chinois suite à la confiscation des avoirs de la banque centrale russe puis l’exclusion des banques russes de SWIFT suite à l’invasion de l’Ukraine.
En ce qui concerne une telle exclusion, seul l’Iran avait subi un tel bannissement en forme d’humiliation suprême en 2012 (sanction toujours en vigueur) dans le cadre d’un chantage américain qui n’a pas fonctionné, s’agissant de l’enrichissement de l’uranium de qualité civile, avec à terme la possibilité d’en transformer quelques quantités en un produit suffisamment « alourdi » pour constituer le cœur d’une munition nucléaire emportée par un missile balistique à longue portée.
L’impossible retour en arrière
De récentes rumeurs évoquent une réintégration des banques russes dans le système SWIFT car c’est Moscou qui a démontré un pouvoir de nuisance considérable en matière d’exportation de blé avec la désorganisation des marchés européens, sans parler de la pénurie d’engrais bon marché indispensables aux agriculteurs occidentaux depuis le début des hostilités en Ukraine.
Et des juristes travaillant en liaison avec le Parlement de Bruxelles viennent même d’estimer que les avoirs confisqués à la banque centrale russe devront lui être restitués en cas de règlement du conflit.
Si les Occidentaux revenaient sur toutes leurs sanctions, cela ne changerait rien au fait que ce qui est arrivé… est arrivé.
Ce précédent ne sera pas oublié, et Pékin en jouera jusqu’à satiété, sans même avoir besoin de forcer le trait pour convaincre les pays qui ne gobent pas le narratif de l’Otan, par exemple sur le sabotage de Nord Stream (dont les résultats de l’enquête ne seront jamais rendus publics).
L’Allemagne peut s’en estimer la principale victime à tous les niveaux. Elle avait cofinancé le projet, sa compétitivité industrielle dépendait du gaz russe, l’électricité germanique était devenu l’étalon tarifaire en Europe, etc. Mais elle ravalera vite son indignation et sa colère, car le parapluie nucléaire américain sur l’Europe est déployé principalement depuis la base de Ramstein, qui sert également de PC stratégique et de plaque tournante pour l’envoi de matériel militaire à l’Ukraine.
La destruction de Nord Stream est quasi irréversible (prévoir plusieurs trimestres pour une remise en état, plusieurs années pour que cela redevienne acceptable diplomatiquement). En revanche, la destruction de CIPS est impossible, et son piratage le sera tout autant si les instructions y circulant sont sécurisées par une blockchain. Toutes les instructions transitant par SWIFT répondent déjà à la définition d’un « smart contract » et sont cryptés… c’est déjà une quasi blockchain.
Les chinois acteront ce petit saut technologique car ils sont les plus avancés dans ce domaine : plusieurs expériences de monnaie numérique tournant sur blockchain sont en cours d’expérimentation travers le pays, et y compris le concept de « monnaie fondante » (si elle n’est pas dépensée).
Pour résumer : la destruction du « tuyau » Nord Stream a accéléré l’adhésion au « tuyau » CIPS… et les Occidentaux n’ont certainement pas gagné au change !