Les subtilités des politiques et annonces de la Fed ne comptent que peu face à la simple réalité du robinet toujours ouvert et qui alimente la bulle.
L’indice VIX (qui mesure la volatilité des actions) s’est négocié jeudi dernier à 12,73, le plus bas depuis janvier 2020.
Ma conclusion est que les marchés n’ont pas peur. Ils se rient de la Fed et de ses subtilités, de ses finasseries : un coup je te vois, un coup je ne te vois pas. Les marchés savent que ce ne sont pas les jeux de la Fed qui comptent !
Ils ont compris depuis longtemps que ce qui compte pour maintenir le système de gestion par les bulles, c’est la masse de liquidités mondiales.
Les Bourses et les liquidités ne forment qu’un seul et même ensemble, l’ensemble du money-like et de la quasi-monnaie ; on glisse de la monnaie à la Bourse, et de la Bourse à la monnaie. Et les liquidités sont colossales ! Les milliers de milliards se promènent.
Les conditions financières réelles, celles qui sont perçues par les opérateurs de la communauté spéculative, sont souples. Tant que la perception qu’ont les marchés de l’abondance de liquidités n’est pas modifiée, la liquidité est là !
Je vous rappelle la définition géniale qu’un ex-gouverneur de la Fed (et vice-président de la Réserve fédérale de 2006 à 2010), Donald Kohn, a donnée de la liquidité : « La liquidité, c’est quand on est persuadé que l’on va vendre plus cher ce que l’on a acheté. »
Liquidité garantie
La réalité est que les marchés sont toujours trop liquéfiés.
La Fed et la communauté des banques centrales mondiales sont un peu crédibles sur le plan des taux, mais elles sont rigoureusement non crédibles sur le plan de la liquidité.
J’ai décrit il y a peu les astuces de la Fed pour assurer la surliquidité en cachette par le biais des GSE et autres FHLB. Ces pratiques sont connues de la smart money : ils savent que la gestion reste laxiste et qu’elle ne peut pas être autrement.
Les Government Sponsored Enterprises sont là pour garantir que la liquidité ne se dérobera pas, elles injectent les liquidités qui empêchent les fragilités et donc la peur de se manifester ! Elles garantissent – conformément au souhait exprimé en son temps par Bernanke – que jamais les conditions financières ne se resserreront.
C’est l’assurance garantie, et cela explique que le VIX, indicateur supposé de peur, soit au plus bas.
La certitude que les liquidités seront là conduit à la prise de risque, on se met en risk-on, on fait du levier et hop, la prise de risque et l’effet de levier spéculatif créent la liquidité !
Cette réalité et ce processus ont produit pour la énième fois une vague spéculative qui a trouvé un réceptacle. Une bulle maniaque s’est alors installée parmi les grandes valeurs technologiques, poussant la bulle « IA » dans la stratosphère !
Tour de magie financier
Nous sommes dans un processus magique de prophétie qui se réalise d’être crue, un processus auto-productif de sa propre liquidité ! Et il suffit de serrer un peu la gorge des imbéciles vendeurs à découvert pour que tout s’emballe et s’enflamme ! Les shorts sont le ressort de ces épisodes spéculatifs. Le levier sous forme de dérivées, d’options, et autres bestioles qui donnent droit à bénéficier des écarts de cours sans mise importante suffit ensuite.
Le carry trade vient compléter le processus décrit ci-dessus.
Le yen est une source majeure de financement bon marché pour la communauté spéculative mondiale. Le refus du nouveau gouverneur de la Banque du Japon de prendre le risque de commencer à envisager d’annuler l’une des expériences monétaires les plus aventureuses de l’Histoire a été une aubaine sous cet aspect.
Les Bourses ont découvert le mouvement perpétuel : elles créent leur propre liquidité, et elles bénéficient du phénomène bien décrit par Soros : la réflexivité.
La réflexivité et la magie dominent le marché financier à notre époque.
Et les apprentis sorciers n’osent ni la nommer, ni la contrarier. Ils ont vu en septembre 2022 ce qu’il en coûtait de tenter de s’y opposer lors de l’épisode de dislocation britannique qui a failli tout emporter. Les banques centrales ont dû recommencer les QE et racheter les positions spéculatives de la toute puissante communauté financière.
Pour vraiment lutter monétairement contre l’inflation, contre la mentalité inflationniste et son transfert sur les biens et services, il faudrait oser casser la mécanique ; personne n’est prêt à le faire.
Il suffirait de laisser monter les taux longs : cela détruirait les capacités bilantielles des preneurs de risque et couperait court à la production de la liquidité.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]