La Chronique Agora

La plus grosse calamité financière de l’histoire américaine

Personne ne semble s’en soucier, on l’explique et on la minimise… et pourtant, la dette US pourrait avoir des effets dévastateurs sur l’économie.

Aujourd’hui, nous abordons une chose dont personne ne se soucie beaucoup, même si elle menace d’engendrer la plus grosse calamité financière de l’histoire des Etats-Unis :

La dette.

Un glorieux Valhalla ?

La dette US totale – publique et privée – approche désormais les 74 000 Mds$. L’économie qui soutient cette dette a connu une croissance régulière, mais de loin pas assez rapide pour tenir le rythme.

Comme nous le faisons souvent remarquer, le temps, c’est de l’argent. Lorsque vous devez de l’argent, vous devez en réalité du temps. Or le temps n’est pas une chose que l’on peut bidouiller à son gré. Il passe… quoi que vous pensiez ou fassiez.

Historiquement, les Américains devaient 1,5 jour de futur travail pour chaque jour de labeur présent. En d’autres termes, le ratio dette/PIB atteignait en moyenne 1,5/1 durant les huit premières décennies du XXème siècle.

Ensuite, la dette a augmenté ; elle se monte désormais à 3,5 jours de futur PIB pour chaque jour de production actuelle.

Sommes-nous arrivés à un glorieux Valhalla, où les anciennes règles ne s’appliquent plus, où la dette n’a plus d’importance… où le temps n’est plus notre maître, mais notre serviteur ?

Plus de dette ? Pas de problème

Houlà… nous allons un peu trop vite. Ralentissons.

Il y a deux raisons pour lesquelles on dit que la dette n’est pas un problème. La première, donnée par l’économiste Paul Krugman & co., est que « nous nous la devons à nous-mêmes ». La deuxième, proposée par Donald Trump, l’économiste Gale Pooley et d’autres, est que nous « nous en sortirons par la croissance ».

Nous pouvons facilement jeter la première raison à la poubelle. Le fait que « nous nous la devons à nous-mêmes » n’est qu’une identité comptable. Pour chaque débiteur, il y a un créditeur. Pour chaque dollar de débit, il y a un dollar de crédit. Pour chaque chiffre négatif du côté gauche du registre, il y a un chiffre positif du côté droit.

C’est juste une manière de suivre les choses, pour les comptables. Dans le monde réel, ce « nous » est trompeur. Certains doivent. D’autres reçoivent.

John travaille pendant 20 ans. Il épargne son argent. Il le prête à Tom. John a un crédit équivalent au débit de Tom. « Nous » sommes quittes.
John pense avoir 20 ans de travail et d’épargne qui lui reviendront, sur lesquels il a l’intention de prendre sa retraite. Si l’on part du principe que Tom peut gagner et épargner de l’argent au même rythme que John, le premier devra consacrer 20 ans de futur travail et épargne pour régler sa dette envers le second.

On est quitte… ou pas

Toute dette est essentiellement un contrat entre le passé et l’avenir. L’argent ne peut être prêté que s’il a été gagné dans le passé. Ensuite, il ne peut être remboursé que s’il est à nouveau gagné… dans l’avenir.

Et si Tom ne peut pas payer ? 20 ans de travail et d’épargne seront perdus. Le monde sera plus pauvre en conséquent, et le pauvre John devra travailler aussi longtemps qu’il le peut.

Sur le papier, Tom doit peut-être à John exactement la somme qu’il avait empruntée… et John a peut-être un crédit exactement équivalent à la somme prêtée.

Mais cela n’a aucun sens. Une dette qu’on ne peut pas rembourser, qu’on la doive à « nous-mêmes » ou au roi de Siam, n’a aucune valeur.

Attendez une minute. John va passer cette dette en pertes et profits. Il perdra de l’argent. Mais Tom sera libéré de son obligation de payer. John sera plus pauvre. Mais Tom sera plus riche. On est toujours quitte, non ?

Non. Tom a pris l’épargne de John et l’a dépensée. Cette richesse n’existe plus. « Nous » sommes plus pauvres.

Un mensonge apaisant

A présent, examinons l’autre mensonge apaisant – selon lequel nous sortirons de la dette « par la croissance ».

Comme le souligne Krugman lui-même, dans l’urgence de la Deuxième guerre mondiale, le gouvernement américain avait emprunté une gigantesque somme d’argent. Mais, au cours des décennies qui suivirent, l’économie s’est développée plus rapidement que la dette. Ainsi, comme une star de cinéma vieillissante, la dette de l’ère de la Deuxième guerre mondiale a disparu petit à petit.

En 1948, elle se montait à 126% du PIB ; en 1980, elle était tout juste reconnaissable à 42% du PIB.

S’en sortir par la croissance ne fonctionne que si l’urgence passe et que le PIB se développe plus rapidement que la dette.

Actuellement, sans bombardiers japonais au-dessus des têtes… et sans chars de la Wehrmacht roulant sur les Champs-Elysées… le PIB américain se développe d’environ 2% par an. La dette américaine, cependant, croît d’environ 1 000 Mds$ par an… soit 5% à peu près.

Comme nous l’avons souligné hier, cette explosion de dette se produit moins de deux ans après une grosse réduction d’impôts censée stimuler la croissance du PIB… et alors que nous sommes dans les dernières phases d’un boom de 10 ans.

Qu’arrivera-t-il lorsque le boom prendra fin ?

Nous y viendrons dans un instant. D’abord, qu’en est-il de l’argument de M. Pooley ?

Selon lui, les mesures du PIB ne tiennent pas compte des améliorations technologiques… et, grâce à tous ces progrès, la dette ne sera pas un problème. Après tout, le nouvel iPhone est 120 fois plus puissant que le premier, tandis que le nouveau Ford F150 compte 600 microprocesseurs. Voilà qui aidera Tom à payer ses factures, non ?

Voyons voir… comment est-ce que ça fonctionne ?

En théorie, diront les technophiles, l’innovation et l’invention donneront à Tom un rendement plus élevé sur son temps. Sauf qu’on ne peut pas rembourser ses dettes en puissance informatique. On les paie en argent. Et d’où vient l’argent ? Du temps passé à travailler.

L’inflation ou la mort

Le taux de croissance des salaires baisse depuis 40 ans. En dépit de plus d’innovations que jamais au cours de l’Histoire, les salaires réels aujourd’hui ne sont pas plus élevés que dans les années 70.

A présent, à la fin du cycle, il paraît que les salaires augmentent de près de 5% par an. Mais une fois la crise engagée, cette croissance des salaires disparaîtra rapidement… alors même que la dette augmente plus encore.

Et ensuite ? Tout le monde sait ce qui va se passer.

Peu importe qui sera à la tête du pays, les Etats-Unis sont dans un piège « l’inflation ou la mort ». Personne ne veut voir le boom prendre fin, par ailleurs. On continuera donc à gonfler la bulle…

Entreront en piste l’assouplissement quantitatif, les programmes d’infrastructures… les crédits d’impôts… l’annulation des dettes étudiantes… l’augmentation des prestations sociales… et toutes les autres gabegies censées aider Tom à payer ses factures !

Durant la crise qui se dessine, les déficits US augmenteront à 2 000 Mds$ par an ou plus. La dette gouvernementale passera à 40 000 Mds$… et au-delà. La dette totale – y compris celle des ménages et des entreprises – dépassera les 100 000 Mds$.

Progressivement… puis brutalement… les prix à la consommation grimperont. Et à partir de là, ce sera une affaire toute différente.

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