La Chronique Agora

La plus grande peur d’un banquier central

La banque centrale américaine veut aller plus vite, plus fort, en matière de baisse des taux. Cela masque mal un manque d’idées… et la peur de perdre la face.

Lors de son intervention devant le Congrès US la semaine dernière, Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, s’est quasiment engagé à réduire les taux prochainement.

Pour une Fed qui se dit « dépendante des données », c’est un peu contradictoire. On doit se doit demander : « Mais qu’en est-il des données ? » A quoi servent-elles si on décide par avance, sans elles !

Il n’y a pas que Powell qui appuie sur l’accélérateur de la baisse des taux. Manifestement, les gouverneurs des Fed locales sont persuadés d’être en retard et ils essaient de rattraper le temps perdu.

Jeudi après-midi le président de la Fed de New York, John Williams, a affirmé dans cette même ligne : « La leçon, lorsque l’on approche des taux zéro, c’est qu’il faut agir rapidement. » Williams estime actuellement le taux neutre, le R*, aux Etats-Unis à environ 0,5%. Selon lui, il faut y aller rapidement, très rapidement… ce qui signifierait une baisse de 0,50% dès ces prochains jours.

Peu après, le vice-président de la Fed a enfoncé le clou. Richard Clarida : « La banque centrale doit agir de manière préventive » – et d’ajouter : « vous ne devez pas nécessairement attendre que les données tournent ».

Plus vite, plus fort… plus bas

Nous avons compris : d’une part il faut aller vite, d’autre part il faut frapper fort… et enfin pas besoin d’attendre les données économiques puisque tout cela est préventif.

Les marchés n’ont pas laissé passer le message.

Dans la foulée de ces annonces, le rendement implicite des futures sur les fed funds d’août a chuté de neuf points de base à 1,98%, soit 43 points de base au-dessous du taux actuel.

Par la suite, face à la montée de la probabilité d’une baisse de 50 points de base, la Fed a fait un peu marche arrière. Elle a déclaré que le discours de Williams ne préfigurait pas une « action politique potentielle ».

Ecoutons Williams – il y a de quoi douter de sa santé mentale ou de son respect pour son auditoire avec ces stupidités :

« Ma femme est infirmière-enseignante et elle dit que l’une des meilleures choses que vous puissiez faire pour vos enfants est de les faire vacciner. Mieux vaut accepter un peu de douleur à court terme que de prendre le risque de contracter une maladie plus tard.  

Je pense à la politique monétaire lorsque l’on est proche de la limite du zéro – ou ZLB [c’est-à-dire zero lower bound, en anglais, NDLR] en abrégé – doit procéder de la même manière. Mieux vaut prendre des mesures préventives que d’attendre le désastre… »

Je m’interroge : comment justifier pareilles stupidités avec de fausses analogies quand les marchés financiers sont au plus haut et battent tous les records… quand il y a 13 600 Mds$ de dettes dans le monde qui offrent aux taux d’intérêt négatif… quand le crédit aux entreprises est en plein boom… quand l’ingénierie financière est en surmultipliée… quand les sociétés rachètent leurs actions à tour de bras… quand les critères d’attribution de crédit se relâchent encore au point qu’un chien avec un chapeau en obtient ?

Comment justifier des mesures énergiques et précipitées de déversement de crédit si ce n’est par autre chose… que l’on cache ?

On nage en plein délire

Williams délire totalement en citant un article qu’il a écrit en 2002 qui évaluait « les effets du ZLB sur la macroéconomie et examinait différentes stratégies de politique monétaire pour atténuer les effets du ZLB ».

« Ce travail a mis en évidence un certain nombre de conclusions basées sur des simulations de modèles.  

En particulier, la politique monétaire peut atténuer les effets de la ZLB de plusieurs manières. La première : ne gardez pas votre poudre sèche, c’est-à-dire agissez plus rapidement… Lorsque vous n’avez qu’un tel stimulant à votre disposition, il est utile d’agir rapidement pour abaisser les taux dès le premier signe de détresse économique…  

Ma deuxième conclusion consiste à maintenir les taux d’intérêt bas plus le longtemps possible. L’attente d’une baisse future des taux d’intérêt abaisse les rendements des obligations et favorise ainsi le déploiement de conditions financières globalement plus favorables… Enfin, les politiques qui promettent une inflation temporairement plus forte après les épisodes de ZLB peuvent aider à générer une reprise plus rapide et à mieux maintenir la stabilité des prix à long terme. 

Dans les simulations de modèles, ces stratégies de ‘maquillage’ peuvent atténuer presque tous les effets néfastes de la ZLB. »

Williams oublie que son article a été écrit en 2002. Depuis, le temps a passé et il a prouvé que tout cela, tous ces modèles, tous ces raisonnements ont été mis en pratique… sans succès, sans autre résultat qu’une spéculation financière effrénée et un accroissement explosif des inégalités et une dislocation de nos sociétés.

Williams est un irresponsable… et un menteur ! Tout ce laïus sur la ZLB et la frontière du taux zéro n’a qu’un objectif : masquer l’embarras des apprentis sorciers face à la fragilité financière, face au risque d’éclatement de la bulle, face à l’alerte qui a été subie en décembre 2018 et qui a obligé Powell, la queue entre les jambes, à retourner piteusement sa veste et à se renier.

Comme l’a dit un ancien patron du FMI qui ne considère pas que la situation économique justifie une baisse des taux, tous ces gens, les banquiers centraux, sont obsédés par la question de leur crédibilité ; ils persévèrent dans l’erreur simplement pour ne pas se déjuger.

Leur terreur, c’est de perdre la face – et ils le disent en privé, les sots !

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