La Chronique Agora

Plus d’opium dans le café boursier

La sécurité informatique : un coût indispensable pour les autres, des profits pour vous ! (1)

Bonjour,

 Les vapeurs d’opium se sont dissipées, le rêve éveillé a brutalement pris fin mardi ! Quelqu’un a dû oublier de remettre le cachet de LSD quotidien dans le café du matin… Toujours est-il que Wall Street a brutalement atterri dans le monde réel en cette première séance du mois de mars. Elle démarrait pourtant sous les meilleurs auspices après un gain de 2,5% à 3% à l’issue du mois de février.

Les indices américains, anticipés en nette hausse mardi matin, ont rapidement viré au rouge de plus en plus vif. Le Dow Jones a abandonné au final 1,38%, à 12 058 points. Le S&P a décroché de 1,57%, et le Nasdaq a chuté de 1,6% à 2 737 points. L’évanouissement des illusions haussières s’est également traduit par une envolée de 15% du VIX au-delà des 21 (contre 18,35 la veille).

Avec un baril de pétrole repassé au-dessus des 98 $ dès mardi matin, certains continuaient de le croire en repli, vu l’acharnement avec lequel les médias avaient matraqué cette contre-vérité tout au long de la séance de lundi — et même encore bien après la clôture du NYMEX et des marchés américains (les places européennes ont gagné jusqu’à 0,95% une heure après l’ouverture).

Comme nous l’avions souligné hier, la détente des cours de l’or noir dont les commentateurs et les opérateurs se gargarisaient lundi n’avait jamais existé que dans leur imagination (rappelez-vous du titre de notre précédente Chronique).

Le WTI n’avait cédé au mieux que 0,5% à 0,7%, oscillant autour d’un cours pivot de 97,5 $, tandis que l’or continuait de grimper au-delà des 1 400 $. Et que penser de l’argent, qui établissait un nouveau record historique absolu à 34 $ ?

Un exemple que le métal jaune s’est empressé d’imiter mardi soir en pulvérisant son précédent plafond à 1 435 $.

▪ Des signaux aussi évidents de nervosité sous-jacente sur l’ensemble des marchés à terme de matières premières auraient dû mettre la puce à l’oreille des investisseurs quant à l’incohérence des justifications apportées à la hausse de Wall Street.

Est-il à ce point impossible de reconnaître — même avec une feinte candeur — que l’évolution des indices boursiers américains est téléguidée depuis la Fed ? A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’entretenir envers et contre tout un climat psychologique favorable après six mois de hausse ininterrompue d’un indice comme le Nasdaq ou le Russell 2000.

La prétendue accalmie des tensions au Proche-Orient débouche donc sur une nouvelle flambée du baril pour le moins imprévue dans ces proportions. Il a grimpé de 3,75%, ce qui le propulse au-delà de la barre symbolique des 100 $, vers 100,5 $.

▪ Quelques retentissantes fausses notes auraient dû alerter les marchés dès les premières heures de la matinée.

D’abord, les autorités égyptiennes annonçaient que la réouverture de la Bourse du Caire était repoussée au dimanche 5 mars. Difficile d’établir formellement un lien de cause à effet, mais la Bourse de Riyad plongeait simultanément de 6,8%…ce qui portait à 17% la chute des actions en Arabie Saoudite depuis le 1er janvier.

Quelques heures plus tard, les agences de presse relataient des heurts à Téhéran entre les forces de sécurité et des manifestants. Ces derniers réclamaient la libération des deux leaders d’opposition Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, placés en résidence surveillée depuis le week-end dernier.

L’opposition contre le Premier ministre koweïtien (Cheikh Nasser Mohammad al-Ahmad al-Sabah) se radicalise avec des appels à la révolte.

Les tensions persistent en Algérie et en Tunisie ; les appétits politiques des prétendants à un renversement des appareils politiques vacillants s’aiguisent.

En Libye, le colonel Mouammar Kadhafi s’accroche au pouvoir, mais ses adversaires reçoivent le soutien de plus en plus déterminé (voir musclé) des Etats-Unis. Moscou déclare le dictateur « mort politiquement », l’Europe rompt tout lien économique avec Tripoli et la communauté internationale a gelé la plupart des avoirs de la famille Kadhafi hors de son pays.

Plus au sud, la Côte d’Ivoire semble au bord de la guerre civile… Il va également falloir surveiller de près les pays d’Afrique de l’ouest — surtout ceux qui produisent du pétrole : la hausse des prix alimentaires y constitue un cocktail tout aussi détonnant qu’au Maghreb, sans compter des régimes dont la légitimité est fortement contestée.

▪ Comme si les incertitudes concernant le Proche-Orient ou l’Afrique ne suffisaient pas, Ben Bernanke estimait ce mardi devant la Commission bancaire du Sénat US que la hausse du pétrole — si elle s’avérait durable — pourrait avoir des répercussions négatives sur l’économie : « elle représente une menace tant pour la croissance économique que pour la stabilité des prix ».

Il n’envisage cependant pas de suspendre le déroulement de son « QE2 ». Rappelons que les économistes sont chaque jour plus nombreux à considérer qu’il constitue une part importante sinon déterminante de l’envolée spéculative des matières premières et de l’énergie.

Et ce n’est peut-être que le début d’une spirale infernale : de tout récents articles de presse et des études suggèrent que Ben Bernanke ne compte pas s’arrêter à un « QE2 » ni même à un « QE3 » !

Les Japonais injectent régulièrement de l’argent (en monétisant leur dette) dans leur économie depuis 15 ans, qui leur en fait grief ? Le yen a été délibérément affaibli face au dollar (puis face à l’euro) tout au long de ces 20 dernières années sans que l’inflation ne réapparaisse jamais dans l’Archipel… Pourquoi surgirait-elle aux Etats-Unis ?

Souvenez-vous également que la bulle des dot.com a été largement alimentée par le carry trade yen/dollar sans que la Banque centrale nippone soit jamais montrée du doigt. Pourquoi les marchés jetteraient-ils la pierre à « Ben la planche à billets », qui s’acharne à faire grimper les indices boursiers pour le bien de tous ?

Pourtant, derrière la façade d’optimisme et de confiance indéfectible dans l’infaillibilité de « Ben la fausse mornifle », certains opérateurs expriment des doutes officieux. Combien de temps la Fed va-t-elle pouvoir faire semblant de ne pas établir de lien entre sa politique monétaire non-conventionnelle et les excès spéculatifs qui s’emballent sur les matières premières et les denrées agricoles ?

Combien faudra-il d’émeutes de la faim, d’insurrections et de coups de semonce de la Chine concernant l’inflation avant que « Trillion Ben » change de cap ? Et si la Fed finissait par changer de cap(itaine) ?

Jamais des voix dissidentes ne s’étaient faites entendre aussi fortement depuis décembre dernier parmi ses membres.

Kevin Warsh, farouche opposant à la poursuite de l’assouplissement quantitatif, a démissionné début février. Et voilà maintenant que Thomas Hoenig (voir notre chronique de vendredi) affirme qu’il devient urgent d’envisager sa suspension ; il craint que la Fed se décrédibilise au sujet de l’inflation.

Pire, il affirme que les risques systémiques sont aujourd’hui encore plus élevés qu’ils l’étaient au cours des mois qui ont précédé la faillite de Bear Stearns ou Lehman.

Nous supposons qu’il dispose d’arguments aussi solides que les nôtres… Tout comme Madoff reprenant intégralement tous ceux que nous évoquions il y a 18 mois concernant la pyramide de Ponzi de la dette fédérale américaine !

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Impression, Grande Correction… stagflation

Bill Bonner

 

▪ « Les investisseurs commencent à s’inquiéter devant le renouveau des menaces de stagflation », titrait le Financial Times hier.

Rappelez-vous la stagflation, dans les années 70 : les prix ont grimpé, pas l’économie.

On dirait qu’il se passe la même chose actuellement — grâce aux autorités.

L’économie est prise entre une force implacable d’un côté et un objet fixe de l’autre. Entre une grande correction… et l’impression monétaire. La déflation et l’inflation.

« Ne luttez pas contre la Fed », disent les vétérans des marchés. L’argent facile de la Fed stimule les prix partout dans le monde. Mais pas tous les prix — du moins pas en Occident. En revanche, les prix des produits cotés — comme l’alimentation et l’énergie… et les actions… grimpent rapidement. L’action américaine standard a grimpé de 100% au cours des deux dernières années.

Parallèlement, le secteur privé est au beau milieu d’une Grande Correction. Il a heurté un mur durant la crise de 2007-2009. Il veut — et doit — dessaouler, se dégriser, faire une cure de désintoxication… se débarrasser de ses dettes et corriger ses erreurs.

Un article de l’International Herald Tribune soulignait l’un des effets de ce processus :

« Mis à mal par la récession, les Américains adoptent une nouvelle frugalité »…

« Les voitures, les téléphones et les vêtements, autrefois facilement jetés, sont utilisés plus longtemps »…

L’humeur générale est en train de changer… elle évolue avec l’économie. Le lumpen consommateur n’est plus le panier percé qu’il était autrefois. Parce qu’il n’est plus du tout convaincu qu’il est en train de s’enrichir. Le prix de sa maison baisse. Son emploi, quand il en a un, ne lui donne plus l’espoir de voir son salaire augmenter.

Tandis que les autorités gonflent les prix partout dans le monde, en Occident, le citoyen moyen ne peut plus suivre. Les prix des produits et des services locaux chutent parce qu’il ralentit sa consommation.

Les prix qui dépendent des marchés mondiaux et de l’énergie grimpent en revanche rapidement.

Résultat : la force irrésistible de l’impression monétaire de la Fed se heurte au mur de la Grande Correction…

… Suite à cette collision, les débris volent en tous sens… nous donnant un tableau mitigé et déconcertant qui ressemble de près à de la stagflation.

▪ Quelques distorsions rendent l’image encore plus difficile à voir.

Les autorités réfractent les prix au moyen de leur propre verre courbe. Elles filtrent les choses qui grimpent — l’alimentation et l’énergie. Puis elles publient un chiffre de l’inflation « centrale » et se congratulent devant cette structure de prix constante et apparemment stable.

Bien entendu, en réalité, elles ne montrent qu’une partie du tableau. En enlevant les principaux composants, les autorités agrandissent nécessairement ceux qui restent — principalement l’immobilier, qui a clairement baissé aux Etats-Unis. Le consommateur qui ne mange pas, ne se chauffe pas et ne se déplace pas peut profiter de prix stables. Le reste d’entre nous constate l’érosion du pouvoir d’achat par la hausse des prix du carburant, du pain et de beaucoup d’autres choses.

L’autre distorsion concerne les sommes que les consommateurs ont à dépenser. Si l’on observe les hausses de revenus aux Etats-Unis ces 10 dernières années, on s’aperçoit qu’en moyenne, les gens sont devenus plus riches.

Mais la richesse créée durant cette période n’a pas été également distribuée. Elle s’est plutôt concentrée entre les mains des « riches ». En deux mots, la richesse créée durant les années 2000 était en grande partie frauduleuse — basée sur des augmentations déraisonnables de la dette. Malgré tout, de nombreuses personnes ont pu empocher de gigantesques sommes d’argent — notamment dans le secteur financier… ou parmi les gens ayant des actifs boursiers. Cela mène au mythe selon lequel « les gens » sont plus riches aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Ce n’est pas vrai. L’individu moyen n’a pas participé au grand brassage d’argent de la dernière décennie — sinon de manière modeste, voire fâcheuse. Il a acheté une maison plus cher que ce qu’elle valait ; maintenant, il s’enfonce un peu plus dans son fauteuil chaque fois qu’il lit la section « immobilier » de son journal. Sa valeur nette décline.

Corrigez ces distorsions, et le tableau s’assombrit. Des revenus bas. Des dettes élevées. Une baisse des prix des maisons. Une hausse des prix de tout le reste ou presque.

La stagflation ? Oui… ce n’est que la dernière évolution en date de la Grande Correction.

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La sécurité informatique : un coût indispensable pour les autres, des profits pour vous ! (1)

Jean-Claude Périvier

▪ Récemment, les histoires de failles dans la sécurité des systèmes informatiques se sont révélées légions, et parfois dramatiques. En 2008, les ordinateurs de l’opérateur de téléphonie mobile Verizon furent attaqués. 285 millions de données personnelles des clients furent volées, incluant des numéros de comptes bancaires et de cartes de crédit. Les coupables ne furent jamais arrêtés.

En 2009, un centre de données médicales fut pénétré et huit millions de données sur des patients furent volées pour être mises en vente sur Internet.

▪ D’un sympathique garçon…
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’au début, ceux que l’on nomme « les hackers », ou les pirates, étaient des petits génies qui s’amusaient à pénétrer un système informatique ou un réseau « pour le sport », pourrait-on dire. Ce qui les amusait, c’était de réussir une performance intellectuelle, d’être plus fort que les autres.

Comme mon entreprise coopérait avec les forces de police qui commençaient à s’intéresser sérieusement à cette forme de délinquance, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’un d’eux, qui était en liberté conditionnelle. Ce jeune homme, au demeurant plutôt sympathique, avait réussi à mettre la main sur des numéros de cartes bancaires, mais il s’était arrêté là : il ne les avait jamais utilisés à des fins malhonnêtes ; il était simplement heureux de sa performance !

Ce type de hacker a une variante, que certains appellent le « hacktiviste » ; il est souvent motivé par des conceptions libertaires, religieuses, ou philosophiques pour la défense ou la promotion desquelles il « prend les armes informatiques » qu’il utilise avec ses compétences, qui sont réelles.

▪ … Au crime organisé
S’il existe encore des profils de ce type, les choses ont bien vite évolué. Issus du mouvement libertaire de la Toile, des groupes de hackers se sont formés dans le but de mettre leur savoir-faire au service de malveillances à l’encontre de la société, comme par exemple couper l’électricité d’une ville ou d’un quartier, éteindre le système des feux rouges pour provoquer de gigantesques embouteillages. Ils avaient un côté anarchiste, un peu vandales, mais c’étaient de vrais pirates ; d’ailleurs, ils éditaient même un mystérieux journal dont j’ai eu un exemplaire entre les mains.

Mais nous n’avions encore rien vu. Les cyber-bandits ont ensuite fait leur apparition. Ce sont des bandes organisées de hackers, souvent liées aux différentes mafias, dont le but est le profit malhonnête — comme par exemple détourner des sommes d’argent, pratiquer des chantages, voler des identités pour commettre des méfaits. Prostitution et pédophilie sont aussi au menu.

▪ Des ennemis masqués, mais non virtuels
Tout cela existe toujours naturellement. Mais nous sommes aussi passés à un autre niveau : celui des « cyber-terroristes ». Ils travaillent pour le compte d’un Etat ou d’une organisation terroriste dont le but est d’agresser un Etat par un moyen autre que militaire. Mais les conséquences sont similaires à celles d’une véritable agression armée : destruction d’un barrage hydraulique, destruction d’un réseau électrique, mise hors service du contrôle aérien, chute d’avions ne répondant plus aux commandes — pour ne citer que quelques exemples.

Dans la première société de services que j’ai fondée (il y a plus d’un quart de siècle maintenant !), nos ingénieurs travaillaient sur le logiciel de la planche de bord de l’Airbus A320. Imaginez qu’un logiciel malveillant y ait été introduit…

Voilà pourquoi les états-majors parlent maintenant de « cyber-guerre », admettant ainsi que le cyber-espace est devenu un nouveau théâtre d’opérations, après la terre, la mer, l’air et l’espace. Les militaires estiment que, quelque part dans l’ombre, des « commandos informatiques » s’entraînent et préparent des attaques dans le but de paralyser un pays ennemi, provoquant des pannes générales, stoppant net l’économie, supprimant toute possibilité d’action même militaire (car l’armée est hyper informatisée), modifiant les quantités incroyables de données stratégiques dans les bases de données, rendant celles-ci inopérantes ou pire, contre-opérantes.

Vous pensez peut-être que c’est du délire ? Eh bien non ; nous en verrons demain un échantillon… rien qu’un petit échantillon.

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(©) Les Publications Agora France, 2002-2011

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