Emmanuel Macron agite encore l’épouvantail du plombier polonais et trahit l’esprit fondateur de l’Union européenne qui prône le libre-échange et la concurrence.
Emmanuel Macron nous agite encore l’épouvantail du plombier polonais. Pourtant… « le triomphe de la société ouverte sur les replis protectionnistes ». Telle était l’interprétation faite de la victoire d’Emmanuel Macron contre Marine le Pen par la presse internationale, visiblement peu accoutumée aux subtilités de la vie politique française.
Il aura fallu quelques mois – durant lesquels Emmanuel Macron a multiplié les propositions pour affaiblir le libre-échange en Europe – pour mettre à mal ce récit.
Quand on sait qu’en France l’hostilité vis-à-vis du commerce international transcende les prétendus clivages politiques, les sorties d’Emmanuel Macron n’ont rien de surprenant. Après avoir proposé de contrôler plus strictement les investissements étrangers quelques mois plus tôt, le chef de l’Etat français a récemment fait part de ses nouvelles revendications protectionnistes lors de sa tournée en Europe centrale et orientale entre le 23 et 25 août. En cause : le détachement des travailleurs qui permet aux entreprises d’exporter leurs salariés dans un autre Etat membre de l’Union européenne pour une durée limitée.
De gagnant-gagnant à perdant-perdant
Ces salariés détachés sont soumis à la réglementation du lieu de leur prestation mais ils acquittent leurs cotisations de Sécurité sociale dans leur pays d’origine. Les travailleurs d’Europe centrale et orientale bénéficient donc d’un avantage comparatif pour des prestations de services.
La France et l’Allemagne militent pour que les routiers étrangers – qui échappaient jusque-là au salaire minimum local – entrent dans le giron de la directive sur le détachement. D’où la colère des Européens de l’est, bien conscients que leur compétitivité serait mise à mal dans ces conditions.
Pour la classe politique et syndicale d’Europe occidentale, ces différences justifient que l’on empêche leurs administrés de bénéficier de services moins chers tout en empêchant les Européens de l’est d’accroître leur revenu. Le ressentiment contre les travailleurs détachés est tel qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité à qualifier cette directive de « trahison » de l’esprit européen.
Une trahison à l’esprit fondateur de l’Union européenne
Cette affirmation est vraie mais pas pour les raisons invoquées par les adversaires de la libre-circulation. La directive sur le détachement des travailleurs trahit l’esprit de l’Union européenne puisqu’elle limite la durée de détachement et entrave le droit de choisir la règle juridique applicable en cas de conflit.
C’est pourquoi Marianne Thyssen, Commissaire européenne chargée de l’emploi, avertissait dans une interview accordée au Parisien le 19 mars 2017 que la suppression de cette directive aurait des effets opposés à ceux attendus par les pourfendeurs de la libre-prestation de service.
Pour le comprendre, il faut remonter à l’origine de cette histoire.
Dans les années 1990, la consolidation du marché intérieur européen conduit la Commission européenne à se pencher sur le travail transfrontalier. Se pose alors la question de la législation applicable pour ces travailleurs : un ouvrier du bâtiment détaché provenant du Portugal opérant temporairement en France doit-il se soumettre au droit français ou portugais ? Il s’agit ici d’un cas classique de conflit de législation en droit international privé.
Avant l’adoption de la directive, chaque Etat pouvait déterminer ses propres règles en matière de conflit de législation. Cette situation favorisait une certaine concurrence des systèmes juridiques et par conséquent offrait aux travailleurs des possibilités d’optimisation.
Pour les technocrates européens, la pluralité des systèmes juridiques et fiscaux est une source de « concurrence déloyale ». En rendant obligatoire l’application partielle de la réglementation du lieu où s’effectue la prestation du travailleur détaché, la directive européenne de 1996 affaiblit la concurrence des législations et réduit les possibilités d’optimisation.
Les adversaires de la libre-prestation de services veulent désormais aller plus loin. Ils souhaitent, au nom de « l’esprit européen », limiter le détachement dans la durée tout en augmentant le coût de l’embauche de la main-d’oeuvre provenant d’Europe centrale et orientale.
Avec de tels europhiles, pas besoin du Front national pour saboter l’Union européenne et l’effet bénéfique de la concurrence.