La Chronique Agora

Un pays peut-il vraiment s’enrichir avec la planche à billets ?

▪ Bizarrement, les banques centrales elles-mêmes semblent penser que cela est possible, au moins pendant une certaine période. La politique de taux d’intérêt zéro (ZIRP) et l’assouplissement quantitatif sont perçus comme des moyens pouvant aider une économie à retrouver le chemin de la croissance.

Les inconvénients et les dangers d’une telle stratégie sont pourtant bien connus des banques centrales. L’argent alimente en grande partie la spéculation sur toutes sortes d’actifs — en particulier sur les actions, les obligations, l’immobilier, ce qui conduit à la formation de bulles spéculatives. Mario Draghi et Janet Yellen sont d’avis contraire, sans pouvoir prouver, par ailleurs, que leur politique monétaire ultra-expansionniste ne mène pas à des bulles spéculatives. En fait, ils espèrent que la hausse des prix des actifs donnera l’impression d’une prospérité plus élevée, ce qui devrait relancer la consommation.

Début juillet, la Banque des règlements internationaux (BRI) a demandé, dans son rapport annuel, à ne plus retarder la sortie de la politique monétaire ultra-expansive et de relever les taux d’intérêt plus tôt que prévu. Cet avertissement n’a pas particulièrement retenu l’attention des marchés financiers. La Fed prévoit bien de stopper ses achats d’obligations en novembre… mais elle a aussi promis de réinvestir intérêts et capital amorti dans de nouvelles obligations et cela même après la première hausse des taux directeurs. Cette stratégie soutiendra fortement le marché obligataire américain et devrait retarder les ventes de titres jusqu’en 2016 ou 2017.

A Tokyo, les marchés financiers suspectent que l’Abenomics du Premier ministre Shinzo Abe achètera des actions japonaises en grande quantité. En même temps, la BoJ continue d’acheter chaque mois pour 75 milliards dollars de titres à revenu fixe. Alors a-t-on vraiment créé de la richesse pour le pays ?

▪ La théorie et la pratique
La baisse des taux d’intérêt, en réduisant le coût du financement des nouveaux investissements, favorise la production de biens, ce qui diminue le chômage et augmente la consommation des ménages. En théorie, les effets multiplicateurs avec effet de levier stimulent l’économie mais, dans la pratique, plus grande est la baisse des taux d’intérêt plus l’effet stimulant diminue.

Si une entreprise n’investit pas à un niveau de taux de 2%, elle ne le fera pas non plus à 1%, car en fait ce qu’elle craint c’est de ne pas écouler sa production. Une réduction à 0,5% est, pour l’entreprise, une confirmation de l’aggravation de la situation économique. Toutes les alarmes se mettent à sonner quand les taux atteignent 0,15% : c’est le signe que la banque centrale craint vraiment une grave récession économique, ce qui stoppe tout nouvel investissement, ce qui handicape encore plus l’économie. L’utilité marginale de la baisse des taux est depuis longtemps atteinte et toute nouvelle baisse ne sera qu’une mesure contre-productive.

Personne ne prête attention au fait que les épargnants, les fonds de pension ou les assureurs-vie dont les revenus dépendent des intérêts servis sont ainsi forcés de freiner leur consommation. Par ailleurs, l’épargne placée sur les marchés monétaire et obligataire qui, théoriquement, sert à financer machines et équipements subit, en termes réels, une moins-value du fait que les taux ne compensent même pas l’inflation et les impôts.

L’utilité marginale de la baisse des taux n’est plus qu’un lointain souvenir 

Les investisseurs sont ainsi poussés vers des marchés toujours plus risqués, jusqu’aux marchés émergents. L’utilité marginale de la baisse des taux n’est plus qu’un lointain souvenir !

▪ Quand l’effet inverse se produit
Toute la courbe des taux est déformée et l’argent ne va plus, de manière optimale, vers l’investissement productif et prometteur, ce qui est susceptible de déclencher de nouvelles crises.

Quand il devient si facile de financer les nouvelles dettes, le trésorier public choisira cette possibilité sans trop se soucier de la charge d’intérêts future, car il est beaucoup plus difficile et impopulaire d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses. La ZRIP (politique de taux zéro) fait fondre la volonté de réformer et les baisses de taux sont devenues contre-productives.

Le développement économique dans le monde est encore très fragile mais les inquiétudes sur la déflation se sont sensiblement réduites. La présidente de la Fed Janet Yellen et le gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney ont affiché leur volonté de continuer une politique monétaire qui stimule l’économie tout en convaincant les marchés qu’aucun nouveau quantitative easing n’est à prévoir.

Quant au président de la BCE Mario Draghi qui, au début de l’année, craignait encore une tendance déflationniste dans la Zone euro, il a déclaré qu’une nouvelle baisse des taux n’est plus nécessaire. Seule la Banque du Japon continuera sa politique monétaire extrêmement souple.

La controverse récente entre le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque des règlements internationaux (BRI) montre la complexité de la situation. Le FMI demande instamment à la BCE de mettre en oeuvre une politique monétaire beaucoup plus agressive alors que la BRI demande de continuer les efforts pour sortir de la politique monétaire expansive sans se laisser troubler par les légères turbulences qui s’ensuivent.

Conclusion : les banques centrales ont probablement déjà poussé trop loin leur politique de taux zéro. A ce niveau de taux, les effets contre-productifs sont déjà visibles. Il n’y a plus de véritable volonté de réformer pour faire baisser la dette publique et réduire les déficits budgétaires. Actions, obligations, immobilier et autres formes d’actifs sont déjà dans une bulle de prix spéculatifs.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile