La Chronique Agora

La Pierre de Rosette raconte un jubilé

Un jubilé, une remise générale des dettes, va devenir nécessaire. Assurez-vous de ne pas faire partie de ceux qui sont du mauvais côté.

La tapisserie de Bayeux, longue de 70 mètres, sera exposée en Grande-Bretagne.

Quand les Anglais pourront-ils admirer ce tissu brodé décrivant l’histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands ? Pas la semaine prochaine, ni même le mois prochain. En fait, pas même l’année prochaine. Ni l’année suivante. Ni même l’année d’après.

Envoyer ce trésor national en Grande-Bretagne nécessite une autorisation de l’Etat français. Par conséquent, l’oeuvre d’art ne sera pas exposée au British Museum avant 2022.

Oui, il faut plus de temps pour envoyer la tapisserie au Royaume-Uni qu’il n’en a fallu pour conquérir l’Angleterre…

Si les Anglais souhaitent la voir, je leur conseille donc de se rendre directement au musée de Bayeux, en Normandie.

Cependant, ce n’est pas tant à la tapisserie que vous devriez vous intéresser, mais plutôt à l’échange qui a été suggéré en contrepartie. Le député et président de la Commission des affaires étrangères, Tom Tugendhat, veut envoyer en France la pierre de Rosette.

Le message ici est un message de conciliation avec la France. Les amateurs d’Histoire savent que ce sont les Français qui ont découvert la Pierre de Rosette mais qu’elle a été reprise par les Anglais après la défaite française en Egypte. La tapisserie de Bayeux montre l’invasion de l’Angleterre par les Français mais elle fut sauvée des Nazis grâce à l’aide des services de décryptage de Bletchley Park.

Tout ceci laisse penser que les Britanniques et les Français veulent tourner la page.

Venons-en à présent à ce que raconte réellement la Pierre de Rosette.

La pierre qui raconte la remise à zéro des compteurs de dette

Alors que Napoléon était occupé à se balader à travers l’Egypte, un de ses soldats, Pierre-François Bouchard, découvrit la pierre de Rosette. Lorsque les Français rendirent Alexandrie aux Britanniques, ces derniers prirent possession de tous les artefacts qu’ils trouvèrent. Vingt-trois années plus tard, le savant Jean-François Champollion parvint à traduire les inscriptions gravées sur la pierre de Rosette.

Le texte écrit en grec ancien, en hiéroglyphes égyptiens et en démotique permettait pour la première fois de déchiffrer les hiéroglyphes. La pierre de Rosette a littéralement déverrouillé les secrets de l’Egypte ancienne.

Voilà ce qu’on nous a appris à l’école primaire. Mais je parie que personne ne vous a jamais dit ce qui est en réalité inscrit sur la Pierre de Rosette. Pourquoi ? Parce qu’elle révèle une idée très dangereuse… pour les banquiers et pour notre système financier.

La Pierre de Rosette met à l’honneur les hauts faits du pharaon égyptien Ptolémée V. Parmi ceux-ci, se trouve un « jubilé de la dette ». Elle montre comment Ptolémée a déclaré que toutes les dettes, à l’époque appelées « ardoises » devaient être annulées. Et tous les esclaves pour dette, appelés « péons », étaient libérés.

Effacer la dette : une norme dans l’Antiquité

A l’époque, ne pas être capable de rembourser ses dettes signifiait vendre ses terres, et entrer soi-même (ou ses enfants) en esclavage.

L’idée d’effacer toutes les dettes semble assez spectaculaire. Mais c’est en réalité la norme. Selon l’historien et anthropologue David Graeber, là où existent des traces de civilisation, il existe des remises jubilaires des dettes. La Pierre de Rosette confirme cela pour l’Egypte et la Grèce dans l’Antiquité. Le mot moderne de « liberté » vient d’une déclaration de remise jubilaire de dettes du roi En-metena de Lagash datant d’il y a 4 000 ans .

Il existe même un cycle des jubilés de la dette. Dans la Bible, l’Ancien testament parle de cycles de 50 ans.

Les raisons sont claires. Au fil du temps, de plus en plus de gens finissaient par être trop endettés. Par exemple, chaque fois qu’une récolte était mauvaise, les agriculteurs qui avaient emprunté pour payer leurs semences étaient obligés de vendre leurs enfants à leurs créditeurs.

Chaque fois que la société atteignait un point de rupture du fait de l’extrême inégalité et du nombre élevé d’esclaves, le roi proclamait un jubilé de remise des dettes. Il libérait les esclaves et déclarait l’annulation des dettes. Parfois, les emprunteurs défaillants retrouvaient même leurs terres. Et puis le cycle recommençait.

Dette, inégalité et esclaves… Ça vous rappelle quelque chose ?

En ce moment, un jubilé de la dette serait le bienvenu, ne pensez-vous pas ?

Les niveaux d’endettement à travers le monde atteignent des sommets. Qu’elles soient personnelles, privées, d’entreprises, étudiantes, publiques ou sur marges, les dettes sont effroyablement élevées. Elles pèsent sur notre développement, augmentent les risques d’une crise, rendent impossibles des taux d’intérêt raisonnables et mènent à l’inégalité.

Les propriétaires immobiliers sont tellement endettés qu’ils sont pratiquement esclaves des banques durant les 30 premières années productives de leur vie. Et ceux qui ne peuvent pas payer leurs dettes sont expulsés de leur maison.

Les étudiants sont esclaves de leurs prêts étudiants. Les spéculateurs financiers vivent dans la peur de l’appel de marge. On a dit aux retraités en Grèce que leur gouvernement était trop endetté pour tenir les promesses qu’il leur avait faites.

Lorsque la bulle immobilière a éclaté en Irlande, des lois très sévères pour les débiteurs en difficulté ont conduit beaucoup de gens à émigrer. Ils lançaient des « debt wakes » pour dire au revoir à leurs amis et à leurs familles vu qu’ils n’auraient plus jamais le droit de revenir dans leur pays sans risquer la prison pour cause d’impayés.

La solution à tout cela est évidente.

Le prochain jubilé de la dette

Si vous pensez qu’un jubilé de la dette est grotesque et impossible, vous vous trompez. Il existe pléthore de versions modernes plausibles. Certaines ont lieu en ce moment même, comme par exemple l’évolution de la dette irlandaise.

En 2008, les banques du monde entier ne pouvaient plus payer leurs dettes. Elles ont donc fait en sorte que les gouvernements déclarent un jubilé de la dette en les renflouant à tout-va. L’Irlande a même créé une bad bank (une agence en charge des actifs toxiques des banques) pour absorber les créances douteuses et laisser « les moins mauvaises banques » s’en tirer.

L’impression monétaire est également une forme de jubilé de la dette. Elle fait diminuer la dette en réduisant sa valeur. Du moins c’est l’idée en théorie.

Dans les prochaines années, je pense que les gouvernements ordonneront à leur banque centrale de simplement effacer les obligations d’Etat qu’elles auront achetées. Cela est possible si on souhaite truquer les comptes. Qui se soucie si les banques centrales perdent des milliers de milliards en actifs ?

Cela semble être une bonne solution, certes. Mais elle ne va pas sans frais.

Le danger d’un jubilé

La dette n’est pas qu’un passif. C’est également l’actif de quelqu’un d’autre. Les fonds de pension et de retraite ont tendance à beaucoup investir en dette souveraine parce qu’elle est considérée comme plus sûre que d’autres actifs.

Un jubilé laisse des débiteurs tirés d’affaire, mais il laisse aussi des créditeurs avec des pertes. Vous êtes sans doute un créditeur. Des actifs qui vaudront zéro ont été acquis avec votre argent via votre banque ou votre fonds de pension. Cela signifie que votre retraite pourrait bien être mise en danger par un jubilé de la dette.

Bien sûr, toute l’économie repose actuellement sur le fonctionnement des marchés de la dette. Prenez l’exemple de l’alimentation. Les agriculteurs empruntent pour payer leurs semences. Les supermarchés empruntent pour payer leurs stocks. Et les entreprises de logistique empruntent pour payer leur essence.

Sans dette, notre économie serait paralysée. Nous sommes aujourd’hui dépendants des marchés financiers pour les produits de première nécessité – la nourriture et un toit.

Dans le prochain jubilé, vous devrez être positionné pour éviter de payer la dispense faite aux autres.
[NDLR : Comment vous organiser pour cela ? Toutes les réponses sont ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile