Les assureurs se sont tiré une balle dans le pied quand ils ont conclu un accord avec le gouvernement sur l’inflation. Si cela aidera un peu pouvoir d’achat, c’est au prix de la bonne santé financière de ces entreprises.
Fin septembre, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s’est félicité d’avoir une fois de plus protégé le pouvoir d’achat des contribuables avec la mise en place d’un « pack anti-inflation » imposé aux assureurs.
L’accord conclu entre le ministre et les représentants de la profession prévoit de « contenir le montant moyen de primes assurantielles en dessous du niveau de l’inflation en 2022 et 2023 ».
En pratique, cela signifie que les cotisants (particuliers, entreprises) verront leurs primes certes augmenter dans l’absolu, mais diminuer en relatif par rapport à leurs autres dépenses. Une bonne affaire sur le papier… mais qui fait, comme lors de toute annonce d’aide étatique, des gagnants et des perdants.
En l’occurrence, en entrant dans le détail de l’implémentation de la mesure, Bercy a décidé d’un transfert de richesse des assureurs vers leurs clients. Cela signifie que la générosité de l’État se fera in fine avec l’argent des actionnaires qui verront la valeur de leur participation fondre à mesure que les recettes de ces entreprises augmenteront moins vite que leurs dépenses.
Vers des bilans fragilisés
La mesure de soutien tombe au plus mal pour les assureurs. Côté dépenses, l’inflation augmente mécaniquement le coût des sinistres. Quiconque a fait appel à des artisans depuis deux ans n’a pu que constater l’envolée du montant des devis. A l’échelle du pays, cette hausse des coûts de réparation se retrouve immédiatement dans les comptes des assureurs.
Les épisodes climatiques extrêmes (sécheresse, incendies) connus cette année viennent encore augmenter la fréquence des remboursement – donc les montants reversés.
En parallèle, les bas de laine constitués par les assureurs sont en piètre état. Si, à long terme, la hausse des taux sera positive car elle leur permettra de mieux valoriser les cotisations entre le moment où elles sont perçues et celui où elles sont restituées sous forme d’indemnité, la période de remontée des taux coûte cher.
Les assureurs placent en effet l’argent de leurs clients sous forme d’obligations et d’actions… et ces deux secteurs ont connu des dégagements sans précédent depuis le début d’année. Entre début janvier et fin septembre, le CAC 40 a cédé 20% et l’Euro Stoxx 50 a perdu 23%, tandis que la valeur immédiate des obligations a plongé à mesure que les taux directeurs de la BCE augmentaient.
La politique contra-cyclique imposée par le gouvernement, qui oblige les assureurs à réaliser leurs actifs pour compléter le flux de trésorerie manquant tombe donc au plus mal. En utilisant les réserves après une baisse de la valeur des actifs, significativement inférieure à celle du début d’année, l’impact sur les comptes est majoré.
Tels des traders obligés de solder leurs positions pour couvrir des appels de marge en pleine débâcle boursière, les assureurs risquent d’être obligés à matérialiser des moins-values latentes durant la baisse. Une fois les pertes réalisées, tout espoir de reconstitution des portefeuilles lors d’une future normalisation des conditions de marché s’envole.
Attaquer les causes racines de l’inflation
Pour rassurer les actionnaires quant au risque de liquidation des actifs détenus par les assureurs, Bruno Le Maire et la présidente de France Assureurs Florence Lustman ont annoncé que les mesures prises comporteraient un volet de réduction des dépenses.
Mais une fois de plus, si l’objectif est louable, les détails quant à la manière d’y parvenir restent bien ténus.
Lors de l’annonce de l’accord, Florence Lustman s’est félicitée au nom des assureurs de pouvoir enfin s’attaquer aux causes endémiques du coût des réparations, qui se traduit directement par des hausses des indemnités versées en cas de sinistre :
« Notre métier, c’est de réparer le monde réel, les voitures, les maisons, les toitures, les machines dans les usines. Or des facteurs endémiques poussent vers le haut le prix des pièces détachées automobiles, mais aussi le prix de la réparation. Sous l’égide du ministre, nous allons faire des groupes de travail, nous allons nous attaquer à ces causes racines de l’inflation. »
Que n’y avaient-ils pas pensé plus tôt ! Entendre les assureurs tricolores dire qu’ils parviendront à régler à eux-seuls les causes sous-jacentes de l’inflation qui touche l’ensemble de la planète laisse pantois.
Le fait qu’ils espèrent, à leur niveau, réussir ce sur quoi les gouvernements et les banques centrales du monde entier butent malgré leur puissance de feu législative et monétaire pourrait faire sourire… le fait qu’ils comptent y parvenir par la simple constitution de « groupes de travail » laisse songeur quant à la conscience qu’ils ont de la réalité de notre situation économique.
Le coût d’un cadeau
Le ministre de l’Economie semble avoir, de son côté, une vision un peu plus claire des leviers à actionner. Mais comme toujours, les différents sujets se mélangent et le concret n’est pas au rendez-vous. Il a ainsi déclaré :
« Notre premier objectif est climatique : quand on peut réemployer une pièce, il faut le faire au maximum. Notre deuxième objectif stratégique est la reconquête industrielle. Et le troisième est l’objectif financier des assureurs. Nous réunirons les assureurs, les constructeurs automobiles, les sous-traitants pour voir comment faire plus de recyclage sans menacer notre industrie automobile. »
Passons rapidement sur la source identifiée d’économies. Travailler pour « voir comment faire plus de recyclage » revient à reporter sine die les mesures d’économie. Lorsqu’il n’y a ni objectif chiffré ni contraintes de calendrier, toute mesure est de façade.
Concentrons-nous plutôt sur le fond du message. La messe est dite : la solidité financière des assureurs va être mise à mal au profit d’objectifs jugés plus importants comme la santé économique des acteurs industriels et les objectifs climatiques.
Le cadeau fait aux particuliers se fera donc au prix d’une fragilisation des bilans des assureurs. En cette fin d’année, attention aux rendements alléchants servis par ces entreprises qui peuvent donner une fausse impression de solidité. Nos assureurs risquent, dans les prochains mois, de se retrouver dans la même position inconfortable que les énergéticiens coincés entre une augmentation des coûts et des prix de vente bloqués par l’Etat « au nom de la protection du pouvoir d’achat ».
D’EDF à Uniper, nous savons tous comment l’histoire boursière se termine pour ces entreprises sacrifiées sur l’autel de la protection du pouvoir d’achat.