ChatGPT n’est pas la première intelligence artificielle utilisée par le monde de la finance : les robots-conseillers existent déjà, avec plus ou moins de succès pour les investisseurs qui suivent leurs conseils…
Comme nous l’avons vu hier, le lancement de ChatGPT rendu très concrètes de nouvelles possibilités pour l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le monde financier. Mais, si ce genre d’IA n’est pas tout à fait au point pour remplacer les conseillers financiers, la technologie peut être utile à l’investisseur.
On notera que l’IA a d’ailleurs pénétré depuis quelque temps le monde feutré des banques : chatbots ou voicebots pour répondre aux questions des clients et faciliter leur compréhension des offres ; ciblage et notation des clients (les données sur les clients permettent de déduire, par exemple, le risque d’insolvabilité) ; identification des fraudes ou délits d’initiés ; aide sur les obligations réglementaires ; appui à la lutte contre le blanchiment ; etc.
Des milliers de milliards de dollars sous gestion
Dans un article de la Harvard Business Review publié il y a quelques années, des chercheurs expliquaient que l’algorithme d’investissement qu’ils avaient créé avait mieux sélectionné les opportunités d’investissement les plus prometteuses que l’investisseur novice moyen. Il a même surpassé les investisseurs expérimentés en proie à des biais cognitifs. En revanche, il n’a pas pu battre les investisseurs expérimentés capables de contrôler leurs propres biais. Leur conclusion était toutefois relativement positive :
« Les algorithmes pourraient aider les investisseurs novices à prendre des décisions d’investissement à un stade précoce. Commencer l’investissement providentiel avec l’aide d’un algorithme permet aux investisseurs novices d’éviter les mises en garde en matière de décision et donc d’obtenir des rendements plus élevés au début de leur carrière d’investisseur, ce qui les encourage à continuer d’investir. »
C’est bien ce que proposent aujourd’hui les « robo-advisors » (ou robots-conseillers), c’est-à-dire, selon le Conseil de stabilité financière (FSB), des applications permettant de fournir des services allant des recommandations financières automatisées au courtage en ligne en passant par la gestion de portefeuille (mandat libre ou conseillé) selon une intervention humaine très limitée, voire inexistante.
Selon Statista, ces « robots » ont vu leurs actifs sous gestion croître d’environ 32% entre 2021 et 2022, passant de 1 860 Mds$ à 2 450 Mds$. La croissance devrait ralentir dans les années à venir, mais rester robuste pour dépasser les 4 500 Mds$ en 2027.
Pourquoi un tel succès ? Selon Marie Brière de la société de gestion Amundi (détenue à 69,2% par le Crédit Agricole), les robo-advisors présentent plusieurs avantages pour les particuliers. Ils permettent notamment de pallier quelques lacunes courantes comme « une faible diversification des placements, une faible participation aux marchés actions, des biais de familiarité (préférence nationale, etc.), souvent liée à un déficit d’éducation financière », et un manque de suivi des investissements réalisés.
Un assistant à l’investissement
Dans une étude, menée avec Milo Bianchi, Marie Brière s’est penchée sur le service de robo-advising proposé dans des plans d’épargne salariale. En voici un extrait qui nous renseigne sur le fonctionnement de ce service :
« Le robot commence par collecter des informations sur les caractéristiques du client, établit son profil et propose une répartition du portefeuille. Si le client accepte la proposition, le robot met en œuvre l’allocation.
Au fil du temps, le robot envoie des alertes par courrier électronique si la répartition actuelle du portefeuille est trop éloignée de l’allocation cible. Ces alertes suggèrent de se connecter à la plateforme et de rééquilibrer le portefeuille vers la cible, la décision finale étant prise directement par l’investisseur. »
Il s’agit donc bien, dans ce cas, d’un robot-conseiller et non pas d’un système qui automatise l’investissement et le rééquilibrage des portefeuilles sans l’intervention des clients, comme on en rencontre couramment.
Dans leurs conclusions, les deux chercheurs montrent, tout d’abord, que « les investisseurs qui adoptent le robot augmentent l’attention qu’ils portent au portefeuille », même au-delà de la période d’abonnement au robot.
Deuxièmement, ils constatent que « les investisseurs augmentent le montant qu’ils investissent dans les plans d’épargne, ainsi que leur exposition au risque », notamment parce qu’au moment de la souscription la part des actions dans leur portefeuille est importante.
Troisièmement, les alertes envoyées par le robot, notamment après des chocs importants sur les marchés, « sont efficaces pour accroître l’attention des investisseurs et le rééquilibrage ».
Quatrièmement, « les investisseurs utilisant le robot enregistrent une augmentation substantielle des rendements (nets de frais) ».
Enfin, on notera que tous ces effets « ont tendance à être plus forts pour les investisseurs ayant des portefeuilles plus petits, qui sont moins susceptibles d’avoir accès aux conseils traditionnels ».
Attention : la machine peut vous influencer !
Bref, les robo-advisors peuvent vous aider à améliorer le rendement de votre épargne. Pour autant, il semble important de garder la main et de ne pas laisser la machine agir à sa guise. Peut-être faut-il, en dernier recours, prendre l’avis d’un professionnel en chair et en os, ou plutôt les avis de plusieurs experts différents.
Car si l’IA, comme nous l’avons vu hier, peut avoir des biais woke ou bien-pensants, elle peut aussi nous influencer. C’est ce qu’ont démontré des chercheurs américains qui ont invité des individus à rédiger un texte sur le bénéfice des médias sociaux à l’aide d’une IA générative. Celle-ci avait été conçue de telle manière qu’elle générait certaines opinions plus souvent que d’autres. Les chercheurs se sont alors rendu compte que l’IA avait eu un impact sur ce que les individus avaient écrit, mais aussi sur ce qu’ils pensaient.
En effet, il est apparu, au cours d’une enquête ultérieure à l’expérience, que des cobayes avaient changé leur opinion relative aux réseaux sociaux. Pour le dire autrement, ils ont été influencés par la machine.
Dans ces conditions, il est facile d’imaginer qu’une IA programmée à dessein puisse influencer l’utilisateur afin de l’amener à prendre lui-même des décisions en sa défaveur (mais en faveur du prestataire) ou à adopter des comportements à même de déstabiliser tel ou tel marché, telle ou telle entreprise.
Bref, l’intelligence artificielle sera ce que les humains voudront bien faire : la pire ou la meilleure des choses ! Laurence Plazenet, professeur à l’université Clermont-Auvergne, ne craignait pas d’écrire, il y a quelques mois de cela, que « ChatGPT est parfaitement idiot. Il n’a pas l’imagination pour interroger, c’est-à-dire qu’il ne pense pas. Il n’a rien à nous apprendre ».
Encore faut-il que nous soyons moins idiot que lui pour ne pas nous faire berner. Malheureusement, les Français ne sont pas aidés par l’Éducation nationale. Et si la véritable leçon de tout cela était qu’il faille investir dans l’éducation ?