Que tout le monde se rassure, la fin du monde a déjà eu lieu… en 2011 !
… Demandez à Berlusconi, Zapatero ou Papandréou…
▪ Voici l’une de mes dernières chroniques de l’année 2011. Elle se trouve placée sous le signe des « Quatre sorcières » ce vendredi. Cela dit, je préfère évoquer la trêve des confiseurs qui débute ce week-end.
Pour beaucoup d’investisseurs, cette période festive aura un goût de fruits déconfits, de chocolat très amer, et beaucoup y regarderont par deux fois avant de s’offrir un ballotin de « mendiants » !
Pour ma part, cette année 2011 se résume par une hausse imbécile qui s’est enclenchée au lendemain de la catastrophe de Fukushima. Rappelez-vous que cette dernière avait été présentée comme une opportunité schumpetérienne d’acheter la reconstruction du Japon. Puis nous avons assisté à une rechute des indices totalement obtuse et implacable dès que la Fed a baissé le rideau sur son second programme de quantitative easing fin juin.
Les marchés ont alors découvert — ô stupeur et fatalité — qu’il n’y avait plus assez d’argent dans le système financier pour maintenir simultanément à flot l’Europe et les Etats-Unis, lesquels sont confrontés à des fins de mois difficile depuis des décennies.
▪ L’Oncle Sam ne pouvait faire indéfiniment les poches des créanciers de la planète entière en les menaçant avec sa batte de base-ball — refinancez l’Amérique, sinon on vous atomise ! Il a donc changé de stratégie au début de l’été en jetant le discrédit sur son principal concurrent sur le marché des capitaux.
Comme il ne s’agit pas de faire dans la dentelle, l’argument massue (digne des Pierrafeu) c’est que l’Europe court tout droit vers la faillite !
Ce n’est pas totalement faux puisque l’Oncle Sam nous tire dans les pneus depuis six mois et charge les agences de notation de répandre de l’huile sur la route à l’approche du virage des tribunes.
Au-delà des coups bas et des chausse-trappes qui sont le lot habituel et incontournable d’un monde économique basé sur des relations de concurrence, nous ne cessons de dénoncer cette authentique imposture qui consiste pour le cul-de-jatte à se faire passer pour plus valide que le boiteux aux yeux du jury.
Ou pour reprendre notre métaphore automobile du paragraphe précédent, le conducteur américain qui vient de précipiter son 4 x 4 au fond de l’abîme de la dette (où il a éclaté en mille morceaux) interpelle les passants pour les alerter sur le péril qui menace la berline européenne dont le pot d’échappement laisse échapper une fumée noirâtre.
Cela trahit au pire une mauvaise carburation, mais les faiseurs d’opinion prétendent que nous sommes au bord de l’explosion.
L’Europe est peut-être (aux dires de l’Oncle Sam) une épave qui n’en a plus pour très longtemps à rouler. Mais elle reste réparable — et peu importe que la Grèce ait coulé une bielle tandis que les quatre pneus, un pour chacun des PIGS, sont à plat.
Le Hummer (symbole d’un bling-bling ostentatoire très en vogue avant le krach de 2007) de l’Oncle Sam a éternué. Son moteur a touché le fond du gouffre des déficits et la carcasse du véhicule ressemble à une compression de César. Mais les acheteurs de dettes sont priés de s’inquiéter en priorité de la panne potentielle qui menace l’Europe.
▪ Souvenez-vous de ce qui s’est passé lorsque la Fed a refait le plein du réservoir du Hummer américain il y a deux ans. Quelqu’un a craqué une allumette et cela a fait un beau feu d’artifice à Wall Street… mais cela n’a pas fait avancer l’épave d’un centimètre !
Puisque nous évoquons la stagnation de l’économie américaine — si l’on retire les dépenses keynésiennes financées à crédit depuis 2009 — il faut bien admettre que l’Europe a imprimé moins de fausse monnaie mais s’est infligée une terrible perte de confiance en elle-même.
Elle le paye également d’une récession qui s’annonce durable et sévère dans de nombreux pays. En effet, le PIB grec va se contracter de 5,5% en 2011, le pire score observé depuis 1945. D’après Bruxelles, l’Eurozone va dans son ensemble connaître une « croissance négative » (un oxymore popularisé par Christine Lagarde) de 0,4% au quatrième trimestre 2011 et de 0,3% au premier trimestre 2012.
Cela aussi, c’est l’une des grandes leçons de la crise de la dette version 2011 : la prise de pouvoir de l’Allemagne et l’éviction de tous les dirigeants en exercice des pays surendettés.
Il est plus facile d’imposer un leadership rigoriste à l’ensemble de l’Europe lorsque l’ensemble des pays méditerranéens (réputés laxistes) subit une transition politique imposée de l’extérieur, par agences de notation interposées.
Mais l’ultra-rigueur à l’irlandaise où à la grecque n’est ni transposable ni applicable en France. D’abord parce que les entreprises y payent l’impôt (les moins riches sont les plus lourdement taxées en réalité) ; deuxièmement parce que le clergé orthodoxe n’est est pas le premier propriétaire foncier du pays et qu’il ne bénéficie pas d’un statut d’exilé fiscal sur ses propres terres.
Si nous refaisons la liste des petites particularités ou des bidouillages de la comptabilité publique de chaque pays passé en revue par les agences de notation, il y aurait matière à dégrader n’importe quel bénéficiaire d’un Triple A… y compris parce que son voisin nouvellement déclassé lui doit un peu trop d’argent.
▪ Une telle mésaventure ne saurait arriver à l’Angleterre ou aux Etats-Unis. Certes, les déficits y sont abyssaux, les ratios dette/PIB bien pires que ceux de la France ou même de l’Italie. Certes, il y a une dette cachée (des dépenses sociales non provisionnées) qui représente des montants à peine intelligibles (l’occupation de l’Irak a coûté, c’est officiel, 4 000 milliards de dollars, soit plus de trois fois le PIB de la France, entièrement financé à crédit). Mais aucun risque de dégradation puisque la planche à billets peut y tourner à plein régime !
Trouvez donc une seule raison qui pourrait inciter les investisseurs à déserter Wall Street quand l’Europe et l’Asie partent en vrille — avec des replis moyens de 20% en 2011.
Il faut bien placer son argent quelque part. Ces dernières séances ont prouvé que même l’or n’était plus un placement offrant une protection efficace contre les aléas économiques. La crise s’aggrave (c’est Christine Lagarde qui l’affirme) et va durer fort, fort longtemps (c’est Angela Merkel qui l’a déclaré mercredi) en Europe.
Et puis Wall Street demeure le seul alibi de gouvernements américains successifs qui n’ont plus que ce levier pour entretenir un pseudo sentiment de richesse ; sentiment qui profite surtout aux 5% d’Américains qui possèdent 80% des titres en circulation.
▪ L’évolution des indices américains a cessé depuis longtemps de refléter une réalité ou une anticipation conjoncturelle. Ils ont été placés ce jeudi sous le contrôle le plus strict des robots algorithmiques qui ont réduit la volatilité à néant, comme le démontre le recul du VIX (4%) vers un plancher de 25 qui n’avait plus été approché depuis deux mois.
Le Dow Jones (+0,4%) a oscillé au sein d’un corridor de 0,5% d’amplitude, entre 12 860 et 11 920 points durant plus de six heures, jusqu’au coup de cloche final.
Le Nasdaq (+0,07%) a connu des évolutions encore plus étriquées. Il n’a cessé de faire la navette ente 2 538 et 2 550 points (mouvements browniens entre -0,05% +0,35%). Le S&P a grappillé 0,33% à 1 215 points, ce qui lui suffit pour s’éloigner de la zone dangereuse des 1 212 points.
Il semble évident que les jeux étaient faits à la veille de la séance des « Quatre sorcières » et qu’il n’y aura ni mauvaise, ni bonne surprise.
Tous les stratèges qui ont privilégié une hypothèse directionnelle se font prendre à contrepied. Il fallait au contraire jouer le statu quo et vendre de la volatilité après le pic d’exubérance de fin novembre/début décembre.
Car s’est bien dans cet intervalle-là que s’est matérialisé le rally de fin d’année. Le Père Noël s’est occupé de Wall Street avec trois semaines d’avance.
Mais peut-être apprendra-t-on un jour que quelques petits génies de l’informatique oeuvrant pour les plus puissantes firmes de Wall Street avaient piraté son agenda informatique (avec la même facilité que les carnets d’ordres sur les dérivés d’actions) et avancé la date apparente de trois décades.
Alors, moi aussi par avance, je vous souhaite de joyeuses fêtes à tous et une transition en douceur vers l’année 2012, c’est-à-dire l’année du Dragon.
Pas de quoi s’affoler. Nous sommes formel : aucune fin du monde ne s’est jamais produite durant l’année du Dragon (ni du lapin, ni du sanglier de feu, ni du requin marteau…).