La Chronique Agora

Pertes des banques centrales : vers une crise de rentabilité et de crédibilité ? (2/2)

Set of different euro banknotes, background

L’excès de création monétaire inscrit au passif des banques centrales, combiné à l’accumulation d’actifs financiers de faible qualité à leur actif, entraînera une dévalorisation significative de la monnaie.

Comme nous l’avons vu hier, en 2023, les grandes banques centrales ont enregistré des pertes historiques dues à la hausse des taux directeurs et à la faible rentabilité des actifs, soulevant des enjeux majeurs pour leur équilibre financier à long terme.

Mais alors, quelles sont les situations qui peuvent conduire une banque centrale à liquider des actifs détenus dans son bilan ?

En voici deux…

Finalement, il n’est pas urgent pour une banque centrale de se recapitaliser comme une banque normale lorsque ses fonds propres baissent en raison de moins-values réalisées sur certains actifs détenus. Contrairement à une banque classique, rien n’empêche une banque centrale de vivre sans aucuns fonds propres, si les Etats actionnaires de celle-ci refusent de mettre au pot – même si cela reste un scénario extrême. Cela ferait désordre et ne serait pas très exemplaire, surtout si la banque centrale est en charge à la fois de la gestion de la politique monétaire et de la supervision prudentielle des banques.

C’est notamment le cas de la BCE, qui gère la politique monétaire des 20 pays de la zone euro tout en supervisant les banques des 27 pays de l’Union européenne. Cela pourrait conduire à une perte de confiance croissante dans la monnaie émise par cette banque centrale.

En tout cas, si l’on bascule dans le scénario de la recapitalisation, cela reviendrait à faire appel à l’Etat – donc aux contribuables – pour renflouer les caisses. Les pays de la zone euro redonneraient de l’argent à hauteur de leurs poids dans le capital de la BCE. C’est absurde, puisque dans le même temps, la banque centrale pourrait être amenée à imprimer de la monnaie pour acheter la dette publique des Etats. La finance de crise fonctionne ainsi : le malade est pris en charge par un médecin, lui-même soigné par le malade qu’il cherche à guérir.

Les perspectives restent très pessimistes quant à la rentabilité des banques centrales, et l’année 2023 ne sera sûrement pas un cas isolé. Selon Fitch, la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro vont annoncer, avant ponction dans les fonds de réserves, un trou de 80 milliards d’euros en 2024. Pire encore, 80 milliards supplémentaires devraient s’ajouter à ces pertes entre 2025 et 2028. Un scénario d’abaissement structurel de la rentabilité des banques centrales se confirmerait donc.

Pour les banquiers centraux, la situation n’est pas inquiétante.

Comme aime à le rappeler François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, le rôle d’une banque centrale n’est pas de faire des profits. Cette situation pose inévitablement la question de la crédibilité de la banque centrale, et par extension des monnaies fiduciaires des banques centrales. Il est important de se demander si, au-delà des décisions de politique monétaire qui influencent les marges d’intérêt, les changements dans la structure du bilan des banques centrales pourraient affaiblir durablement la rentabilité de leur activité. La détérioration de la qualité de crédit de nombreuses contreparties, héritée des années de quantitative easing, augmente les risques pour la valeur des portefeuilles d’actifs détenus par les banques centrales et accroît les moins-values latentes.

Donc, si la qualité moyenne de l’actif détenu se dégrade, c’est bien la qualité de crédit d’une banque centrale qui se dégrade, aussi étrange que cela puisse paraître.

Vers une crise de légitimité des banques centrales et des monnaies fiduciaires ?

Il y a très peu de doute, en effet. Les dettes publiques, en particulier la part croissante détenue par les banques centrales, ne seront pas remboursées. Le principal risque de contrepartie réside désormais dans la capacité des porteurs majeurs de ces dettes, comme la BCE ou la FED. On passe ainsi de la non-exigibilité de la dette créée par les banques centrales (via la création monétaire) à une non-exigibilité, nouvelle, de la dette émise par les États. Autrement dit, on se dirige vers une forme d’annulation des dettes publiques, du moins pour la part croissante détenue par les banques centrales.

Les doutes autour du passif émis par les banques centrales (création monétaire) ne cessent de croître. Bien que ce passif soit non exigible, il est naturel que la méfiance envers les monnaies fiduciaires augmente face à une création monétaire qui demeure excessive, malgré les tentatives de ralentissement ou d’arrêt des achats d’actifs par les banques centrales.

Ce contexte explique en partie l’intérêt grandissant pour les monnaies non fiduciaires. Par exemple, le bitcoin, avec un processus de création similaire à celui de l’extraction de l’or et une réserve totale limitée à 21 millions, offre une alternative. Contrairement aux monnaies fiduciaires, il ne dépend pas d’une autorité juridique ou politique pour garantir sa valeur.

Rappelons que la monnaie fiduciaire reste une création étatique, peu importe la sympathie ressentie pour les représentants de cet Etat, et que c’est partiellement pour cette raison que l’inflation et les déficits existent.

L’attrait pour le Bitcoin, récemment renforcé par ses records historiques, reflète davantage la crise des monnaies fiduciaires que toute supposée « cryptophilie » de Donald Trump ou de sa future administration. En réalité, la volonté de renforcer le contrôle exécutif sur la Fed et de remettre en cause son indépendance tend plutôt à consolider la monnaie fiduciaire contrôlée par une autorité centrale.

En résumé, l’excès de création monétaire inscrit au passif des banques centrales, combiné à l’accumulation d’actifs financiers de faible qualité à leur actif, entraînera une dévalorisation significative de la monnaie. Cela signifie plusieurs choses : perte de pouvoir d’achat, hyperinflation, rejet de la monnaie, stockage d’actifs physiques (or, pierre, terre), sans oublier le bitcoin et de solides cryptomonnaies associées à des projets structurants de finance décentralisée.

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