Les aides publiques pour soutenir des entreprises de plus en plus fragilisées par les prix de l’énergie ne dureront pas éternellement. Pour investir correctement, il va falloir faire attention aux sociétés qui risquent d’être écrasées par ce poids, et lesquelles s’en sortiront renforcées…
La crise énergétique en cours a ceci de fascinant qu’elle se déroule de manière totalement prévisible.
Comme un tsunami venu du large qui atteindrait la côte avant de remonter le lit d’un fleuve, kilomètre par kilomètre, elle emporte méthodiquement les différents agents économiques à mesure que ses conséquences se diffusent dans l’économie réelle.
Si le caractère inéluctable de la succession des événements a pour triste conséquence de rendre inutiles les rodomontades de nos dirigeants, il a pour intérêt d’offrir aux investisseurs une boule de cristal qui permet de dégager des bénéfices dans cette période trouble.
Alors que l’année touche à sa fin, la crise énergétique va entrer dans sa dernière phase. Elle sera la plus impressionnante en terme de faillites, mais donnera aussi paradoxalement le signal que le rebond de l’économie est imminent.
Revenons tout de même sur les phases précédentes.
La valse à trois temps de la crise
Dans un premier temps, la guerre en Ukraine a provoqué une flambée des cours de l’énergie. Traders et industriels anticipaient, à juste titre, l’arrivée d’une pénurie énergétique d’ampleur historique en Europe. Les achats se sont alors multipliés, poussant les prix vers des sommets jamais atteints. Cette hausse des prix, que les pouvoirs publics ont tenté de cacher avec un « quoi qu’il en coûte » énergétique, a fini par se matérialiser dans l’économie avec l’effacement de la demande la plus faible.
C’est ainsi que la chasse au gaspillage – qui est, en termes économiques, une utilisation de ressource sans production de valeur ajoutée – a été la priorité n°1 des pouvoirs publics, des ménages, et des entreprises. Ne suffisant pas à combler le manque d’énergie, nous avons vu disparaître les activités industrielles les moins rentables par kWh consommé : production d’acier et d’aluminium, production d’engrais, fabrication de verre.
Si certains analystes avaient correctement anticipé que la guerre en Ukraine allait causer une explosion sans précédent du prix de l’énergie, peu avaient compris qu’il s’agirait d’une crise physique, et non monétaire. Nos gouvernements, par exemple, n’ont eu de cesse de tenter d’empêcher l’inévitable pénurie en gavant l’économie de subventions.
Ils ont commencé par le financement des achats de carburant pour les automobilistes, mais aussi de gaz et d’électricité. Auxquels devrait s’ajouter le plafonnement imminent des cours du gaz en Europe. En somme, les pouvoirs publics ont géré le manque d’énergie comme s’il s’agissait d’un simple problème de liquidités.
Mais la guerre en Ukraine n’est pas la crise des subprimes. Les banques centrales peuvent imprimer des euros, pas des MWh. Par conséquent, les aides en tout genre n’ont pas créé la moindre énergie, mais ont simplement transféré du pouvoir d’achat entre différents acteurs économiques.
Si les aides publiques ont augmenté dans l’absolu la solvabilité des bénéficiaires de cette redistribution, elle n’a pas modifié les ratios relatifs.
Une industrie qui produit deux fois moins de richesse par MWh consommé que sa voisine ne devient pas plus efficace lorsque l’énergie est subventionnée. Utiliser l’électricité pour alimenter le data center d’une start-up est toujours plus utile que de faire fondre du verre, que le MWh coûte 10 €, 100 €, ou 300 €.
C’est ainsi que la deuxième phase de la crise a été causée par les aides publiques. Elles ont alimenté la hausse des prix de l’énergie en permettant aux acteurs les moins solvables de continuer leur activité avec l’argent des autres. Comme pour les PGE, dont je vous parlais la semaine dernière, ces aides ont eu un effet macro-économique net négatif, en retardant l’inéluctable régulation par la faillite.
La troisième et dernière étape de la crise sera l’arrêt de la fuite en avant des subventions publiques. Dans cette confrontation finale entre l’offre et la demande, les faillites d’entreprises repartiront à la hausse.
Paradoxalement, c’est cette purge nécessaire qui permettra au tissu économique de reprendre le chemin de la croissance avec moins de consommateurs d’énergie improductifs.
Bientôt le dernier acte de la crise ?
La grande vague de faillites a, selon les indicateurs avancés, déjà débuté. Fin octobre, le nombre de procédures collectives dans les tribunaux s’élevait à 32 596, contre 22 151 en 2021 à la même date. Le nombre de sauvegardes, redressements et liquidations a ainsi fait un bond de 47% sur un an.
Or, comme le rappelle Frédéric Abitbol, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires dans Les Echos :
« Nous sommes [les administrateurs judiciaires] en bout de chaîne des difficultés des entreprises […]. La procédure collective est le dernier acte ».
Les témoignages de gérants de TPE et PME étranglés par la hausse des prix de l’énergie se multiplient dans la presse économique depuis quelques semaines, et la hausse des fermetures d’entreprises est imminente.
Nous constatons par ailleurs que la typologie des entreprises affectées par la hausse des prix de l’énergie est en train de changer. Depuis janvier, le nombre de procédures explose, tandis que le nombre d’emplois concernés est plutôt en baisse. Les trois quarts des défaillances concernent cette année des micro-entreprises comportant un unique salarié.
Cette diffusion de la crise énergétique dans le tissu économique réel était inéluctable. Rappelons que les micro-entreprises représentent, en France, plus de 60% des immatriculations annuelles (soit plus de 600 000 créations d’entreprises en 2021, dont au moins la moitié n’emploient aucun salarié, d’après l’Insee). Les chances que la pénurie d’énergie n’affaiblisse que les entreprises du CAC 40 et les groupes industriels majeurs qui faisaient les gros titres des journaux cet été étaient quasi-nulles.
L’économie va pouvoir toucher le fond avant de rebondir
Les subventions publiques ne pouvaient que retarder le phénomène dans le temps. La vague de cessations d’activité qui débute est le signe que la période de déni économique touche à sa fin. Elle emportera avec elle des centaines de milliers d’entreprises et se retrouvera dans les indicateurs les plus scrutés par les analystes, comme le nombre d’entreprises en activité ou le chiffre des nouveaux demandeurs d’emplois.
Pour autant, si les pouvoirs publics ne cherchent pas à « zombifier » par de nouvelles aides ces centaines de milliers de petites entreprises, leur disparition pourrait matérialiser la fin de la crise énergétique. Déjà, l’effacement de la demande des gros industriels a permis au cours du gaz naturel de chuter de 60 % entre l’été et l’automne. Le grand ménage sur les TPE/PME, même s’il affolera la sphère politico-médiatique, rendra notre tissu économique globalement plus efficace.
A ce moment-là, l’effet ciseaux qui a joué à la hausse sur les prix de l’énergie cette année aura des résultats tout aussi impressionnants à la baisse.
Cet hiver, scrutez donc simultanément les prix de l’énergie et les aides publiques, pour guetter le point de retournement de l’économie réelle. Une baisse des prix de l’énergie dans un contexte de stabilité des mesures de soutien serait la preuve que les entreprises encore en activité retrouvent des marges de manœuvre.
Pour les investisseurs en Bourse, guetter le pic des défaillances sera un bon moyen « d’acheter au son du canon », en quelque sorte, et de profiter du rebond de l’activité des survivants en 2023.