La Chronique Agora

Pékin fait comme Gisele…

** La séance du mercredi 7 novembre pourrait bien avoir constitué ce tournant majeur que nous anticipons depuis fin septembre avec le retracement des 1 550 points sur le S&P 500 à Wall Street et des 2 800 points sur le Nasdaq Composite (voire des 5 850 points sur le CAC 40).

Depuis quelques temps déjà, nous assistons à une hausse artificielle des indices d’actions voulue et orchestrée par les principales banques d’affaires de gabarit planétaire — toutes plombées au-delà de nos pires cauchemars par la désintégration du marchés des dérivés de crédit subprime. Ceci se fait avec l’appui de la Fed et la complicité des divers organismes fédéraux chargés de produire des statistiques officielles taillées sur mesure pour justifier tantôt une baisse des taux directeurs, tantôt rassurer les économistes sur la pérennité de la croissance et la modération des pressions inflationnistes.

Au moment où nous rédigeons ces lignes, le Dow Jones dévisse de 280 points et enfonce le support des 13 450 points, le S&P 500 décroche sous les 1 490 points et le Nasdaq chute de 2,5%. Mais combien de fois les pertes de la mi-journée n’ont-elles pas constitué le signal de la reprise en main de Wall Street par des opérateurs surnommés les « poches profondes » ?

Ils s’y entendent à merveille pour faire « courir » (et même paniquer !) les vendeurs à découvert au cours de la dernière heure de cotations, lorsque tous les suiveurs se mettent à jouer un rebond technique dont ils ignorent généralement la cause. Le jeu pour les commentateurs boursiers consiste alors à en trouver une qui tienne la route, afin d’écarter le soupçon d’une manipulation pure et simple des indices à la hausse.

Quand le CAC 40 ne cède au final qu’un banal 0,45%, et l’Eurostoxx50 un anecdotique 0,15% un jour où Wall Street affichait -1,15% (vers 17h30), tandis que le dollar se retrouvait littéralement en perdition face au yen — sous le seuil décisif des 114 puis des 113 dans la foulée — et le pétrole au zénith à 98 $ le baril… cela nous apparaît comme une issue plus qu’heureuse : c’est carrément surréaliste !

La main invisible qui caresse les marchés dans le sens du poil (de façon systématique depuis l’automne 2002) appartient sans nul doute à un prestidigitateur… à moins qu’il ne s’agisse de celle du patron de la Federal Reserve, dont le tour de magie le plus apprécié consiste à créer du dollar à partir de rien (juste des rames de papier monnaie et un peu d’encre) !

** Il en fallait, des liquidités — et une sacrée dose de bonne humeur –, pour propulser le marché parisien vers 5 760 points mercredi matin… mais l’optimisme ambiant s’est évaporé comme une goutte d’éther sur une plaque de cuisson lorsque la rumeur de faillite d’un fonds spéculatif a commencé à circuler vers 10h00 dans les salles de marché. Le CAC 40 a plongé de 110 points en une demi-heure avant de reprendre ses esprits, l’enfoncement des 5 660 points pour un motif aussi fumeux étant jugé irrationnel et particulièrement malvenu.

Aucune précision n’a pu être obtenue concernant l’origine de l’accident, ni qui en a été la victime. Mais c’est le genre d’annonce que tout le monde redoute dans le climat actuel, compte tenu de l’ampleur des pertes supportées par certaines banques dans le secteur des prêts subprime. D’ailleurs, Morgan Stanley chute de 4,5% sur l’anticipation d’une hausse imminente du montant des provisions pour cause de dépréciation d’actifs.

Nous ne cessons d’évoquer la stratégie des établissements de crédit qui consiste à cantonner les actifs pourris — voire sans valeur — dans des structures ad hoc (les « SIV ») ou des hedge funds qui leur procurent une contrepartie fictive durant une période prédéterminée. Le but étant de délocaliser les pertes dans le no man’s land comptable du hors bilan en misant sur un hypothétique rétablissement de conditions de marché plus favorables.

** Mais ces artifices apparaissent bien dérisoires lorsque les marchés des changes entrent soudain en ébullition. Nicolas Sarkozy, depuis la tribune du Congrès à Washington, évoque en effet un risque de guerre économique si les Etat-Unis et la Chine ne règlent pas au plus vite le problème de la parité du yuan/dollar qui menace de déstabiliser l’ensemble de la sphère financière à l’échelle planétaire.

Mais le coup de tabac qui s’est abattu sur le dollar en début de matinée mercredi (il a rapidement dévissé de 1,46 jusque sous 1,4705/euro) résulte de déclarations d’un haut dignitaire chinois (le vice-président du Parlement) qui évoque la poursuite des arbitrages des réserves de change du pays — désormais les plus importantes de la planète — en faveur de monnaies plus fortes que le dollar.

Mais où va-t-on si Pékin se met à imiter Giselle Bündchen ? Ce mannequin, d’origine brésilienne, est la mieux payée de la planète et la célibataire la plus courue par les « gros cachets » masculins d’Hollywood. Giselle souhaite désormais — c’est officiel — se faire payer ses prestations à six zéros (au minimum) sur les podiums ou en couverture des magazines de mode les plus prestigieux dans n’importe quelle devise, pourvu qu’il ne s’agisse pas du dollar !

Pièces d’or et autres babioles très coûteuses acceptées, diamants également (présentés sur un écrin siglé d’un grand nom de la haute joaillerie).

Se serait-elle rendu compte, en enfilant ce week-end une robe de haute couture à 15 000 euros (c’est-à-dire 22 000 dollars), que le billet vert est une monnaie de singe adossée à la plus grande escroquerie de l’après-Bretton Woods, à savoir le carry trade ?

Une escroquerie qui se double de la plus gigantesque campagne d’émission de dérivés de créances pourries, honteusement affublées de notations « triple A ». La débâcle n’a pas encore atteint sa pleine vitesse de croisière puisque les emprunteurs américains — acculés par la flambée des mensualités sur leurs prêts immobiliers — utilisent désormais leurs cartes de crédit pour se procurer des liquidités à 18%. Nous attendons l’éclatement imminent de la bulle du revolving (ce sera peut être pour mars prochain… mais peut être pas). Qui sait de quoi sera faite la séance du jeudi 8 novembre?

Cela fait neuf mois que l’on nous abreuve de mensonges officiels concernant la « non-contagion » de la crise du subprime, la « non-inflation » résultant du doublement du prix du pétrole en un an et d’un chute verticale du dollar, la « non-récession » découlant de l’effondrement du secteur immobilier aux Etats-Unis, la « non-consolidation » éternelle des actions chinoises qui se payent entre 50 et 60 fois les profits, la « non-signification » globale des avertissements sur résultats qui accroît la volatilité des titres financiers (elle précède presque toujours un renversement de tendance à la baisse des marchés).

Nous pouvons toutefois y opposer notre « non-attention » et opter pour une « non-conservation » des portefeuilles boursiers…

Philippe Béchade
Paris

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