▪ "Papa… je pense que je devrais retourner à Los Angeles, pour travailler", a déclaré Maria après le passage en revue de ses finances.
Elle gagne sa vie en tant que mannequin et actrice. Mais ce n’est pas une vie extraordinaire. Sa carrière ressemble à celle d’un athlète professionnel. Quelques-uns gagnent beaucoup d’argent. La plupart luttent pour joindre les deux bouts.
Maria se débrouille.
De son père, elle a appris à ne pas emprunter d’argent. Donc lorsqu’elle a acheté une voiture — une jolie Mini Cooper décapotable — elle voulait payer cash. Elle a voulu encaisser une partie de ses gains boursiers, mais un courtier l’a convaincue de laisser les actions en portefeuille et de prendre plutôt une avance en liquide.
Une très bonne affaire pour le courtier. Il a gagné les frais du prêt. Mais pour Maria, l’opération n’avait d’intérêt que si les actions grimpaient plus que les frais en question. Pas franchement un pari sûr dans un tel marché. De plus, si elle voulait emprunter de l’argent, autant demander directement à son paternel.
▪ "J’aurais probablement dû rester à Los Angeles… parce que j’ai besoin de cet argent. Venir en France coûte cher. Il y a le billet d’avion… mais aussi l’argent que je ne gagne pas".
"Ne t’inquiète pas", a répondu son père. "La plupart des gens sont en général bien trop occupés… trop occupés à gagner leur vie, pour gagner vraiment de l’argent. Ils se font prendre au piège. Leurs revenus grimpent. Ils augmentent donc leurs dépenses. Plus ils gagnent, plus ils doivent gagner. Et ça continue encore et encore… sans vraiment avoir le temps de réfléchir… et aucune possibilité de faire des choses qui prennent du temps. La plupart des gens ne peuvent pas s’arrêter de travailler pendant un an. Et bon nombre ne peuvent pas s’arrêter pendant une semaine. Ils ne peuvent pas se le permettre".
"Mais c’est probablement une bonne idée de faire une pause. Je commence à me méfier des excès d’activité. Tu sais, tous ces gens qui ont des diplômes dans la finance et le commerce ? Ils sont allés à Wall Street et ont travaillé comme des forçats. Fonçant à Cleveland pour passer un accord… se précipitant à Londres pour une réunion… le téléphone portable dans une main, le Blackberry dans l’autre… travaillant jusqu’à une heure du matin, brassant fiévreusement du papier".
"A quoi est-ce que ça servait ? La Bourse de Wall Street est censée allouer efficacement les capitaux de manière à ce que l’économie de libre échange puisse progresser. Mais ce qu’ils faisaient, en fait, c’était créer une sorte de Bulle de la Finance — essayant de faire autant d’opérations que possible pour gagner des commissions. Et toutes ces opérations impliquaient l’injection de nouvelles dettes dans le système".
"Ils étaient si occupés qu’ils ne se sont pas donné la peine de remarquer ce qui se passait vraiment. Tu devrais lire certaines transcriptions de témoignages de gens gérant les firmes financières. Ou simplement parler à certaines des personnes qui ont passé tous ces accords. Ils n’y allaient pas avec le dos de la cuiller. Mais ils ne se sont jamais arrêtés pour réfléchir à ce qu’ils faisaient vraiment ou au bien que ça faisait. Et lorsque la crise est arrivée, ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui leur tombait dessus. Ces crétins ont découvert que non seulement ils avaient refourgué beaucoup de dette, mais qu’ils en avaient aussi acheté… et détenu dans leurs propres coffres. Evidemment, Lehman n’a pas survécu. Les autres ne s’en sont tiré qu’en s’appuyant sur les contribuables".
"Tout ça était comique et absurde"…
"Papa, tu t’éloignes du sujet, là, non ?" interrompit Maria.
"Non, non… j’y arrive. On avait là les gens les plus diplômés, les plus intelligents et les mieux payés du pays. Et ils ne pouvaient pas voir qu’ils étaient au bord de la faillite. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient trop occupés à gagner de l’argent !"
"L’individu lambda fait pareil. Il travaille si dur… et dépense tant d’argent… qu’il ne peut pas voir qu’il est toujours au bord de la faillite. Il n’a pas de marge. Pas de matelas de sécurité. Il ne prend pas le temps de réfléchir à ce qu’il fait, et pourquoi il le fait".
"Je travaille dur la majeure partie de l’année. De huit heures du matin à huit heures du soir, plus ou moins. Je le fais depuis 40 ans. Mais lorsqu’août arrive, j’essaie de ralentir le rythme. Au lieu de foncer sur l’autoroute… je prends une petite route de campagne et je flâne un peu… pour voir où elle mène".
"Je peux même m’arrêter pour un pique-nique… ou m’asseoir dans un fauteuil et lire un livre que je ne lirais pas normalement… ou penser à ce que je fais… à qui je suis et ce que je veux vraiment… à ce qui est important et comment l’obtenir"…
"Papa, tu racontes des craques. Tu sais parfaitement que tu ne ralentis jamais. Tu viens et tu travaille toute la journée, exactement comme à la maison. Tu t’énerves quand quelqu’un vient t’interrompre. Simplement tu peins de volets et tu répares des portes, plutôt que de travailler au bureau".
"Certes… mais pendant que je peins, je peux réfléchir"…