Les scandales qui touchent Orpea ou Korian ont fait couler leurs cours de Bourse. Mais, derrière des maisons de retraite qui sont de bons boucs émissaires, un problème bien plus large apparaît.
La question des Ehpad s’impose dans le débat public.
Je laisse de côté les comportements irresponsables des pseudo journalistes-enquêteurs et de même l’attitude imbécile à courte vue des protagonistes capitalistes du secteur.
Au passage, je stigmatise le silence des « énormes actionnaires » et associés d’Orpea, que ce soit Peugeot Investissement, CPPIB (fonds de pension canadien) et la Caisse des Dépôts, mais leur costume sera taillé un autre jour.
Le spectacle est lamentable à tous points de vue.
Tout comme l’est la réaction gouvernementale qui, pour masquer ses carences, ses absences de contrôle, son irresponsabilité organisée, crie haro sur le baudet au risque jeter le bébé avec l’eau du bain.
Ne pas se tromper de cible
En passant, personne n’en parle, mais les pertes de la petite épargne qui a été trompée sont sanglantes. L’opprobre jetée sur le personnel est honteuse, alors que les banquiers qui ont financé cette pourriture et les boites de notations qui ont délivré les certifications de bonne conduite sociale (selon les fameux critères ESG) continuent de se pavaner dans les salons.
A ce stade, mon dégoût est tel que, malgré mon antiétatisme primaire, j’en arrive à leur souhaiter à tous la nationalisation.
Hurler avec les loups, c’est la spécialité du monde politicien, ce n’est pas très productif, c’est immoral.
La question du vieillissement de la population est un sujet sensible qui ne peut être éludé.
Les pouvoirs publics, en détruisant la famille, les voisinages et les solidarités naturelles, mais aussi en pompant l’épargne générationnelle, détruisent les solutions historiques et humaines à la prise en charge de la vieillesse.
On ne peut à la fois confisquer la solidarité et s’étonner que celle-ci ne soit plus assumée !
On ne peut à la fois paupériser les gens, développer leur égoïsme, les inciter à détruire le passé, briser le respect des anciens, détruire les familles et les solidarités de voisinage et, en même temps, refuser de considérer la prise en charge des personnes âgées par des institutions.
Le surproduit social que l’on confisque aux actifs est limité. Voilà ce que les politiciens ne veulent pas reconnaître. On ne peut traire les actifs sans limite pour entretenir les inactifs.
De vrais choix de société
Donc la question se pose de l’arbitrage de ces ressources rares que sont les prélèvements sur les actifs : qu’est ce qui est supportable, pour quoi faire, quelles sont les priorités ?
Et il est évident que, là, on se trouve face à des choix politiques, de vrais choix de société.
On s’y trouve confronté puisque, la France n’ayant plus de vraie croissance, investissant trop peu, ayant une politique étrangère trop dispendieuse et une politique d’accueil de la misère du monde trop généreuse, elle est obligée de sacrifier beaucoup de choses comme la santé, l’éducation, la formation, la justice, la vieillesse, etc.
On ne peut détruire un ordre social familial et un ordre de proximité sans en payer le prix par ailleurs, et sans que les coûts se retrouvent sous d’autres formes.
La destruction des liens sociaux, des liens générationnels, qui est la politique moderne, a un coût, et ce coût, eh bien, on le retrouve ici en boomerang.
La modernité détruit nos sociétés fondées sur la dette et la reconnaissance à l’égard du passé et des anciens, voilà ce qu’il faut oser dire. Voilà qui produit inéluctablement un problème pour la vieillesse. Tout comme la fuite en avant capitaliste imbécile produit le problème du profit pour les institutions qui se substituent aux familles.
Il est facile pour les familles de trouver des boucs émissaires à leurs carences ou à leurs égoïsmes. Ces boucs émissaires sont tout trouvés : ce sont les Ehpad !
La réalité révélée
Les Ehpad sont quasi automatiquement désignés comme tortionnaires sans cœur, pour la bonne raison qu’ils balancent en pleine figure du public, quand il s’y intéresse comme maintenant, les hypocrisies sordides du système.
Les Ehpad ont des vices – et la volonté de maximiser les profits n’est pas le moindre –, mais, plus fondamentalement, ils mettent en œuvre la rareté, la limite des coûts que le pays accepte de payer, ce qu’il accepte de consacrer à sa vieillesse. Voilà la réalité. Les Ehpad sont la statue du Commandeur qui crie à la gueule du système : cela déconne !
Et ne prenez pas ceci pour une défense de ma part. Tout le monde sait que je lutte contre la financiarisation, contre la dictature du profit maximum, contre la spéculation, etc.
Mais il y a deux choses différentes. D’un côté, il y a la gestion des limites des ressources que nous acceptons de consacrer à la vieillesse – et il faut bien que quelqu’un les gère ces limites – et, de l’autre côté, il y a l’avidité irresponsable de dirigeants rémunérés au bonus pour les inciter à donner la priorité à l’accumulation.
Puis, dans les coulisses, il y a les séides de la finance, bien cachés et protégés.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]