La Chronique Agora

Pas un pour rattraper l'autre

** Nous sommes heureux de voir Thomas Friedman de retour dans les pages de l’International Herald Tribune… et en pleine forme, en plus !

* L’éditorialiste du New York Times est toujours distrayant… et utile. Sans le vouloir, bien entendu : Friedman n’y arriverait pas autrement. Ce qui le rend distrayant, c’est qu’il est perpétuellement en état d’urgence… et d’alerte irrépressible… qui le pousse à courir partout en se heurtant aux choses.

* Vous vous souvenez de la vague de terreur du début des années 2000 ? Friedman était au premier rang… hurlant pour que la foule se mobilise… les poussant à la panique. Sans quoi les terroristes allaient faire exploser tous les bâtiments publics et boutiques de lingerie de la chrétienté. Plus récemment, il y a eu sa crise de panique sur la hausse du pétrole. Une fois encore, il fallait "faire quelque chose" !

* A présent, c’est la crise financière qui lui donne des sueurs froides. Quel plaisir que d’avoir son point de vue sur le monde de la finance ! Ses pensées sont si superficielles que ses erreurs sont toujours à la surface. C’est également rassurant ; si Friedman adhérait à nos idées, nous devrions les revoir.

* "S’il faut lutter contre une panique financière globale telle que celle-ci, il faut y aller avec une force écrasante", écrit Friedman. Comment sait-il une telle chose ? Combien de ces crises a-t-il vu ? Eh bien, aucune. Personne n’en a vu… ce qu’il admet quelques lignes auparavant.

* Mais l’ignorance n’arrête jamais Friedman. Il ne sait peut-être pas où est l’ennemi… mais il donne l’ordre malgré tout : "chargez !"

* "L’heure n’est pas aux demi-mesures", continue-t-il. Comment sait-il ce qu’est une demi-mesure et une mesure pleine ? Et qu’en est-il de pas de mesure du tout ? A nouveau, il n’explique rien. Mais c’est n’est pas le moment de réfléchir — une fois encore, c’est "tous aux remparts" ! Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’un "stimulant écrasant qui pousse les gens dans les boutiques. Et d’une recapitalisation écrasante du système bancaire qui le pousse à prêter à nouveau".

* "Allez faire du shopping", résume-t-il.

* Quiconque est doté d’une moitié de cerveau sait que c’est un excès de shopping et de prêts qui a mis les Etats-Unis dans ce pétrin. Mais Friedman est déjà disqualifié. Non qu’il ne soit pas intelligent — simplement, il est décidé à ne pas laisser le raisonnement lui mettre des bâtons dans les roues. Il est assez intelligent pour savoir qu’une fois qu’on commence à réfléchir aux choses, elles se révèlent toujours plus compliquées et nuancées qu’on l’espérait.

* Mais si on ne se soucie que des apparences, il n’y a pas besoin de s’en inquiéter. Que font les gens dans une économie saine ? Ils vont faire du shopping. Que font les banques dans une économie saine ? Elles prêtent de l’argent. Hé, facile ! Si les banques prêtaient et que les consommateurs achetaient — on aurait une économie saine, non ?

* Une autre charmante caractéristique de la pensée de Friedman est qu’il est prêt à jeter par-dessus bord les principes, les règles et la dignité, s’ils se mettent en travers de son chemin. Ecartant la question de savoir pourquoi les contribuables devraient payer pour les erreurs de Wall Street, il écrit : "… l’équité n’est plus au menu… nous devons mettre tout ce que nous avons pour résoudre ce problème"…

** A présent, nous tournons notre attention vers la Maison Blanche. George W. Bush est en bien mauvaise posture. Il a coûté une victoire aux républicains, déclarent les experts : il a ruiné le pays… il a détruit l’empire… il a ravagé l’économie. On pourrait accuser l’homme de sorcellerie ou de rapt d’enfants que la moitié du pays vous croirait.

* Mais à la Chronique Agora, nous prenons toujours le côté du plus faible et de la cause perdue. George est les deux. Si bien que lorsque nous avons lu son discours de la semaine dernière à New York, nous l’avons apprécié. Voilà un homme qui a eu une sorte d’opération chirurgicale ou de lavage de cerveau, avons-nous décidé. Ils ont coupé les connexions, si bien qu’il peut désormais penser une chose et faire une chose entièrement différente.

* "L’histoire a montré que la grande menace pour la prospérité économique n’est pas un manque d’implication gouvernementale dans le marché. C’est un excès d’implication gouvernementale dans le marché. […] Et le chemin le plus sûr vers […] la croissance, c’est l’économie de marché et la liberté individuelle".

* "Le capitalisme n’est pas parfait. Mais c’est de loin la manière la plus efficace et la plus juste de structurer une économie. Le capitalisme offre aux gens la liberté de choisir où travailler et quoi faire, l’opportunité d’acheter ou de vendre les produits qu’ils veulent et la dignité provenant du fait qu’ils profitent de leur talent et de leur dur labeur"…

* "Le passé est très clair : si on cherche la croissance économique, la justice sociale et la dignité humaine, le système d’économie de marché est la bonne voie".

* A notre avis, ces idées sont correctes. Mais le gouvernement américain avec George W. Bush aux commandes n’a pas franchement favorisé le capitalisme et l’économie de marché. Au lieu de cela, l’administration Bush a présidé une "économie mixte" — à la fois une "fraude innocente", selon le terme utilisé par John K. Galbraith pour décrire les excès de l’économie de marché, et un vol à main armée du gouvernement.

* Des prêteurs hypothécaires mandatés par le gouvernement — Fannie et Freddie — ont aidé à stimuler une gigantesque bulle du marché de l’immobilier…

* … la banque centrale du gouvernement américain — la Réserve fédérale — menée par la personne nominée par Monsieur Bush, Alan Greenspan, a causé pratiquement à elle seule une énorme bulle de la finance, du crédit, de la spéculation et des dépenses de consommation…

* … lorsque la bulle, inévitablement, a explosé, le secrétaire au Trésor même de Monsieur Bush (qui était l’un des banquiers de Wall Street ayant le plus bénéficié de la bulle financière) s’est précipité pour utiliser l’argent du gouvernement (c’est-à-dire l’argent des contribuables) pour racheter les erreurs de Wall Street…

* … puis les autorités ont partiellement nationalisé les principales banques du pays…

* … et à présent, les Etats-Unis, avec les autres grands gouvernements de la planète, s’engagent à donner au monde ce dont il a le moins besoin — plus de réglementation !

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