La finance trouve régulièrement de nouveaux moyens de faire continuer à tourner la machine. Mais attention aux cailloux qu’elle sème sur la route et qui pourraient faire trébucher tout le système…
Vous savez que je défends l’idée que le Système est, à terme non défini et imprévisible, condamné.
Il est condamné de façon endogène, victime de ses contradictions logiques et organiques. Je n’insiste même pas l’autre aspect, celui des contradictions externes, c’est-à-dire le besoin de faire la guerre.
L’originalité de ma conviction, c’est l’inversion par rapport à ce que pensent et disent les Cassandre qui ont pignon sur rue, ceux qui croient que c’est le poids de la finance et sa mauvaise qualité qui va faire chuter le système.
C’est un paradoxe, mais c’est la finance – presque dans sa dimension pourrie – permet de maintenir le système en vie et de le prolonger.
Faire reculer les échéances
Mon analyse causale dit l’inverse de ce que disent les Cassandre. Le système est victime de ses contradictions internes, de sa tendance à long terme à l’érosion de sa profitabilité. Cette tendance le condamne, certes, mais il y a des contre-tendances qui permettent de reculer les échéances.
(Notez d’ailleurs que le système a en fait épuisé les bienfaits – si l’on ose dire – des destructions de la Seconde Guerre mondiale lorsque la tendance à l’érosion de la profitabilité est apparue clairement au milieu des années 1960. A l’époque, les dépenses pour le « beurre et les canons » de la Great Society de Lyndon Johnson ont servi de révélateur.)
Et parmi ces contre-tendances, il y a la financiarisation à outrance.
Parmi les autres contre-tendances qui œuvrent pour lutter contre l’érosion inéluctable de la profitabilité, il y a la pression sur les salaires réels, la confiscation des gains de productivité, les assouplissements des lois sur le travail, la surexploitation des producteurs de matières premières, l’accélération de la rotation du capital, le rognage des salaires indirects et différés, etc.
La marche continue
Si je ne me trompe pas, le système a besoin de continuer sa marche vers la financiarisation – avec la production de dettes, de capital boursier fictif et la baisse continue des taux d’intérêt réels – et de ne jamais retourner vraiment (sauf de façon cosmétique) en arrière.
Présenté autrement, on ne peut plus réconcilier la sphère financière et la sphère de l’économie réelle. On ne peut plus atterrir : il faut léviter.
Il est évident que les autorités sont intérêt à maintenir le mythe que tout cela est réversible alors que c’est un mouvement à sens unique.
Nous sommes dans une de ces périodes ou on joue la comédie de la réversibilité. On nous fait croire que l’on pourrait retourner en arrière et réduire les politiques monétaires hyper accommodantes !
L’inflation est un choc terrible auquel nos idiots n’avaient pas pensé, un obstacle sur la route de la poursuite de la financiarisation, qui fait trébucher car elle introduit une dimension politique.
Le peuple, les médias imbéciles, les présidents qui n’ont rien compris, réclament tous qu’on lutte contre l’inflation des prix des biens et des services sans se rendre compte qu’ils réclament qu’on fracasse les béquilles qui permettent au système de tenir. Aux Etats-Unis, les politiciens poussent des cris d’orfraie pour forcer le président de la Fed, Jerome Powell, à réduire le débit de la pompe monétaire et du crédit. Ils n’ont rien compris.
Un nouveau délai
La crise sanitaire, je le maintiens, a été une aubaine : au quatrième trimestre 2019, le système menaçait une fois de plus de chuter, de sauter, d’entrer en révulsion. Il suffit de regarder le graphique ci-dessous. La situation était bien pire qu’en 2008 !
Mais pivoter vers un énième sauvetage impliquait que l’on trouve des alibis ou qu’il y ait des alibis, de bonnes raisons avouables de lâcher à nouveau les vannes financières et monétaires. On a donc fait une construction parallèle et cette construction parallèle, c’est la crise du Covid.
Elle est venue fournir l’excuse, le fameux alibi pour inonder une fois de plus de pognon tout le système mondial. En fait, c’était pour le sauver de la crise financière, monétaire, bancaire, du quatrième trimestre 2019 qu’ont été créés les dizaines de milliers de milliards de liquidités.
Il a été possible de – une fois de plus – tout noyer sous les liquidités grâce au choc boursier de mars 2020. C’était la construction parallèle dont on avait besoin.
Ce que vous ne pouvez voir sur ce graphique, c’est qu’entre le 17 septembre 2019 et le 2 juillet 2020, les unités de trading des méga-banques de Wall Street (américaines ou non) ont reçu des prêts repo cumulés représentant 11 230 Mds$ de la Réserve fédérale.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]