Les marchés ont ignoré les problèmes des consommateurs durant le trimestre écoulé, mais ces problèmes ne vont pas s’arranger durant ce dernier trimestre de 2023…
La séance des « quatre sorcières » qui a clos vendredi le troisième trimestre boursier a effacé en quelques heures la moitié des gains laborieusement accumulés par Wall Street depuis le 16 juin dernier (la précédente séance de fin de trimestre).
Le S&P 500 par exemple n’était ressorti du rouge qu’à partir du 24 août dernier. Le Nasdaq avait également amorcé un rebond ce jour-là.
Pourquoi cette date ? Elle correspond au lendemain de l’annonce de l’élargissement des BRICS à 6 pays supplémentaires – dont l’Arabie saoudite, leader de l’OPEP – à partir du 1er janvier 2024.
Pas sûr que ce soit la meilleure nouvelle de l’année pour Wall Street. Le soulagement provenait surtout de l’absence d’une annonce de lancement d’une monnaie numérique commune entre membres des BRICS élargis à 11… mais, si le e-yuan attendra encore un peu son tour, les pays membres ont convenu de commercer entre eux dans leurs monnaies respectives au lieu de régler leurs achats de matières premières en dollars.
Pour quelques dollars de moins
Ce qui signifie que la demande de billet vert – et de bons du Trésor américains – va fatalement baisser ces prochaines années. Pas forcément de façon spectaculaire, mais il y a de quoi s’inquiéter, quand les Etats-Unis affichent déjà plus de 600 Mds$ de dettes supplémentaires par rapport à 2022, et que l’Europe est également au taquet.
En Italie, dont tous les paramètres préfigurent une crise imminente, la lutte entre les Etats-Unis et l’UE pour capter une partie suffisante de l’épargne mondiale pour combler leurs déficits abyssaux s’annonce homérique et sans merci.
Car les BRICS ne sont plus acheteurs de la dette américaine et continuent de liquider leurs stocks : après la Russie – hors catégorie – c’est l’Arabie saoudite qui bat le record de réduction de ses avoirs en dollars (de 140 à 105 Mds$).
Donc, les raisons du rebond du 24 août ne se situent pas du côté du sommet de Johannesburg.
Il ne semble pas non plus que la réunion des banquiers centraux de Jackson Hole, qui débutait 48 heures plus tard, ait pu inciter certains investisseurs à anticiper de « bonnes nouvelles », comme l’évocation d’un pivot imminent (disons un trimestre d’attente) de la Fed ou de la BCE.
Au final, cette réunion des grands argentiers leur a simplement permis d’admirer les neiges éternelles des sommets du Wyoming. Il n’est rien ressorti de concret de leur confrontation : ce fut un sommet ennuyeux, sans annonces marquantes, à moins d’un mois du FOMC de septembre, qui se tiendra demain et mercredi.
Sur le front obligataire, les marges de sécurité sont devenues nulles en Europe comme aux Etats-Unis ce 18 septembre : les rendements sont au plus haut de l’année, mais également depuis 12 ans en France… la chute des T-Bonds, des OAT et des Bunds a commencé il y a 2 ans et 3 mois, et elle continue : c’est désormais – et de loin – la plus longue et la plus dévastatrice de l’histoire. Les contrats d’assurance-vie « prudents » 60/40% en prennent notamment un sacré coup.
La proximité de supports majeurs (4,36% sur les T-Bonds, 4,3% sur les OAT) invite à ne pas jouer aux héros, même si les supports ont « tenu ».
Perturbations surprises
Wall Street semble s’être inquiété du début d’un mouvement de grève orchestré par le syndicat United Auto Workers (UAW), qui réclame 40% de hausse des salaires en 4 ans, la semaine de 32 heures, et qui va paralyser progressivement les plus grands constructeurs américains (General Motors, Ford et Stellantis, qui détient Chrisler et Jeep aux Etats-Unis).
Les spécialistes du secteur conviennent qu’il existe un risque de perturbations dans la chaîne d’approvisionnement : les sous-traitants, déjà fragilisés par la crise du Covid (les principaux ports chinois étant restés fermés durant des semaines) auront du mal à faire face une seconde fois.
En 2020 et 2021, Washington avait volé au secours des entreprises à cours de trésorerie en mode « no limit », sachant qu’elles pouvaient parallèlement emprunter de l’argent devenu quasi gratuit durant 18 mois.
En 2023, l’Etat américain est à sec, le déficit fédéral dépasse déjà de 600 Mds$ celui de l’an passé à fin août, et les taux courts naviguent entre 550 et 560 points de base. Cela contraint les entreprises en difficulté à se refinancer entre 700 et 750 points de base, ce qui est intenable avec une croissance d’à peine 2% et une inflation à 5%.
Et la situation peut encore empirer : si un statu quo est acquis à l’issue du FOMC de ce mercredi, Jerome Powell pourrait confirmer qu’une hausse de taux à 5,75% reste sur la table pour le FOMC de début novembre.
Selon les dernières données communiquées par Standard & Poors, le taux de défauts de paiement des entreprises américaines a bondi de 176% au cours des 8 premiers mois de 2023 par rapport à la période de l’année précédente, alors que les taux d’intérêt élevés plongent davantage d’entreprises dans des difficultés financières.
Petites faillites et trésors de guerre
Près de 70 entreprises du Russell-2000 ont déjà fait défaut sur leur dette entre janvier et août, contre 25 au cours de la même période de 2022.
Le secteur des médias et du divertissement a été le plus touché, avec un nombre de défauts de paiement multiplié par six, de nombreuses banques régionales ne survivent au quotidien que grâce aux fonds d’urgence de la Fed. Certaines rumeurs font état de 190 faillites potentielles… et de nombreux promoteurs dans l’immobilier de bureau sont en perdition, avec un taux de vacance en chute de 30 à 70% dans certaines grandes métropoles américaines.
Comment, dans ces conditions, le troisième trimestre a-t-il-pu se conclure par une hausse de Wall Street, du CAC 40 ou de l’Euro Stoxx 50 ?
La raison semble bien plus technique que psychologique : les rachats d’actions par les titans du S&P 500 et par les banques systémiques (celles qui engrangent des dizaines de milliards qui désertent les banques régionales depuis la mi-mars) se poursuivent à un rythme intense.
Ce flux acheteur soutient artificiellement les cours, ce qui maintient les indices boursiers en lévitation et écrase la volatilité… dont le principal indicateur – le VIX – se retrouve littéralement compressé vers des niveaux inconnus depuis janvier 2020 (sous les 14 et même sous les 13 tout récemment).
Peu importe le nombre de faillites de petites entreprises (qu’aucun gérant ne détient), peu importe le niveau des taux d’intérêt : les titans de Wall Street ont accumulé des trésors de guerre gigantesques quand l’argent était gratuit et abondant, et ils exploitent ces munitions sans état d’âme, tout comme l’inflation qui leur sert de prétexte pour augmenter leurs marges, jusqu’à peser 50% dans la hausse des prix constatée depuis 1 an.
Ils se dépêchent d’engranger le maximum de bénéfices avant que les consommateurs ne rendent les armes, incapables de faire face à la hausse simultanée des loyers et de l’énergie, ayant épuisé leur épargne et se voyant refuser l’extension de leur niveau de découvert sur leurs cartes de crédit…
A moins que le syndicat UAW obtienne 40% de hausse des salaires d’ici 2028 et que cette conquête sociale sans précédent fasse tache d’huile dans les autres secteurs. Dans ce cas, l’inflation pourrait rapidement repasser de 5 à 10% (spirale prix/salaires), acculant la Fed au fond d’une impasse.
Mais si la grève s’éternise et que les salariés n’obtiennent que des miettes, le consommateur américain est condamné : le taux de défaut sur les crédits va exploser, les banques vont sombrer dans une nouvelle crise, et les marchés, c’est certain, ils ne vont pas aimer… du tout, non plus !