La Chronique Agora

Pas de chance

lithium, Argentine, Salta

Parfois on gagne, parfois on perd… Puis on finit par tout perdre. La ruée vers le lithium en Argentine semble bien partie pour aller dans le même sens.

« Salut… Tu es jeune et tu es en bonne santé… Pourquoi diable veux-tu travailler ? »
~ Evelle (William Forsythe), Raising Arizona

Depuis la semaine dernière, nous sommes revenus dans le nord-ouest de l’Argentine. Nous avons fait une première halte dans la ville de Salta, où nous avons retrouvé notre fidèle avocat.

Lundi et mardi étaient fériés ; c’était le carnaval. Le calme régnait. Mercredi, la ville a retrouvé son vacarme et son agitation habituels. Les rues bondées. Les hôtels pleins.

C’était le mercredi des Cendres, donc nous avons marché jusqu’à la place centrale qui héberge la magnifique basilique San Francisco. De nombreux chrétiens avaient tellement envie d’arborer la petite tâche de cendre sur leurs fronts que l’église n’a quasiment pas désempli de toute la journée, avec des services à toutes les heures.

Histoires d’origines

Nous n’avons pas compris le sermon, en partie à cause d’un microphone défectueux, mais nous avons pu admirer les dorures et l’architecture complexe. L’endroit est époustouflant.

L’Argentine se prévaut d’être « le pays le plus européen au monde ». Ici, il y a même une blague sur le sujet :

Les Mexicains descendent des Aztèques.
Les Péruviens descendent des Incas.
Les Argentins descendent des bateaux.

L’Argentine n’a jamais eu beaucoup d’immigrés africains et, ceux qu’elle a eus, d’après la croyance populaire, furent envoyés au front dans la guerre contre le Paraguay au XIXe siècle.

Que ce soit vrai ou pas (nous ne le savons pas), le fait est qu’il y a peu d’« afro-argentins » aujourd’hui.

Quant à la population indigène, elle fut presque totalement exterminée ou envoyée en exil lors de la « conquête du Désert » de Julio Argentino Roca, dans les années 1870. Les rares qui restent se concentrent dans la province de Salta… et dans notre ferme.

Dans la basilique San Francisco se recueillait autour de nous un mélange de mélanges. La plupart des gens dans l’assemblée semblaient avoir plus qu’une larme de sang indien local. Ici, comme partout dans le monde, les gens ont tendance à se regrouper en fonction de leur culture et de leurs traditions, pour trouver une place qui leur convient.

Certains quartiers sont plus foncés que d’autres. En général, plus la peau est foncée, plus les gens sont pauvres. Lorsque vous êtes dans les quartiers riches, comme dans la ville de San Lorenzo, juste à côté, vous pourriez avoir l’impression d’être en Italie ou en France. D’autres « barrios » ressemblent plus aux quartiers pauvres de Los Angeles.

Présentation du Coloromètre™

Bien sûr, ce sont là uniquement des moyennes et des stéréotypes. Mais les statistiques et les stéréotypes sont à la base des politiques publiques aux Etats-Unis. L’administration Biden vient ainsi de lancer une campagne d’équité raciale pour le gouvernement fédéral. Des équipes chargées d’assurer l’équité au sein des agences de l’Etat (les « Agency Equity Teams ») sont censées mener une discrimination positive en faveur des gens qu’elles veulent en leur sein et une discrimination négative contre ceux qu’elles ne veulent pas.

Le problème de cette entreprise, et de tous les programmes racistes, c’est qu’ils font complètement fi des compétences et du mérite. Peu importe si vous méritez le poste ou que vous en ayez besoin ; votre sort dépendra de la catégorie dans laquelle ils vous auront mis.

Le programme entend donner la priorité aux « personnes de couleur ». Mais quel degré de couleur faut-il pour être prioritaire ? La fille à la peau foncée d’un biophysicien indien milliardaire mérite-t-elle davantage d’être embauchée que le fils blanc d’un ex-mineur de charbon au chômage de Virginie occidentale ?

Dans la mesure où l’idée globale est de privilégier les personnes de couleur et dans la mesure où, de manière générale, plus votre taux de mélanine est élevé, plus vous êtes pauvre, le meilleur moyen de régler le problème, si tant est qu’il y ait un problème, serait de développer une application comme le « coloromètre ».

Oui, cher lecteur, nous vous offrons dans ces colonnes notre contribution idiote à un programme idiots dirigé par des idiots sur la base de concepts idiots. Il suffit de pointer le « coloromètre » vers une personne et il vous donne un chiffre qui détermine le degré de l’avantage ou du handicap qu’elle devrait recevoir.

Plus la personne est « colorée », plus elle peut prétendre à un haut degré d’équité, quoi que cela signifie.

Note au gouvernement américain : pas besoin de nous remercier pour la suggestion. Si vous êtes assez stupide pour adopter le concept, nous dirons que nous n’avons rien à faire avec cela.

En attendant, Salta est en plein boom.

Perdre, gagner ou pire…

« C’est difficile de trouver un appartement à louer » nous expliquait notre conseiller juridique, « et, si vous en trouvez un, cela vous coûtera un bras ».

Cela nous a paru bizarre. Toutes les nouvelles économiques en provenance de l’Argentine sont mauvaises. Nous voulions connaître la source de toute cette agitation dans le nord du pays.

« Tout cela repose sur une seul chose : le lithium. C’est comme une ruée vers l’or. Tout le monde veut prendre le train en marche. »

D’après ce qu’on nous a dit, cela fonctionne largement comme le développement du secteur des télécommunications aux Etats-Unis dans les années 1990. Le gouvernement reçoit des demandes pour des zones qui seraient desservis par une antenne-relais. Tout le monde peut soumettre une candidature. Les licences sont accordées au moyen d’une loterie. Mais, une fois la licence obtenue, il fallait mettre en place le service.

Nous avions soumis une demande de licence, avec un groupe d’amis. Et nous en avons obtenu une, dans le Dakota du Sud, si notre mémoire ne nous fait pas défaut. Le problème est qu’il n’y avait pas grand monde dans cette région. Si vous avions pu apprendre aux vaches à utiliser des téléphones portables, nous aurions fait fortune, mais il n’y avait pas assez de trafic humain pour justifier l’investissement.

Un Argentin que nous avons rencontré plus tard nous a raconté son expérience de cette ruée vers le lithium :

« J’ai participé à une loterie pour un gisement de lithium. Il n’y avait que trois candidats. Une entreprise chinoise. Une entreprise canadienne. Et moi. Les Chinois et les Canadiens étaient représentés par leurs avocats.

C’était très archaïque. Ils ont mis trois numéros dans une roue. J’avais le numéro 2. On pouvait voir les chiffres à travers la roue. Je discutais avec la femme qui tournait la manivelle. Je la connaissais. Elle a ralenti et j’ai pu voir que mon numéro n’était pas en bonne position pour gagner. Je lui ai donc demandé comment allait son fils et elle a continué à tourner la manivelle pendant qu’elle me répondait.

Après cela, mon numéro se trouvait dans une bonne position. J’ai donc arrêté de parler. Et devinez quoi ? Elle a ouvert la trappe et mon numéro est sorti. J’ai gagné. »

Une fois de plus, le cas particulier a eu raison des statistiques et de la théorie.

Mais ce n’est pas tout. Le lithium est une grosse affaire. C’est ce que tout le monde dit. Le monde entier est en train de passer aux batteries électriques. Or les batteries nécessitent du lithium en grande quantité. Mais les investisseurs, les amants, les curés et les gens des affaires vivent dans un monde différent.

Pas un monde fait de statistiques et de gros titres, mais un monde de faits particuliers, de détails, de situations spéciales, où il faut garder un œil sur le culbuteur. Notre gagnant de la loterie du lithium a poursuivi :

« Je n’ai pas l’argent pour développer un site de production de lithium. J’ai donc contacté les Canadiens et les Chinois pour leur proposer un partenariat. Mais ils m’ont répondu qu’ils ne voulaient pas d’associés. Je me retrouve donc coincé désormais. Je dois trouver des millions de dollars et quelqu’un qui s’y connait en extraction de lithium.

Pour l’instant, c’est mal parti. Et si je ne parviens pas à développer l’activité, je perdrai non seulement la concession, mais je pourrais également perdre tout le reste. »

Il pointait sa maison du doigt.

A suivre…

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