▪ Paris a clôturé parfaitement inchangé vendredi à 3 916 points, soit +2,2% sur la semaine écoulée. Il avait renoué en fin d’après-midi avec ses niveaux du 1er janvier (3 937 points) malgré un repli initial de 0,2% pour le Dow Jones et le Nasdaq.
Le CAC 40 a oscillé sans désemparer entre 3 910 et 3 930 points, hormis deux ou trois brèves incursions vers 3 933/3 936. Cela fait donc un cumul de 17 heures passées au sein d’un corridor d’une vingtaine de points seulement : le contrôle des fluctuations de cours par les logiciels algorithmiques est bluffant !
Les indices boursiers leur doivent également l’exploit d’aligner une neuvième semaine de hausse sur une série de 10 sans la moindre consolidation hebdomadaire supérieure à 0,5%. Aucune actualité d’aucune sorte n’est plus en mesure de perturber une tendance que les spécialistes du trading quantique s’efforcent de préserver par tous les moyens — et notamment la manipulation des carnets d’ordres.
Les statistiques ne jouent qu’un rôle mineur : une réaction cohérente des marchés par rapport à l’actualité économique semble le plus souvent relever du plus pur hasard, tant est grande l’influence des variables "liquidité" et "décrue compétitive du dollar".
▪ La promesse réitérée à perte de vue par la Fed de taux "exceptionnellement bas pour une période étendue" efface miraculeusement tous les problèmes de fond aux yeux des marchés… Notamment des taux longs qui flirtent avec les 8% en Irlande ou dépassent les 10,6% en Grèce : pas une ligne dans les commentaires de séance à ce sujet.
Le Dow Jones se retrouve ainsi au plus haut depuis la mi-septembre 2008 ; il engrange pour l’instant +2,5%, son plus gros gain depuis le rebond de la première semaine de septembre. Le Nasdaq, qui vient de tester 2 582 points, a pratiquement refermé le gap du 8 janvier 2008 et affiche des niveaux comparables à ceux de mi-novembre 2008.
A cette époque, les expressions "subprime" ou "faillite des monoliners" ne faisaient même pas partie du vocabulaire boursier… Les Etats-Unis anticipaient une croissance durable de 3,5% et connaissaient le plein emploi.
▪ Wall Street n’a en tout cas tiré aucun bénéfice des bons chiffres de créations d’emplois aux Etats-Unis au mois d’octobre 2010 (+151 000, dont 59 000 dans le secteur privé). Tout ce qui contribue à faire monter le dollar est perçu négativement par le marché. Le maintien du taux de chômage global à 9,6% et la hausse symbolique de la moyenne des heures travaillées (+10 minutes en octobre) n’ont pas eu d’impact mesurable.
Notons une étude publiée par CNBC quelques minutes après les chiffres du département du Travail : elle soulignait que pas moins de deux millions d’Américains chômeurs de longue durée pourraient se trouver privés de toutes ressources d’ici fin 2010. Il s’agit d’une très nette aggravation qui ne manquerait pas de peser sur la consommation. Le Congrès US devrait voter la prolongation de certaines aides… mais ce seront autant de déficits en plus.
▪ Les marchés zappent allègrement ce genre d’information. La semaine restera marquée — si l’on se fie au nombre d’articles consacrés à ce sujet — par la confirmation d’une remise en service de la corne d’abondance de la Fed, baptisée "QE2" par les uns et planche à billets par les autres. Selon Bill Gross, le PDG de PIMCO, la Fed orchestre la plus gigantesque entreprise de faux-monnayeurs de l’histoire des Etats-Unis.
Les élections de mi-mandat n’ont pas bouleversé les marchés tant les résultats sortis des urnes étaient conformes aux anticipations de Wall Street. Le facteur politique étant écarté, les investisseurs ont surtout sanctionné ce vendredi le rebond de 0,9% du billet vert vers 1,4050/euro. Une remontée au-delà des 1,40/euro pourrait peser encore plus nettement sur la tendance cette semaine.
▪ Les investisseurs exécutent à la lettre les instructions de la Fed : faire grimper la bourse pour susciter un "sentiment de richesse" et doper la consommation. Une tradition qui date de l’après-krach de 1987 et qui a été soigneusement respectée chaque fois que l’économie américaine a traversé un trou d’air conjoncturel.
C’est cependant la première fois que la Fed injecte presque directement de l’argent dans Wall Street — en tant "qu’acheteur en dernier ressort" des dettes à risque que lui présentent les créanciers hypothécaires.
Des divergences stratégiques majeures se manifestent avec un tir à boulet rouge des ministres (Schaubele et Brüderle) et patrons de la banque centrale allemande (A. Weber) contre l’assouplissement quantitatif de la Fed. Ils l’assimilent à de la création de fausse monnaie, porteuse d’un risque de dérapage inflationniste incontrôlable sans que cela relance en rien l’économie américaine… sauf les bulles d’actifs.
La Banque du Japon procède exactement de la même façon que la Fed. Jamais tel grand écart de politique monétaire entre les principaux membres du G7 n’avait été observé depuis 1987. Le "chacun pour soi" débouche bel et bien sur la guerre des devises évoquée un mois auparavant par le Brésil.
▪ A noter qu’en Zone euro, malgré le diagnostic conjoncturel positif de J.C. Trichet jeudi, les ventes de détail se sont contractées de 0,2% en septembre tandis que les ventes de voitures se sont effondrées de 18% au mois d’octobre. La dégringolade du dollar ne va pas améliorer les entrées de commandes après un été relativement satisfaisant.
Les opérateurs ne sont sensibles qu’aux facteurs susceptibles de gonfler des bulles, comme l’arbitrage du dollar au profit des matières premières et du pétrole.
Mais le mouvement menace de s’essouffler. Les PIGS (Portugal, Italie, Grève, Espagne) ont subi une correction que les investisseurs se sont empressés d’occulter. Les indices pan-européens se sont contentés de consolider à plat à la veille du week-end (l’Euro-Stoxx 50 s’effritait de 0,3% tandis que l’Eurotop 100 progressait d’autant), mais cette pause masquait de fortes disparités.
Si Francfort terminait une nouvelle fois en hausse (+0,3%), Milan perdait 1,3%, Lisbonne -1,5%, Madrid -1,7% (chute collective de -4,5% des banques ibériques). De son côté, Dublin plongeait de 2% (Allied Irish Bank dévissait de 10,7%).
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que Paris, du point de vue d’un gérant américain, engrange +28% depuis le 31 août dernier (et +30% pour le DAX 30), effet euro (+12%) oblige… Sûrement un détail sans importance pour les logiciels algorithmiques dont la vocation est de perpétuer la tendance, peu importe qu’elle soit complètement déconnectée du réel.
La reprise de contact avec les vrais problèmes du moment — aucun n’est réglé, voyez l’Irlande ou la Californie — risque d’être d’une rare violence.