La Chronique Agora

Pâques… ou la résurrection des marchés

** Il était possible d’adopter deux attitudes antagonistes à la veille du long week-end de Pâques : soit liquider votre portefeuille pour partir sereinement à la chasse aux oeufs en chocolat lundi matin (solution « Vieux Continent »)… soit lancer un défi aux oiseaux de mauvais augure en réemployant les liquidités dans le cadre d’une chasse aux bonnes affaires savamment orchestrée par la Fed et la Maison-Blanche (solution « Wall Street »).

Les scoops se succèdent à un rythme étourdissant depuis une semaine. La Federal Home Loan Bank (FHLB) annonçait lundi dernier l’extension à hauteur de 100 milliards de dollars de la faculté de détention par les 12 plus grandes banques américaines de créances hypothécaires (mortgage-backed securities) émises par Fannie Mae et Freddie Mac. Rappelons que pour ces deux entités parapubliques, les lignes de crédit sont garanties par le Trésor américain –c’est-à-dire par le contribuable américain — à hauteur de 1 800 milliards de dollars actuellement et 2 000 milliards de dollars d’ici la fin 2008.

Comme une bonne surprise ne vient jamais seule, les reventes de logements anciens ont rebondi de 2,9% en février — qui comptait un jour supplémentaire, ce qui n’est pas neutre. Les stocks de logements invendus, quant à eux, se contractaient symétriquement de 3% à 4,03 millions d’unités, soit 9,6 mois de réserve au rythme de transactions actuel de 5,03 millions d’unités/mois.

** Mais la thèse de l’ébauche d’une embellie conjoncturelle volait en éclat à peine 24 heures plus tard avec la publication de deux très mauvais chiffres américains concernant le marché immobilier et la confiance des ménages américains. La relation de cause à effet réciproque entre ces deux chiffres entretient un phénomène de spirale négative depuis le début de l’automne dernier.

Selon les chiffres dévoilés dans le cadre de l’enquête mensuelle Case-Shiller, les prix de l’immobilier s’effondrent de 11,4% en moyenne sur un an dans les 10 plus grandes métropoles américaines et de 10,7% dans les 20 principales ; un rythme jamais observé depuis que ce genre de données a commencé à être compilé en 1968.

S’agissant du palmarès des plus gros gadins, il ne change pratiquement pas d’un mois sur l’autre. On observe des baisses de 19 à 20% à Miami, Phoenix ou Las Vegas, de 17% à San Diego, de 16,5% à Los Angeles, de 15% à Detroit, Cleveland ou Tampa, de 13,5% à 14% à San Francisco, Sacramento ou San José, de 12% à Pittsburgh, et de 11% à Washington ou à Minneapolis.

New York résiste avec une baisse de 5,8%, Boston tient bon avec -3,5%… mais Seattle et Portland — le nord de la côte ouest, qui fait face à la Chine — viennent à leur tour de basculer dans le rouge pour la première fois en 10 ans.

Et comme tout semble lié, y compris dans le calendrier des statistiques officielles, le Conference Board a publié hier un indice de confiance des consommateurs en chute libre de 12 points en mars, à 64,5 contre 76,4 le mois dernier.

Dans le détail, l’indice des attentes, très influencé par la composante emploi/marché du travail, a reculé de 58,0 à 47,9, son plus bas niveau depuis 35 ans. L’indice de la situation présente, sensible aux salaires et à l’évolution des biens immobiliers, s’est carrément effondré de 104,0 vers 89,2 en mars.

** Il n’est guère étonnant que de tels chiffres affaiblissent le dollar qui cède 1,2% contre l’euro à 1,5610. Nous sommes cependant très intrigué par le sursaut du billet vert face au yen, qui a rechuté sous 100,20 contre 99,6 hier matin. Ce sursaut est d’autant plus étonnant que le yuan, auquel la devise japonaise reste connectée, poursuit sa progression par rapport au billet vert à 7,045. Le renchérissement de la devise chinoise devrait bientôt atteindre 15% par rapport à son ex-pivot officiel de 8,27 $ mais elle chute de 25% face à l’euro depuis la mi-juillet 2005.

Allez donc comprendre pourquoi, en dehors des machines-outils allemandes ou helvétiques qui servent aux entrepreneurs chinois à concurrencer nos dernières industries à forte valeur ajoutée, nos exportations made in Europe sont en déclin dans le monde entier depuis trois ans ! Heureusement que la France surnage grâce aux articles de luxe qui s’arrachent en Extrême-Orient ou à Moscou, devenue la ville la plus chère du monde !

Ce sont précisément les titres Pinault-Printemps/Gucci (+8,1%) puis LVMH (+6,5%) qui ont le plus largement contribué à la flambée du CAC 40 hier, sans oublier EADS et ses +6,6%, dans le sillage d’un euro moins flamboyant que mardi de la semaine dernière alors qu’il battait un record à 1,5905 $.

Les autres vedettes du jour se recrutaient dans le secteur financier, avec une hausse de 5,5% en moyenne pour des leaders tels que Dexia ou AXA, mais pas seulement puisque des titres aussi divers que Michelin, Accor, Saint-Gobain, Alcatel-Lucent ou Cap Gemini s’envolaient de 5,8% à 8,15%. Les seuls oubliés du jour étant les utilities GDF (-1,6%) et surtout EDF (-2,2%).

** Grâce à une vague de rachats tous azimuts, le CAC 40 a flirté de la façon la plus étroite dès les premiers échanges avec les 4 700 points ; l’indice culminait à 4 699,90 points d’entrée de jeu ce 25 mars. Affaibli par les chiffres américains, il parvenait à reprendre appui dans la zone des 4 650 points vers 14h30 avant de renouer à 17h30 — au point près — avec son cours d’ouverture.

Avec l’apparition d’un gros gap de +140 points (+3%) au-delà des 4 550 points et une clôture qui intervient à 4 692 points, le CAC 40 rompt brutalement avec sa tendance baissière et semble invalider l’alerte rouge découlant de l’enfoncement des 4 615 points puis de la base du corridor 4 550/4 950 points les 17,18 et 20 mars derniers.

Ce rebond survient sans que nous ayons pu déceler une véritable phase de capitulation des cours en direction des 4 350 ou des 4 100 points. Les gérants américains ont matérialisé leurs gains sur l’euro à l’approche des 1,60 $ tout au long de la semaine passée, ce qui leur a permis de soutenir Wall Street — c’est de bonne guerre. Le sursaut de 3,5% du CAC 40 est loin de suffire à combler le handicap accumulé depuis la mi-mars face au S&P 500.

Les commentateurs américains ne cessent de s’extasier depuis lundi dernier sur la performance positive des indices américains depuis la fin février (+2 à +2,5%), un exploit qui nous laisserait perplexe si nous n’étions accoutumé au patriotisme boursier dont sait faire preuve Wall Street lorsque l’économie américaine se retrouve au bord de l’abîme.

Mais en Europe, nous disposons d’une arme autrement plus redoutable face à la détérioration de la conjoncture économique : il s’agit de la stabilité des prix !

La BCE n’éprouve aucun besoin de baisser les taux pour soutenir l’investissement et la consommation. Les gouvernements se contentent donc de réduire leurs prévisions de croissance et les entreprises européennes leurs effectifs !

De fait, et grâce au gel des salaires (hors bonus et golden parachutes des PDG) la température de la Zone euro telle qu’elle est mesurée par la BCE — si l’on exclut le coût du logement, de l’énergie ou de la nourriture — reste bel et bien stable… comme celle d’un cadavre !

Mais au lendemain de Pâques… un seul mot d’ordre s’impose : debout les morts !

Philippe Béchade,
Paris

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