La Chronique Agora

Les origines du mirage boursier

Le monde financier est un monde imaginaire, on met des chiffres sur un réel et sur un futur qui restent irréductibles à la vraie compréhension.

Notre système va de crise en crise, et ces crises sont la manifestation d’une crise plus profonde : la crise de la pensée occidentale.

C’est une crise de la pensée du monde, une crise de notre représentation du monde. Nous pensons faux.

C’est une crise d’inadéquation de nos représentations du monde au monde réel.

C’est une crise de disjonction, ou encore une crise d’écart grandissant entre le monde et ce que nous en disons.

Notre pensée s’est autonomisée, elle a quitté le monde des référents, du concret existant ; elle s’est envolée, elle s’est libérée du réel. Elle a bullé, si on veut mieux marquer l’analogie avec les marchés financiers. La pensée se trouvant libérée, elle a évolué non plus en fonction de son sous-jacent dans le monde, mais en fonction de sa logique propre, de sa combinatoire, de sa grammaire, de sa rhétorique, et surtout de ses besoins, de ses échanges, de ses désirs. D’où, peu à peu, la domination envahissante du mensonge, des narratives ou de la Com !

La pensée est censée représenter le monde afin de le comprendre et de le transformer, mais notre pensée fausse n’est plus adéquate pour cette fonction. La pensée dominante est désadaptée, déconnectée, elle fait jouir, elle séduit, mais elle ne produit plus les résultats que l’on peut attendre d’elle.

Quand vous avez libéré la pensée de son ancrage dans le réel, ce que font l’Idéologie, la Com et le Mensonge, alors tout devient manipulable ; on peut tout faire à la main dans le but d’obtenir ce que l’on veut. Ce que les puissants veulent.

La pensée s’est mise au service d’un ordre social, et cette fonction nous éloigne de plus en plus de l’efficacité. Nous avons pénétré un Imaginaire, nous avons quitté le Symbolique, la Science ; comme je le dis souvent, nous sommes dans « la bouteille » ou dans l’asile psychiatrique, et les médecins sont encore plus fous, plus détraqués que les patients lesquels, de toute façon, ne savent pas qu’ils sont malades. On rejoint le mythe de la fameuse Caverne.

Pour parler juste, il n’y a pas de crise dans le monde réel ; ce qu’il y a c’est une crise de nos représentations, de notre façon de mettre en ordre le monde, une crise de réconciliation entre notre imaginaire et la réalité.

On rejoint la folie occidentale conduite par l’Empire américain : on a créé un monde faux, nous nous sommes adaptés à ce monde faux, nous désadaptant du vrai monde et nous en subissons les conséquences.

Conséquences internes, domestiques et conséquences externes, à l’étranger.

La folie se donne à voir en même temps par les antagonismes et contradictions intérieurs et par les conflits et guerres à l’extérieur. Intérieur et extérieur, c’est la même réalité : elle s’illustre par la représentation du chiffre 8, mis en horizontal.

La bulle des marchés financiers s’origine en 1971 ; elle est permise par la bulle du crédit, permise par la bulle du dollar et des monnaies, permise par la bulle des romans économiques des maîtres, permise par le désancrage généralisé.

Cette bulle est actuellement sous tension/pression, menacée d’entropisation, elle a besoin d’air chaud, de grossir encore pour ne pas déflater/éclater, mais elle se heurte aux raretés objectives réelles, à l’érosion de la plus value et du surproduit, à la rareté des ressources primaires, et la rivalité pour se les attribuer, et en résulte un conflit géopolitique avec les représentants d’un autre monde plus objectif, plus terre à terre : les Chinois et les Russes, les BRICs.

Nous sommes au cœur du besoin d’impérialisme, car sans extension impériale, sans nouvelle frontière pour étendre le capitalisme, l’ordre ancien s’effondre en même temps que les bulles occidentales éclatent.

Il n’y a rien d’étonnant si l’enjeu des conflits en cours se cristallise sur la question monétaire et sur la contestation du rôle impérial du dollar. Mais ce que l’on voit moins, c’est que la question du dollar est totalement solidaire de celle de la valeur des actifs financiers mondiaux. Si le dollar perd son statut, Wall Street et ses satellites perdent le leur. La pierre angulaire du système occidental impérial c’est le couple dollar et sa base, la dette du Trésor Américain.

L’Imaginaire détermine/produit la domination impériale du dollar, la valeur des actifs financiers et la domination culturelle des Valeurs américaines. The World America Made est un monde imaginaire ; Hollywoodien si on veut.

Le point, la pointe qui peuvent faire éclater toutes nos bulles occidentales c’est l’aiguille monétaire.

L’action conjuguée de la Russie, de la Chine, des Brics va -t-elle produire le percement de la Bulle Occidentale ?

L’enjeu de la guerre en cours Ukraine vs Russie , c’est la domination de l’Occident sur le monde, sa volonté démiurgique d’universalité et d’unilatéralité dans la lecture du monde réel. L’Occident veut imposer sa lecture, sa façon de voir le monde.

Et vous comprenez mieux pourquoi les satellites des USA ne peuvent mener une politique autonome, le sous-jacent de leur ordre social, économique et culturel est le même, ils habitent le même Imaginaire. Simplement, ils ont un résidu de dissidents un peu plus important.

Nous habitons un monde de faux-monnayeurs, et la monnaie dont il s‘agit, c’est ce qui nous est commun et que nous échangeons entre nous. Cela inclut la monnaie, mais aussi les représentations du monde sous toutes leurs formes.

La domination de la technique et du digital font partie de ces échanges communs ; nous avons décrété qu’un homme était une femme, que le genre est culturel et non pas naturel, que la vie n’est pas sacrée mais que nous sommes tous égaux ; nous avons imposé des équivalences délirantes, nous avons imposé un ordre social imbécile qui pénalise les travailleurs pour glorifier les séducteurs, et en plus dans la post-modernité, nous déconstruisons dans l’ordre ancien ce qui le faisait encore tenir debout.

Nous déconstruisons le monde ancien, ses invariants, ses concepts clefs, non pas pour retourner aux sources mais pour nous en éloigner encore plus. Nous larguons nos arrimages. Nous nions la nature, notre histoire, notre culture… Bref, nous détruisons nos sous-bassements et nos fondations.

A l’origine de cette pensée fausse, démiurgique qui place l’homme au centre du Système, il y a la naissance du marginalisme, dans les années 1870.

Le marginalisme de Jevons, Walras et Menger fait basculer le monde réel vers la subjectivité, vers un monde centré sur l’homme et surtout sur son discours. Il n’existe pas de valeur en soi, « la valeur ne se trouve que dans la tête de celui qui la contemple« ; c’est un subjectivisme radical.

La démarche marginaliste est utile dans certains cas, et en particulier en économie ou il s’agit de persuader les acheteurs. Elle est utile dans la mesure où elle met l’accent sur la valeur comme découlant de l’utilité marginale.

Mais c’est une démarche qui ne rend pas compte du réel lui-même ; elle ne compte que de certains aspects liés aux échanges marchands dans nos sociétés. Elle a le mérite capitaliste d’escamoter le fondamental c’est à dire le fait que la valeur est produite par le travail.

Cette pensée fausse a pour fonction de rendre invisible, dans l’échange, le travail qui est incorporé. Si on veut, c’est une théorie qui, d’une certaine façon, permet de nier les antagonismes de classes, la lutte des classes, surtout depuis que l’exploitation s’est délocalisée ! Ce système c’est l’affirmation que celui qui crée la valeur, c’est le consommateur, puisque c’est lui qui fixe son utilité ! On trouve ici le fondement de l’inversion qui domine nos sociétés, le marginalisme, la modernité sont fondés sur le recours à l’inversion. L’inversion est un opérateur systémique comme la répétition, la métaphore ou la métonymie.

Et c’est pour cela que cette théorie subjectiviste débouche sur la tromperie, la publicité, le faux monnayage, la manipulation de la demande, la création de désirs. C’est la racine du fameux « puisque vous le valez bien » de l’Oréal qui doit se comprendre comme ceci : comme vous avez une grande valeur, le produit que nous vous vendons et que nous vous faisons désirer a lui aussi une grande valeur ! La proposition étant d’ailleurs réversible.

Bref, cette vision du monde est devenue un outil idéologique au service des puissants, des détenteurs du pognon, des maîtres du monde pour prolonger leur règne et lutter contre la finitude qui caractérise tout ce qui est humain.

Le monde financier est un monde imaginaire, on met des chiffres sur un réel et sur un futur qui restent irréductibles à la vraie compréhension. Peu à peu les savants et les experts connaissent parfaitement ce monde imaginaire, mais cet imaginaire a de moins en moins de rapport avec le monde réel, ils sont largués, ils marchent à côté de leurs pompes. Cet imaginaire ne retranscrit pas les lois du réel. On l’a vu avec la gestion du Covid.

Dès les années 1870, les intellectuels modernistes ont adopté le principe qui décrète que la valeur en soi n’existe pas, la valeur ne se trouve que dans la tête de ceux qui désirent. Dictature du désir sur la production, dictature du désir infantile sur les adultes qui produisent, dictature de la séduction et du « plaire » sur le « faire ».

De cette époque date la séparation des ombres et des corps, afin de construire un monde d’illusion prométhéenne ou l’homme est l’équivalent des dieux ; tout puissant.

De là date donc le mirage boursier qui fait croire que gonfler les prix des actifs et inflater les cours de bourse, c’est créer de la valeur et des richesses.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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